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Le pot de confiture
Le 8 août dernier, en se baignant sur la plage de Trouville, un garçon de onze ans a fait la découverte d'une vie : un pot de confiture à la mer transportant des prières pour Yahia Fofana, gardien remplaçant de Mathieu Gorgelin au HAC. Attention : une chasse au trésor peut en cacher beaucoup d'autres.
Deauville et Trouville sont séparées par deux choses : un pont, et pas mal de principes. Rive gauche de la Touques, serpentent les étroites ruelles de ce que les guides touristiques présentent souvent comme « un village de pêcheurs » , dont la halle aux poissons est classée aux Monuments Historiques depuis 1992, et où le plus large sacrifice concédé à la mondialisation est un Monoprix. Rive droite, les avenues organisées de la ville du cinéma américain, où les invités d’honneur de septembre peuvent à la fois barboter dans une dizaine d’espaces Thalasso différents et assécher leurs portefeuilles au Casino Barrière. On les appelle les « sœurs siamoises » ? Explication avec la bande de terre qui leur sert de cordon ombilical : leurs plages. Mêmes cabines en bois, mêmes planches, même parasols colorés. Mais pas le même monde. Le jeudi 8 août dernier, par exemple, la famille Achilley* avait choisi la plage de Trouville pour passer quelques jours de vacances, misant sur le calme relatif de l’endroit. Le petit garçon de la famille a onze ans, est déjà en maillot de bain. Le ciel est couvert, mais il fait chaud : 28°C sans vent cet après-midi-là, aux alentours de 15h. Le gamin s’est jeté à l’eau comme on balancerait des pâtes dans une casserole d’eau froide : sans réfléchir, innocemment, candidement, librement. L’eau est glacée, mais il s’en fout comme de ses devoirs de vacances, plus concentré par ce qu’il peut apercevoir sous la surface que de ce qui y flotte. Pourtant, là, à portée de main, dérive un pot de confiture en verre.
WANTED : explications
Il brille d’un éclat doré, son étiquette est partie depuis longtemps. Le garçon le remarque, arrête de nager, s’en saisit. Il le fait pivoter entre ses doigts. À l’intérieur, une boulette de papier jaunie par le temps, visiblement vierge. Après l’avoir ramené sur la plage et en avoir dévissé le couvercle, un détail devient évidence : le papier n’est qu’une enveloppe. En son cœur, un morceau de charbon entouré d’un fil, lui-même noué en plusieurs endroits. Étrange. Mais c’est en dépliant le morceau de papier que le petit garçon a fait la plus grande découverte que ses onze ans lui avaient laissé le temps de faire : une lettre écrite en arabe. Finies les bouteilles de Robinson Crusoé, on lance désormais des pots de confiture à la mer. En rentrant chez lui, le gamin appelle sa tante, surexcité. Elle s’appelle Mathilde, n’a pas la trentaine. La découverte l’intrigue autant que son neveu, ce qui la pousse à poster la photo de la lettre en question sur le groupe Facebook « WANTED Community Paris » , « une communauté d’entraide entre particuliers fondée sur des valeurs de solidarité et de vivre-ensemble » culminant à un peu plus de 470 000 membres en ce début août. Le message commence ainsi : « Hello la communauté ! » Et ainsi, la communauté s’activa.
Le message fait un tabac. Posté à 0h19, le post amasse en quelques heures plus de 500 commentaires à la fois intrigués, amusés et perturbés. Surtout, l’essentiel est atteint : les gens cherchent. Rapidement, les connaissances en arabe de certains leaders de commentaires s’accordent sur un point : le texte mentionne à plusieurs reprises le nom d’un certain Yahia Fofana… Un type de quasiment deux toises et d’un quintal évoluant au poste de gardien de but remplaçant du Havre, et vice-champion de France U19 en 2016-2017. Kézako ? Sorcellerie ? Magie noire ? Prières ? Le débat fait rage entre autoproclamés spécialistes et badauds, et la barre des 900 commentaires explose. Bref, pas banal pour un groupe Facebook plus habitué aux ventes de machines à laver qu’au incantations chamaniques, et qui s’écharpe toujours autour de la question principale : mais qu’est-ce qu’il y a marqué ?
Djinn, sourates et sorcellerie
Le 9 août au matin, dans les bureaux de Paris-Normandie, Marie Zinck passe le temps. « Je me promenais sur mon fil d’actu en cherchant des sujets, dit-elle. Oui… Bon, je trainais sur Facebook (Rires.) J’étais sur le groupe Wanted, dont je suis membre, à la recherche d’un bon plan que j’avais vu un peu plus tôt. Et en remontant la page j’ai vu ce post en lien avec la Normandie. » Coup de pot : Marie est journaliste. Bon sang, l’histoire fera un bon papier à rapporter à ses rédacteurs en chef. Sa curiosité locale est piquée, et elle décide dans le même mouvement d’envoyer un message privé à Mathilde pour lui demander une interview, de prévenir Yahia Fofana, et de contacter un enseignant d’arabe pour assurer la traduction. C’est le début d’une deuxième chasse au trésor, où cette fois, le butin s’appelle Mathilde. Car la jeune femme ne répond pas. Jamais. Pas un frétillement au cœur des désormais plus de mille commentaires qui la bombardent de questions et de théories sous son post, aucun signe de vie en privé, un profil qui cache l’ensemble de ses informations personnelles… En réalité, l’inconnue aux cheveux d’or semble être apparue et avoir disparu dans le même battement de cil, à se demander si la tornade provoquée par ses soins n’était pas montée de toutes pièces. « Je me suis méfié » , concède la journaliste. Dans le doute, il faut avancer seule.
Au matin du lundi 19 août, soit onze jours après la découverte de la bouteille, Marie Zinck publie finalement son article. Elle y explique le message, les réactions, les théories. Mieux, elle y apporte une traduction. Hossam Alghabra, professeur d’arabe au carré international à l’Université de Caen, confirme ainsi les soupçons entrevus depuis le début, il s’agit bien de sorcellerie. « C’est une sorte de demande au djinn, qui est une créature, comme un démon(…)C’est une prière, une bénédiction. C’est un vœu pour que le joueur soit aimé et que son degré social soit élevé » . Marie Zinck : « On a souvent l’image de la sorcellerie comme de quelque chose de négatif, mais elle peut tout aussi bien receler un sens positif. Hossam Alghabra m’a expliqué que ce genre de pratiques étaient courantes en Afrique du Nord. » Pour faire simple, toutes les phrases qui entourent le losange sont des sourates du Coran. La première partie du verset 165 de la première sourate, plus précisément, écrite à quatre reprises, une pour chaque face de la figure géométrique, recelant en son centre le message principal concernant Yahia Fofana. « Oh Dieu, je vous supplie de faire en sorte que le gardien de but Yahia Fofana soit aimé de tous, et qu’il évolue le plus loin possible au nom de la générosité dont fait part le prophète Mohamed, que la paix soit sur lui. » La publication du papier a un effet collatéral inattendu : Fofana veut parler.
Une couche de plus à l’oignon
Entre-temps, So Foot prend connaissance de l’histoire. La chasse au trésor accueille une couche de plus : un journaliste à la poursuite d’une journaliste, elle-même à la poursuite d’une jeune femme, d’un garçon de onze ans et d’un gardien de but. La seconde répond rapidement : « Fofana n’était pas du tout au courant de l’histoire, il était choqué, et a vite écarté les soupçons autour de sa mère, que l’on suspectait d’être l’expéditrice. Mais il n’avait pas grand-chose de plus à dire sur le sujet… » Le service presse du HAC confirme : il a appris l’histoire sur Paris-Normandie, et n’a vraiment rien de plus à exprimer que sa surprise et une sacrée dose d’incompréhension. Reste alors à retrouver Mathilde. En remontant le fil des indices susurrés par son profil Facebook, un nom, une profession puis une adresse e-mail finissent par apparaître. Restait à y jeter une bouteille à la mer. Et, puisque les histoires de chasses au trésor sont toujours bien faites, la bouteille mit 20h à toucher rive.
Laissons donc son mystère à cette histoire, finalement entourée des mêmes nuages qu’à son commencement. Quel bienfaiteur anonyme est l’expéditeur de la lettre ? Vient-il du Havre, de Trouville ou bien d’Afrique du Nord ? Pourquoi ces rituels, qui ne répondent à aucune logique coranique ? Et le plus important : pourquoi un pot de confiture ? Ce dernier aurait pu disparaître dans les eaux de la Manche, il est désormais sur l’étagère d’une chambre de petit garçon, ou ailleurs. De toute façon, l’essentiel est ailleurs : le 13 août dernier, à l’occasion d’un match du 1er tour de Coupe de la Ligue disputé – et perdu aux tirs au but – contre Clermont, Yahia Fofana a fêté sa première titularisation chez les pros.
Par Théo Denmat
Tous propos recueillis par TD, sauf mentions.