Le poing hooligan, round 1
L'Euro 2016 cristallise quelques inquiétudes, parmi lesquelles les débordements violents impliquant des supporters bien particuliers. Avant de se pencher en détail sur les groupes, coup d'œil au contexte général de la compétition avec deux connaisseurs du milieu. Chacun dans son genre.
« L’Euro, c’est l’occasion pour les meilleures bandes européennes de montrer qui a la suprématie. Est-ce que les Anglais sont encore les meilleurs ? Est-ce que les pays de l’Est sont enfin au sommet ? Il y a pas mal de nations et ça fait quelques années qu’ils doivent mettre les choses au point. » François*, qui se définit comme « actif dans la mouvance hooligan française » , en est sûr : tous les éléments sont réunis pour assister à un Euro explosif. Et il ne parle pas des arsenaux offensifs de la France, de l’Allemagne ou de la Belgique. En tout cas, pas sur le terrain. Mais bien de ces supporters pour lesquels le foot se joue aussi, voire surtout, avec les mains. À ce petit jeu-là, c’est le pays dans son ensemble qui pourrait se réveiller avec la gueule en miettes.
Car pour la première fois, l’Euro rassemble 24 nations d’Europe. Dont une bonne partie de pays de l’Est plus ou moins émergents, pas forcément les plus tendres en matière de fight malgré leur jeune âge : « Il y en a 8 en comptant l’Europe centrale (Russie, Ukraine, Hongrie, Slovaquie, Pologne, Tchéquie, Pologne, Roumanie, ndlr), c’est une première. C’est un peu les nouveaux, ils ont une montée en puissance depuis la fin des années 90 et ils ont vraiment envie de montrer que ce n’est plus les Anglais qui ont la suprématie en la matière. Ils attendent ça depuis 4 ans. » De quoi venir la bave aux lèvres et l’américain au poing. De quoi, aussi, assister à un choc des cultures.
Rencontres du troisième type
Les ultras, venus du sud de l’Europe, ne sont pas à ranger dans la catégorie hooligan. Leur culture se concentre sur l’animation du stade, pour des tribunes bruyantes et colorées : « Ils ne vont pas rechercher le contact, ils ne sont pas organisés pour ça. Ça peut venir incidemment, mais, quand on parle de hooliganisme, en réalité, on va plutôt parler des deux autres tendances » , détaille François, qui se défend lui-même d’appartenir à ce mouvement. Une nuance importante, mais trop souvent ignorée des autorités. Restent alors les traditions venues du nord et de l’est. C’est là que les os commencent à craquer.
Au nord, c’est la tendance hool « originelle » , celle popularisé par, entre autres, les films Hooligans et The Football Factory : « La culture casual, anglo-saxonne, en gros c’est organisé, tout le monde se connaît, et on essaie de se choper dans le contexte du match. » Pour représenter son blason, mais pas que, selon François : « Ce qu’il faut comprendre, c’est que les mecs sont là pour faire la fête, se déchirer, et, dans ce contexte festif, il y a forcément une bonne bagarre à la fin. Mais s’il n’y a pas de bagarre, c’est pas dramatique, le but c’est de passer une bonne journée avec sa firm. » Une certaine idée de la balade entre potes.
Et puis il y a les dernières tendances venues de l’est, « les fights arrangées, dans une prairie, une clairière ou que sais-je. Ça peut être un truc alors qu’il n’y pas de match, complètement extra-footballistique. » Le genre de bagarre qui se retrouve sur Youtube le lendemain, mais qui n’est pas en soi la plus problématique dans le contexte de l’Euro. Nicolas Hourcade est sociologue à l’École centrale de Lyon et voit plus loin que les nez pétés : « S’il y a des incidents entre hooligans purs et durs loin des stades, à la limite personne ne va en entendre parler et ça ne jouera pas sur la sécurité de la compétition. En revanche, si des incidents éclatent en centre-ville ou sur les trajets, ça c’est autre chose. » Notamment parce que l’Euro 2016 se joue en France et dans un climat bien particulier.
Profil bas et matraques en l’air
La politique française de maintien de l’ordre se distingue en effet de ses homologues européennes dès la partie théorique. « Grosso modo, l’attitude policière qui s’est développée en Europe sur les grands tournois depuis 2004, c’est lelow profile: des policiers qui n’interviennent que quand c’est nécessaire, et de manière ciblée sur les individus à risque » , explique Nicolas Hourcade. Un schéma expérimenté par François, en 2006 : « Par rapport à une Coupe du monde en Allemagne où les flics allemands sont les meilleurs, ça n’a rien à voir. Ils sont discrets, mais ils savent quels groupes encadrer, ils savent repérer les leaders… À la fin, ils rendent impossible toute confrontation. Là, j’ai peur que les flics français ne soient pas à la hauteur du rendez-vous. »
Une crainte expliquée par plusieurs éléments contextuels. Au premier rang desquels l’inexpérience, selon Nicolas Hourcade : « La tradition de la police en France, autour des stades et plus largement, n’est pas du tout celle du low profile, mais au contraire celle de la visibilité policière et du contact direct avec les supporters. Et comme on a interdit ces derniers mois les déplacements de supporters dès qu’il y avait un petit risque, on ne les a pas habitués à gérer un flux de supporters. » Face à des étrangers peu au fait des pratiques et de la langue locale, cela peut amener à des incompréhensions.
Or, c’est précisément la tension qui menace de rendre une situation explosive dans un contexte de regroupement de belligérants potentiels. Et l’activité de ces derniers mois ne risque pas de permettre aux forces de l’ordre d’aborder l’événement avec la sérénité indispensable. « La grande question, c’est la capacité des policiers à gérer cette situation, sachant qu’ils sont dans une période de surmenage assez fort, par exemple qu’ils n’ont pas la possibilité de prendre de congés, sachant aussi qu’ils ont une pluralité de risques à gérer » , s’interroge Nicolas Hourcade. Entre menace terroriste, manifestations sociales et déplacements de hooligans, c’est peu dire que le ministère de l’Intérieur va se retrouver face à un défi certain. Le premier gros test, ce sera dès samedi prochain : l’Angleterre affronte la Russie à Marseille. Vous vous souvenez de 1998 ?
À suivre, l’analyse groupe par groupe
Par Éric Carpentier, à Dublin
* Le nom a été changé par souci d'anonymat