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Le « Pogbà tout faire » qu’attend Mourinho
C’était le Pogback : un feuilleton projeté quotidiennement sur la toile de Paris à Miami, mêlant un jeune athlète, des millions de livres sterling et des tonnes de marketing durant tout l’été. Mais alors que l’officialisation est tombée ce matin, le bruit du mercato s’apprête enfin à laisser place à la musique du jeu. Quelle sera la place de Paul Pogba sur la piste de ce Manchester United en recherche de rythme ?
D’un côté, Paul Pogba. Une aura délirante, un talent exceptionnel et un horizon de possibilités footballistiques qui ressemble à l’infini. L’ordre technique, la discipline tactique, l’athlétisme, la spontanéité et l’état d’esprit d’un champion. De l’autre côté, José Mourinho. Un charisme dévastateur, un style unique et un savoir-faire légendaire. Devant les deux partenaires se dresse une Premier League remplie d’adversaires aux caractéristiques tactiques plus variées que jamais, et un contexte extraordinaire. Dans un environnement compétitif extrême, Mourinho veut à nouveau conquérir le monde. Mais alors que Pogba était la cerise d’un très beau gâteau à Turin, le numéro 6 devrait faire beaucoup de pâtisserie à Manchester.
Ce mariage est assimilable à une équation à quatre inconnues. La première est la position qu’occupera Pogba dans le schéma de Mourinho. Celle-ci devrait osciller entre celle de milieu défensif, milieu relayeur, milieu gauche et meneur de jeu. La seconde est le rôle de Pogba dans l’animation offensive et l’équilibre défensif : organisation, élaboration, création et/ou finition ? La troisième est le besoin d’épanouissement personnel de Pogba, qui s’est toujours montré plus épanoui en bianconero qu’en bleu, en dribbleur qu’en constructeur, et qui revient à Manchester pour aller chercher un Ballon d’or. La quatrième, enfin, est le besoin immédiat de résultats de Mourinho et les mesures tactiques qui en découleront.
Le besoin de fantaisie de la Pioche
Chez Pogba, l’épanouissement personnel passe forcément par celui de sa créativité. Au-delà du physique dominateur, du jeu de passes maîtrisé et de la frappe de balle puissante, un élément presque génétique fait de la Pioche le joueur qu’il est : le dribble. À Turin, la structure imposée par Conte puis Allegri a posé les bases de cet épanouissement créatif. Que ce soit via le 3-5-2 originel ou le 4-3-1-2 qui a émergé lors des deux dernières saisons, Pogba a toujours pu compter sur une organisation suffisamment équilibrée et intelligente pour mettre sa fantaisie dans les meilleures conditions. La sortie de balle de la ligne à trois, le jeu long de Pirlo et Bonucci, l’implication dans le jeu et la hauteur des latéraux, l’activité de Vidal, Marchisio puis Khedira. Avant même que Pogba ne touche le ballon, les phases d’organisation et d’élaboration étaient bien entamées voire terminées. Situé plus ou moins haut sur le terrain à gauche, Pogba était encouragé à « y aller » et à laisser parler ses pieds. À la suite d’un Euro Français lors duquel la Pioche a été baladée d’un coin à l’autre du milieu de Deschamps, il semble évident que cette liberté est essentielle au développement du joueur. Mais l’option d’un Pogba fantaisiste à Manchester n’est pas favorisée par le contexte de reconstruction des Red Devils et leur effectif actuel.
Le besoin d’ordre des Red Devils
Effectivement, tout pousse à croire qu’il sera difficile pour Mourinho d’offrir à Pogba cet équilibre dès sa première saison à Manchester, dans la mesure où il faudrait alors imaginer un milieu à trois pour un effectif dessiné pour le 4-2-3-1. D’une part, l’effectif du manager portugais est aujourd’hui largement déséquilibré. D’un côté, l’influence dans le troisième quart du terrain est disputé par pas moins de dix joueurs : Ibrahimović, Rooney, Martial, Mkhitaryan, Mata, Lingard, Depay, Januzaj, Young et même Fellaini… De l’autre, le champ de bataille du milieu est seulement emprunté – personne ne s’est imposé depuis le départ du grandissime Scholes – par Carrick, le même Fellaini, Herrera, Schneiderlin et les « options » Schweinsteiger et Blind. Dans cette perspective, alors que Pogba a besoin d’être proche du but, Manchester United a besoin de Pogba au milieu, loin au milieu. Comme en bleu. Par ailleurs, une construction aussi urgente devrait pousser Mourinho à mettre le talent là où il manque le plus. Pogba le soldat devra donc sacrifier sa créativité – plus de 3 dribbles et 3 tirs par match la saison dernière – au détriment de Pogba l’artiste turinois. Mais si l’utilisation reculée de Pogba pourrait masquer les problèmes de construction des Red Devils, elle pourra difficilement les régler : au-delà du besoin de qualité au milieu, Manchester a aussi besoin de plus de savoir-faire chez ses latéraux et plus d’aisance à la relance.
Pogbà tout faire
Concrètement, si le 4-2-3-1 du Community Shield est repris, Mourinho devrait placer Pogba aux côtés de Carrick (ou Schneiderlin), à la place de Fellaini. Une position pour laquelle Pogba a été formé en France, en double pivot, et aussi une position dans laquelle Pogba touchera beaucoup de ballons. Dimanche contre Leicester, Fellaini a été le joueur qui a réalisé le plus de passes (68 en 95 minutes). À Turin, Pogba en réalisait entre 40 et 50 par match ces deux dernières saisons – plus de création, moins de construction – tandis que le chiffre s’élevait à 63 sous Deschamps à l’Euro. Alors que cette position reculée permettrait au Français de développer sa science du jeu et de peut-être atteindre une emprise majeure sur le jeu mancunien – il en deviendrait la plateforme principale – la question est de savoir si le reste du collectif lui permettra de faire la différence.
À quelques jours de la première journée de Premier League, le défi semble aussi exceptionnel que son contexte : remplacer Paul Scholes en devenant un Patrick Vieira buteur, à la Yaya Touré, le tout avec une attente à la hauteur de celle offerte par le Bernabéu aux Galacticos. Un projet fou cousu sur-mesure pour l’ambition du milieu de terrain, comme il le racontait dans le numéro de mai 2016 de So Foot : « Moi, je veux tout faire parce je pense que je peux tout faire et que l’entraîneur dit que je peux tout faire. J’ai envie de créer quelque chose. De créer le nouveau milieu de terrain. » Et il fait quoi ce nouveau milieu de terrain ? « Tout ! Il sait récupérer le ballon, il sait remonter le ballon, il sait faire le jeu, il sait faire des passes, il sait marquer. » L’attaque et la défense, la fantaisie et l’ordre, les buts et le jeu. Une mission sacrée : réunir Paul Scholes, Roy Keane et Éric Cantona dans deux pieds.
Par Markus Kaufmann
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