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Le plus grand Tabárez du monde
Au terme de quinze ans d’excellents et loyaux services, Óscar Tabárez a tiré sa révérence. Poussé vers la sortie par sa fédération, l’Uruguayen paie un mauvais début de campagne qualificative à la Coupe du monde 2022. Un final triste, mais inéluctable, pour l’homme qui a ramené la Celeste au sommet.
Le 19 novembre dernier, l’ère Tabárez touchait officiellement à sa fin. Celle d’un professionnel de 74 ans, en poste depuis le 7 mars 2006 et assis sur le banc national 194 matchs durant. Mais le temps passe souvent trop vite et le football n’en est qu’une bien triste illustration. Ainsi, en danger dans la course au Mondial et au sortir d’une ultime déculottée contre la Bolivie sur les hauteurs de La Paz (3-0), l’Uruguay a dit stop.
Trust the Process
En débarquant dans les locaux de l’Asociación Uruguaya de Fútbol quinze ans auparavant, Óscar Washington Tabárez s’apprêtait à prendre les rênes d’un énorme chantier. Mais loin d’arriver en terre inconnue, celui qui a occupé le même rôle de 1988 à 1990 et servi à l’AC Milan ou Boca Juniors, n’a que faire de la pression. Son objectif : redresser une nation aux résultats en berne, au football déclinant. Son plan :« Le projet d’institutionnalisation des processus des sélections nationales et de la formation de ses footballeurs », plus communément appelé « El Proceso ». L’ancien professeur d’histoire souhaite en effet créer une méthode de travail horizontale, réunissant les structures nationales sous un ensemble fédéral. Les équipes de jeunes sont réquisitionnées, et le Complejo Celeste, le complexe sportif national, entièrement remodelé*. Traumatisé par l’Australie et une élimination historique en barrages du Mondial allemand, l’Uruguay passe à la vitesse supérieure. Óscar Tabárez pose alors ses conditions : il souhaite s’occuper de toutes les catégories nationales, des moins de 15 ans à l’équipe première. Le pays se mue dès lors en énorme centre de détection et les meilleurs joueurs locaux intègrent progressivement les sélections U15, U17 et U20.
Martín Cáceres, Walter Gargano ou Jorge Fucile sont ainsi parmi les premiers repérés en Primera División à rallier le wagon. Et au terme d’une Copa América 2007 honorablement terminée au quatrième rang, le travail d’El Maestro peut enfin porter ses fruits. « Nous travaillons sur des bases fixes, déclarait-il en 2011. On apprend à nos joueurs, dès leur plus jeune âge, à évoluer en 4-3-3 ou en 3-5-2, à trois ou quatre derrière et souvent avec un seul attaquant. » Des fondements solides, que la Coupe du monde 2010 confirme avec brio. Pour ce faire, Tabárez forme son cercle de fidèles. Des joueurs prêts à l’accompagner dans ses batailles. La fameuse « Equipo de niños » (l’équipe de gamins, en VF) est arrivée à maturité, accompagnée de diamants nommés Diego Godín, Luis Suárez et Edinson Cavani, mais surtout de cadres immuables, à l’image des autres Diego, Lugano et Forlán. Élu meilleur joueur et comeilleur buteur (5) d’une compétition une nouvelle fois achevée au pied du podium, l’attaquant s’avère être l’artisan majeur de la réussite de son sélectionneur. Le relais idéal.
Enjeu ou antijeu ?
Place forte du football d’antan (champion du monde 1930 et 1950 et olympique en 1924 puis 1928), l’Uruguay a donc fini par retrouver sa place. « Durant les trois ou quatre années sabbatiques que j’ai connues dans ma carrière, j’ai beaucoup réfléchi aux causes du déclin de l’Uruguay, et à la façon dont on pouvait à nouveau intégrer le pays dans le football moderne », concédait l’intéressé. Une traversée du désert d’abord freinée en 2010 et définitivement oubliée en 2011, au soir d’une fessée donnée au rival paraguayen en finale de la Copa América (3-0). Le premier titre continental glané par la Celeste, seize ans après le dernier, et la légitimité totale enfin donnée au professeur et ses soldats.
Loin d’être galvaudé, cet imaginaire guerrier colle bien au contraire aux valeurs insufflées par le technicien. La Garra Charrúa (La griffe des Charrúa). Héritée du peuple autochtone éponyme, l’expression renvoie aux caractéristiques uruguayennes : ténacité et combativité. Un symbole assimilé et exploité par Tabárez, devenu par la suite la marque de fabrique d’un style de jeu précis. « Les gens disent que nous pratiquons un jeu violent, avançait-il. Mais en Uruguay, nous fabriquons d’abord des footballeurs. Nous leur apprenons simplement à ne rien lâcher et à y aller à fond devant l’adversaire. » Souvent critiqué outre-Atlantique pour sa rudesse et son minimalisme, le style du coach fait malgré tout des émules à la maison. Un patrimoine sportif mêlant état d’esprit et réussite à tous les niveaux. En témoignent les finales des Mondiaux U17 et U20, respectivement atteintes en 2011 et 2013, et au cours desquelles fleuriront Gastón Silva, Giorgian de Arrascaeta, Diego Laxalt ou José María Giménez, nouveaux porte-étendards locaux.
La fin des temps
Pourtant, si Óscar Tabárez a, en partie, refait de l’Uruguay ce beau vivier de talents à 4 millions d’habitants, le poids des années ne lui aura rien épargné. Affaibli par une teigneuse neuropathie, le coach n’a plus la force. Cette même énergie qui lui a permis de se surpasser depuis son banc pour guider ses ouailles à coups de « dale, dale, dale, dale ! » l’a, petit à petit, délaissée. « Je fais beaucoup de physiothérapie avec mes médecins et je prends tout le temps mes traitements. Je n’ai pas l’intention de partir », glissait-il avec un brin de malice à la veille de la Coupe du monde 2018. La réalité en a cependant décidé autrement. En béquille sur la ligne de touche et en chaise roulante à la ville, le septuagénaire a pris du recul. Son assistant et compagnon de toujours, Celso Otero, se charge depuis près de cinq ans d’organiser les séances d’entraînement et de passer les consignes.
Mais de l’autre côté de la ligne, le message a lentement perdu de son essence. Confronté à une génération aussi talentueuse que fougueuse, le mécano s’est heurté à sa propre machine. Federico Valverde, Rodrigo Bentancur ou Ronald Araújo, autant de joueurs que de personnalités à gérer, en décalage avec le discours et la réflexion d’un vieux de la vieille. Interrogé après la déroute subie en Argentine le 11 octobre (3-0), Darwin Núñez, pistolero en devenir, n’a ainsi pas hésité à exprimer son mécontentement quant à sa position sur le terrain. Des tensions palpables, au sein d’un groupe rajeuni et dans lequel les désormais bons trentenaires Muslera, Godín, Suárez et Cavani ne peuvent recourir à leur habituel génie. Conséquence : six défaites, quatre nuls en quatorze matchs de qualification et une septième place qui éloigne un peu plus le Qatar du radar. À 74 ans, Óscar Tabárez a donc clos une page que l’on pensait intemporelle et ouvert un nouveau chapitre. Une nouvelle aventure qu’El Maestro savourera à coup sûr, au moment de ranger ses notes et de laisser son cher banc à un successeur digne de porter haut les couleurs de la Celeste.
Par Adel Bentaha
Propos d'Óscar Tabárez tirés de conférences de presse.
* À ce sujet, lire l'article « La (re)naissance d'une nation » de Diego Lugano dans le n°155 de SO FOOT.