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Le petit chaperon Cruz
Il était une fois une petite fille que tout le monde aimait dans son pays, le Costa Rica, surtout sa mère. Le football lui a offert de porter le maillot blanc lyonnais, le maillot bleu parisien, mais surtout un maillot rouge, celui de la sélection nationale. Ça, c'est l'histoire de Shirley Cruz.
Si l’histoire entre Shirley et la France dure depuis plus de dix ans maintenant, elle aurait pu ne jamais commencer : « En fait, au Costa Rica, nous avons l’habitude d’aller aux États-Unis pour poursuivre nos études supérieures. Moi, pour finir mes études, j’avais l’opportunité d’aller dans une université au Texas. Mais en même temps, j’ai eu cette opportunité de venir en Europe. Le choix n’était pas facile à faire. J’en ai beaucoup parlé avec ma mère. Finalement, j’ai choisi l’option la plus inattendue, la moins évidente… celle de venir en France. La culture française m’attirait, c’était quelque chose de nouveau et de différent par rapport à la culture nord-américaine à laquelle nous sommes habitués au Costa Rica. Et plus de dix ans plus tard, je suis encore ici ! »
Erasmus et deuxième papa
Cette découverte d’un nouveau continent n’est pas simple, mais elle s’accroche : « À la maison, on a toujours était nombreux, nous sommes sept frères et sœurs. Je n’ai jamais été seule, donc c’est sûr que le fait de me retrouver seule a été la partie la plus difficile en France. Mais, à mon arrivée à Lyon, j’ai eu la chance d’avoir une coéquipière brésilienne qui avait le même âge que moi, et on a pris soin l’une de l’autre. » Et c’est dans la difficulté que naissent les grandes femmes : « Apprendre à cuisiner, à être autonome dans mon quotidien, à prendre des décisions seule. Tout cela sans l’aide de ma famille m’a aidé à devenir mature beaucoup plus vite. Au Costa Rica, j’étais toujours dépendante de mes parents, de ma famille, ici j’étais la seule responsable de mes actes. » Dans cette première étape française, entre 2006 et 2012, un homme va jouer un rôle essentiel, l’entraîneur lyonnais de l’époque, Farid Benstiti. Si bien qu’elle le considère aujourd’hui comme son deuxième père : « En fait, quand je suis arrivée à Lyon, c’est la première personne que l’on m’a présentée et j’ai été avec lui une semaine sans savoir que c’était l’entraîneur ! On me l’avait présenté en français, et moi, je ne comprenais rien. Personne ne me l’avait expliqué en anglais, là au moins j’aurais pu comprendre qui il était ! Il s’est très bien occupé de moi. Niveau football, j’ai petit à petit montré mes qualités, et lui a su me faire confiance à l’OL. La joueuse que je suis aujourd’hui, je le dois à Farid. »
Et c’est à Lyon qu’elle va vivre ses plus belles émotions sportives, avec notamment la victoire en Women’s Champions League en 2011 (sans Farid Benstiti, parti en 2010, ndlr) : « On était comme des gamines. Pendant une semaine, on était sur un nuage. C’était une première pour nous toutes, pour le club et pour le football féminin français. Le secret de cette victoire, c’était l’équipe, ce que l’on formait ensemble : une véritable équipe. Au final, c’est ce que le football t’offre de plus important : des rencontres et des souvenirs. » Mais il était écrit que les destins de Shirley Cruz et de Farid Benstiti étaient liés. Après avoir fait le tour de la question et des titres après six ans à Lyon (six titres nationaux consécutifs, trois finales et deux victoires en Women’s Champions League entre 2010 et 2012), Shirley rejoint Paris en même temps que son ancien mentor à l’été 2012. L’objectif de faire du PSG féminin un grand d’Europe, à l’instar de l’équipe masculine, prend forme depuis : « On a progressé peu à peu. L’an dernier, on a réussi de belles choses. On a éliminé l’OL en Coupe d’Europe, alors que personne ne nous pensait capables de réaliser un exploit pareil. On a malheureusement échoué en finale, c’est dommage. Mais cette année, on est donc devenues une équipe avec des références, au niveau national et européen. J’aimerais bien finir cette étape avec le PSG en gagnant un titre. Parce que depuis que j’ai quitté Lyon, j’ai obtenu des récompenses individuelles mais pas collectives. J’aimerais donc bien partir sur un trophée. » (Propos recueillis avant l’élimination en Coupe de France et avant la demi-finale aller contre Lyon, ndlr.)
En effet, cette saison semble être la dernière pour Shirley dans la capitale française : « Je dois maintenant penser à beaucoup de choses par rapport à mon avenir. Chaque année, il faut renouveler ses objectifs, se fixer des buts. Dix ans en France, ça fait beaucoup. Ma famille me manque, mon pays me manque. Ce sont des choses qui peuvent paraître insignifiantes, mais qui font partie de ma réflexion. Quelle que soit ma décision, que je reste ici à Paris ou que je change de club, je pense en tout cas que je ne reviendrai pas seule. Depuis les attentats de novembre dernier, je suis… comment dire… plus sensible, je crois. » Cette vie française lui a en tout cas beaucoup apporté : « C’est ici que je suis devenue femme. J’ai beaucoup appris sur ce pays et à beaucoup d’autres niveaux. Au niveau de la culture générale par exemple, j’ai appris énormément de choses. Un exemple : j’ai découvert la culture musulmane avec certaines de mes coéquipières, ce sont des choses que je n’aurais jamais pu apprendre au Costa Rica. En fait, grâce à mon expérience en France, je vois le monde différemment. »
Les USA, puis le bled
À 30 ans, Shirley Cruz a encore un dernier objectif dans sa carrière. Elle le préparera donc sans doute loin de l’Hexagone, peut-être aux States. Car ce qui la motive par-dessus tout, malgré un genou récalcitrant depuis plusieurs saisons, c’est le maillot rouge de l’équipe nationale, la Sele : « Ce que j’aimerais vraiment, si mon corps me le permet, ce serait de pouvoir jouer les éliminatoires et la Coupe du monde en France en 2019. Cette épreuve en France, ça représente mon but ultime. Chaque fois que je reviens au Costa Rica pour jouer avec la sélection, je deviens folle ! C’est quelque chose dont j’ai besoin, c’est comme une seconde famille. » Même si après plus d’une décennie en France son rapport à son pays d’origine est forcément différent : « C’est vrai que quand je rentre au pays, je sens une différence, dans la façon d’être, de voir les choses. Mes parents sont toujours préoccupés et me demandent où je vais, avec qui… Moi, je vis en France, et même si je regarde les informations du Costa Rica, je ne vis pas les mêmes choses de la même façon. Forcément, je suis différente de par mon expérience en France. »
Une expérience qui l’amène à avoir un avis tranché sur les aspects à améliorer dans le football féminin de son pays et plus largement en Amérique latine : « Après ma carrière, j’aimerais d’abord reprendre et finir mes études, et ensuite aider au développement du football féminin en apportant mon expérience, mon vécu à l’étranger. C’est quelque chose de nécessaire pour aider au développement du football féminin. On a démontré qu’un petit pays comme le nôtre pouvait réaliser de grande chose. Mais, cette « génération d’or », comme on l’appelle au Costa Rica, n’aura servi à rien si derrière on ne met pas en place une formation de qualité, des sélections de jeunes… Si on ne profite pas des dates FIFA pour jouer des matchs amicaux, pour progresser, pour faire partager l’expérience des joueuses qui sont à l’étranger… Il y a beaucoup de choses à améliorer, et j’espère pouvoir apporter mes idées. » Shirley Cruz a donc encore quelques étapes à accomplir avant de revenir ranger dans l’armoire à souvenirs chez sa mère tous ses maillots, enfin, surtout celui qui fait battre son cœur, le rouge.
Par Benjamin Laguerre