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« Le pay-per-view peut être avantageux pour le consommateur »
Dans son interview choc de mardi au Figaro, Maxime Saada (Canal+) a émis une possibilité : diffuser la Ligue 1 via un modèle de pay-per-view (match à la carte), le temps de sortir de la crise. Ainsi, Canal+ met la pression sur la LFP, et fait durer le suspense. Mais au fait, c'est quoi le « Pay-per-view » (PPV), exactement ? Maître de conférence à l'université de Paris Saclay et auteur d'une thèse sur les droits TV, Antoine Feuillet prend le temps d'expliquer le fonctionnement, les risques et les enjeux de ce mode de diffusion de demain.
Maxime Saada propose de recourir au « pay-per-view » (PPV) pour diffuser la Ligue 1 après la perte des droits par Mediapro. Concrètement, ça veut dire quoi ?Ça correspond au paiement à l’unité d’un match de football, voire de certaines parties d’un match comme ça se fait en NBA avec des League Pass qui vous donnent le droit de regarder le dernier quart-temps. C’est une consommation du sport à la carte.
Quels sont les avantages de ce système ?Ça dépend des points de vue. Pour le consommateur, c’est du sur-mesure qui permet d’avoir une grande flexibilité. Un spectateur paierait moins, et seulement pour ce qu’il veut vraiment voir. Aujourd’hui, quand on s’abonne à Mediapro ou Canal+, on paye pour l’ensemble des matchs qu’ils diffusent, alors que, souvent, on est fan d’une équipe, et on ne regarde pas tous les matchs d’un championnat. Seuls les événements exceptionnels peuvent être assez chers, comme c’est le cas en boxe. Pour le consommateur, ça peut être avantageux en flexibilité et en coût. Donc c’est positif.
Mais ?Mais du point de vue des Ligues et des clubs, le PPV est plus risqué, voire dangereux. Son fonctionnement n’apporte aucune visibilité sur les revenus que vous allez en tirer sur un an ou deux ans, contrairement au système actuel d’appel d’offres qui donne 4 ans de visibilité économique aux clubs. Le modèle actuel est bien plus sécurisant sur le papier, même si actuellement, on traverse une crise historique. Pour compenser ce risque, il faudrait que le modèle PPV assure un paiement minimum aux clubs.
Concrètement, ça se matérialiserait comment ?Par une plateforme dédiée. Par exemple, aujourd’hui, on peut penser à MyCanal qui serait le portail d’accès aux différents matchs. Après, on peut envisager aussi que la LFP produise sa propre plateforme, même si aujourd’hui elle n’a pas les moyens de production nécessaires à la diffusion d’un match. C’est d’ailleurs ce que projette de faire la Premier League pour l’international, et ce que fait déjà la FFF avec des matchs de N1 et N2 diffusés gratuitement. Pour la LFP, ça demanderait un investissement très important, pas forcément évident dans le contexte actuel.
La LFP pourrait s’engager dans une autodiffusion comme en 2011-2012 avec la Ligue 2 sur sa chaîne C Foot ?Ce n’est pas difficile à croire, même si ce n’est pas la solution idéale. Mais si on compare à la solution proposée par Canal+, effectivement, il vaut mieux pour la LFP qu’elle organise elle-même sa plateforme de PPV, plutôt que d’externaliser à Canal qui prendrait sa part du gâteau. Ça peut être une solution pour augmenter sa visibilité, proposer des prix réduits et revaloriser son produit. C’est le modèle des League Pass de la NBA. Cette solution serait intermédiaire, pour répondre à la crise actuelle. Après, le timing fait que c’est très compliqué sur le plan technique, même si une plateforme de streaming peut se mettre en place très rapidement, puisqu’il faudrait que ce soit prêt début février. On peut aussi envisager une association de la LFP avec un GAFAM pour réussir ce pari.
Vous pensez que le marché français est prêt pour cela ?Oui. C’est difficile de définir un consommateur global, mais il y a énormément de gens qui ne souhaitent plus s’abonner sur un ou deux ans à une chaîne. Or, ce type de plateforme permet cette flexibilité recherchée par le consommateur, avec des prix corrects, pour uniquement les matchs qu’il veut voir. Et il peut arrêter du jour au lendemain.
À quel prix pourrait-on s’attendre ?L’idéal serait de faire des offres sur mesure, de donner un maximum de possibilités. L’accès au match par match est le format idéal pour les grandes affiches. Un autre format où l’on a accès à tous les matchs de son club permettrait d’avoir un peu plus de visibilité pour le club. On peut aussi imaginer une offre qui donne accès aux dix dernières minutes d’un match à des prix très réduits comme en NBA où on peut payer 1 dollar pour les 12 dernières minutes d’un match. On peut imaginer un accès au match pour 3 à 5 euros, et un à une dizaine d’euros pour l’accès à tous les matchs de son club chaque mois.
Canal+ a déjà essayé d’implanter ce système entre 1996 et 2008. Pourquoi ça n’a pas pris ? C’est tout simplement que sur le point technique, le consommateur était habitué à avoir l’abonnement, à allumer sa TV et puis c’est tout. Depuis, on a eu de gros changements sur les modes de consommation, et les jeunes consommateurs sont moins enclins à regarder toute une saison et à payer le prix en conséquence. La révolution Netflix a préparé les consommateurs pour cela. Après tout, dix millions de Français sont abonnés à Netflix, Disney+ ou Amazon Prime.
Tout ça paraît très séduisant, mais il y a forcément des aspects négatifs ?Oui, ça pose notamment la question de la répartition des revenus parce qu’un système PPV risque d’aggraver les inégalités entre les clubs. Un club puissant et populaire gagnerait bien plus d’argent qu’un petit club peu suivi. Autrement dit, au moment de négocier entre eux la répartition des droits TV, les gros clubs auront les arguments statistiques pour dire qu’ils méritent une plus grande part du butin. Ce déséquilibre existe déjà, mais là ce serait catastrophique pour Dijon, Brest et autres clubs supposés faire peu d’audience.
C’est l’une des grandes inquiétudes sur ce système…La tendance globale est déjà assez inégalitaire sur la répartition des droits depuis le début des années 2000. L’appel d’offres actuel devait mieux repartir, et se rapprocher du modèle de la Premier League avec à peu près 70% de solidarité, ce qui est énorme et qui a fait ses preuves en Angleterre. Là, avec la crise, ça change tout et quand Aulas a parlé de Spotify du foot, il a tout de suite remis sur la table la question de la répartition des droits TV. Dans le contexte de récession économique, chacun chercherait à défendre sa part du gâteau et les tensions seraient au moins aussi fortes que celles d’aujourd’hui entre la LFP et les diffuseurs.
Mais mettre en place une diffusion PPV, concrètement, ça sauverait les clubs, ou pas ?Ce serait une solution d’urgence, de transition jusqu’à un nouvel appel d’offres. Malgré tout, ça ne veut pas dire que c’est une décision à jeter. Au contraire, ce serait intéressant que la LFP ait sa propre plateforme pérenne, qu’elle ait la main sur une partie des ses revenus. Aujourd’hui, en matière de pérennité économique pour les clubs, j’ai l’impression que la LFP n’a pas d’autres solutions si Canal+ refuse de diffuser, à part passer par une chaîne en clair, mais là on se demande s’il y a vraiment des candidats.
Quels sont les exemples de réussite d’une diffusion PPV ?Les sports de combat marchent très bien, et depuis longtemps, grâce au PPV, notamment les combats de boxe pour les championnats du monde. Mais c’est parce qu’il s’agit d’événements rares. Le PPV est très intéressant quand on est sur un produit très premium. Par exemple, sur une éventuelle superligue européenne, le PPV serait très intéressant. Sur des grandes affiches, ça permettrait d’atteindre des audiences de plusieurs millions de consommateurs. Imaginez vingt millions de fans qui payent 5 euros pour un derby de Manchester, ça aurait une énorme rentabilité !
Justement, les Anglais ont tenté de le mettre en place en octobre pour les matchs de championnat habituellement non diffusés. Pourquoi ça a capoté ?Le prix était exorbitant, même pour le fan anglais déjà habitué à payer des abonnements très chers. Je ne pense pas que culturellement, ce modèle pose un problème à la clientèle européenne, c’est une habitude à prendre, c’est juste une question de temps.
À l’inverse, ça fonctionne plutôt bien avec la D2 en Allemagne.Effectivement. Si on part sur un prix raisonnable, il n’y a aucune raison que le fan français ne réponde pas présent. Le seul risque, c’est que cela peut poser quelques problèmes techniques sur des évènements où trop de personnes se connectent, mais c’est rare.
Finalement, Canal+ est-il sérieux au sujet du PPV, ou est-ce juste du bluff ?La situation est tellement compliquée que c’est le moment ou jamais d’être créatif et innovant pour satisfaire le consommateur dans un modèle si possible sain d’un point de vue économique. Depuis 20 ans, on était sur des droits TV supérieurs à la valeur de la L1, là on pourrait repartir sur des bases saines. Mais c’est un coup de bluff, Canal joue sur sa position dominante sur le marché. Après, ça peut lui retomber dessus s’il perd les droits et qu’il se retrouve sans L1, parce que malgré tout ce qu’ils disent, Canal+ a encore besoin de la Ligue 1. Sinon, pourquoi se seraient-ils battus pour récupérer les droits de beIN après l’appel d’offres de 2018 ? Ils sont juste dans un jeu de dupes où chacun défend son intérêt. Mais il ne faut pas oublier qu’au bout de la chaîne, il y a des emplois en jeu : ceux des salariés des clubs qui, eux, subiront les conséquences.
Propos recueillis par Adrien Hémard