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Le pari gagnant de Brentford
Après des années passées dans l'ombre des grands de la capitale, Brentford est en passe de se repositionner sur la carte du football anglais. En effet, s'ils parviennent à battre Fulham ce mardi en finale des play-offs dans le cadre d'un affrontement londonien symbolique, les Bees pourraient retrouver la première division, 73 ans après l'avoir quittée. Et ce, grâce à des méthodes peu orthodoxes, faites de modèles statistiques, de calculs de probabilité et de Moneyball.
« Nous étions considérés comme une équipe insignifiante à Londres, je n’exagère pas, c’est simplement ce que les gens ressentaient » . Billy Grant, rédacteur en chef adjoint d’un blog consacré à Brentford, Beesotted, ne lésine pas au moment d’évoquer pour ESPN ce qui a toujours été le lot de son club, passé sous les radars de la première division depuis 1947. « Tout le monde se foutait des méthodes que nous avons employées, poursuit-il. Personne ne s’y intéressait parce qu’ils pensaient que c’étaient des conneries. » Aujourd’hui au contraire, c’est avec intérêt que les visages se tournent vers les Bees, qui pourraient enfin découvrir la Premier League en cas de victoire face à Fulham ce mardi, en finale des play-offs. De fait, ce sont avec des méthodes peu orthodoxes que Brentford a amorcé un improbable essor, à base d’exploitation de défaillances de marché, de calcul de probabilité et de joueurs sortis de nulle part.
Le discours de la méthode
A l’origine du succès de Brentford, il y a un constat et un postulat, tous deux formulés dès la reprise du club, en 2015, lorsque les Bees figuraient en League One, la troisième division anglaise. Le constat était simple : Brentford est un club doté d’un stade minuscule, d’un budget dérisoire et de revenus médiocres. Autrement dit, il ne peut pas rivaliser économiquement avec ses rivaux et ne peut pas miser sur l’argent. Le postulat était limpide : s’il est impossible de battre ses rivaux sur leur terrain, il faut en trouver un autre. « Pour que David batte Goliath, il lui fallait utiliser une arme différente, image Rasmus Ankersen, directeur sportif des Bees. S’il avait utilisé la même arme, il aurait perdu. » En l’espèce, si Brentford ne peut recourir aux muscles, il doit utiliser son cerveau. « Nous ne pouvons gagner en dépensant plus que les autres, alors nous devons gagner en pensant mieux, poursuit-il. La question est donc : comment peut-on faire les choses différemment ? » .
La réponse n’est pas difficile à trouver. Elle se cache dans l’identité du repreneur, Matthew Benham, un ancien parieur professionnel, fan de toujours des Bees, dont la fortune provient de sa société Smartodds. Cette dernière conseillait les parieurs professionnels grâce à des algorithmes à l’époque déjà en avance sur les tous récents xG et xA (expected goals et expected assists). De fait, Benham, dont l’idole est Dick Fosbury, l’homme qui a révolutionné la technique de saut en hauteur aux JO 68, est absolument certain que le pouvoir des nombres est capable de battre l’émotivité de l’instinct humain : « faire différemment » , c’est donc transformer Brentford en un fleuron de la modélisation statistique de pointe, à l’image de ce qu’il avait fait à Mitdtjylland, ce club danois qu’il avait racheté en 2014 et qui était devenu champion pour la première fois l’année suivante. Depuis, le succès, comme à Midtjylland, est au rendez-vous : promu en 2014, Brentford s’est imposé comme un candidat à la montée, qu’elle pourrait finalement obtenir cette année.
Moneyball et POMO
Cette politique se traduit notamment sur le marché des transferts, avec une méthode qualifiée de « Moneyball » , en référence à la très scientifique stratégie qui a permis à la franchise de baseball des Oakland Athletics de tutoyer les sommets. De même, Brentford scrute les statistiques ainsi que la personnalité de chaque joueur pisté. « La clé est de trouver des jeunes talents sous-estimés ou sous-performants, de les développer et de les vendre avec profit, précise Ankersen. Ce qui permet d’apporter graduellement de la qualité à l’équipe. » Brentford a ainsi déniché en Ligue 2, à des prix dérisoires, Neal Maupay, revendu 25 millions à Brighton, puis Bryan Mbeumo et Saïd Benrahma, piliers de la réussite actuelle des Bees. Le club a également dissous son académie, pillée chaque année, dont il ne tirait aucun bénéfice sportif ou économique. Elle a été remplacée par une équipe B qui regroupe certaines pépites passées entre les mailles du filet des académies huppées et de jeunes joueurs étrangers inconnus. Une combine efficace qui permet de transformer les gros, autrefois craints, en alliés, et dont est par exemple issu Chris Mephan, récemment cédé pour 15 millions à Bournemouth.
L’encadrement travaille de la même façon sur le rendement sportif, que ce soit en match avec une armée d’analystes qui envoie en temps réel des données au staff, ou en coulisses : l’acronyme POMO, pour « Position Of Maximum Opportunity » , désigne par exemple les endroits de la surface où marquer est le plus probable, ce qui a beaucoup servi à un trio BMW (Benrahma, Mbeumo, Watkins) sur orbite. Et si les méthodes faisaient ricaner, le bilan est ultra-favorable : Brentford possède le quatrième budget le moins élevé et le deuxième effectif la plus jeune de D2, mais se classe troisième, tout en ayant dégagé 80 millions d’euros en achat-revente lors de la décennie écoulée. Cette année, Brentford a particulièrement bien tourné, bien aidé par une défense renforcée avec l’arrivée de Jansson, au point d’être en phase avec le Table of Justice mis au point par les analystes du club et censé classer les équipes en fonction de leur rendement réel, la (mal)chance en moins. « Quand nous évaluons nos performances, nous ne regardons pas le classement, appuie Ankersen. Nous regardons les critères sous-jacents, avec une approche plus rationnelle qu’émotionnelle » . Si Brentford obtient sa montée face à Fulham ce mardi, il n’y a donc aucune chance que le modèle change. En cas d’échec non plus, d’ailleurs, car tout est affaire de long-terme. Après tout, les chiffres sont bien plus importants que les scores.
Par Valentin Lutz