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« Le parcours de Kévin Anin mérite clairement une chanson »
Médine foulera ce soir l’Olympia à l’occasion de sa tournée Protest Tour. Le défi ? Offrir un concert de légende et prouver à Paris qu’il a la plus belle barbe du rap français. En attendant, le Havrais a deux-trois bricoles à raconter. Où il est question de Marseillaise sifflée, de magnet du PSG sur le frigo et d’histoires tristes.
Après Besoin d’évolution et Besoin de résolution, l’un des titres de Protest Song s’appelle Besoin de révolution. Es-tu capable de briser cette trilogie en invitant Franck Ribéry sur ton prochain album pour un morceau intitulé Besoin d’élocution ? Non, ça sonne moins bien. Ribéry a un talent pour le foot et moins quand il s’agit de faire de belles phrases, mais au moins, il a un talent. D’autres n’en ont pas du tout. Et puis lui, des personnes se chargent de sa communication, alors ce n’est pas bien grave.
Puisqu’on parle de Ribéry, à tes débuts dans le rap il y a une quinzaine d’années, tu faisais partie d’un duo avec un gars qui a joué avec lui à Boulogne-sur-Mer…Oui, j’étais dans un groupe qui s’appelait NH (Norme Havraise, ndlr) avec mon acolyte Moodee. Il a arrêté le rap pour se consacrer au foot et a effectivement joué une partie de sa carrière dans la même équipe que Ribéry (Moudy Konaté a joué à Boulogne de 2001 à 2003 avant de partir à Toulon, ndlr). Mais ce n’est pas pour autant que j’ai rencontré Ribéry.
Dommage, car c’est tendance, les mariages d’amitié entre rappeur et footballeur. Tu n’as pas de meilleur ami footballeur, toi ?Comme je ne suis pas un vrai expert en foot, je ne sais pas avec qui il faut sympathiser ! Plus sérieusement, on peut dire que je suis ami avec Gueïda Fofana dans le sens où je le connais bien et où je vois sa famille régulièrement au Havre. À part ça, j’ai déjà mangé avec Anthony Le Tallec et ça s’arrête là.
Est-ce un hasard si ton morceau Arabospiritual est sorti à peu près au même moment que la naissance de l’amitié entre Ben Arfa et Abd Al Malik ? Ce que je pense de cette histoire, c’est que les amitiés entre rappeurs et footeux virent toujours aux problèmes. Je ne sais plus trop où en sont Benzema et Rohff, mais j’ai cru comprendre qu’ils n’étaient plus trop les meilleurs amis du monde. Je ne m’interdis pas de sympathiser avec un footballeur, mais je n’ai pas besoin de ça pour faire de la publicité à ma musique.
Ta marque de fabrique, c’est le storytelling. Pourrais-tu un jour te servir de Kévin Anin comme sujet ? Le parcours de Kévin Anin mérite clairement une chanson. Kévin Anin, il vient de mon quartier, le Mont-Gaillard. Il est de la BAF (Bigne à Fosse, ndlr), moi je suis de La Place. Ça, ça ne parle qu’aux Havrais. Bref, il pourrait faire l’objet d’un « Enfant du Destin » . Si je devais le faire, je le traiterais plus philosophiquement que les autres morceaux, dans le sens où je m’attarderais plus aux enseignements de son histoire qu’à l’histoire en elle-même. Kévin, il était dans mon école primaire. Je crois qu’il était dans la même classe que mon petit frère. Au quartier, il a toujours eu la réputation d’être quelqu’un d’authentique : il sait donner le respect quand ça s’impose et il sait être arrogant quand il faut l’être. Je ne suis pas en train de jouer du violon, Kévin Anin, c’est un super mec. Ça m’a forcément rendu triste d’apprendre qu’il avait eu un grave accident.
Il y a un autre Havrais que tu connais bien, c’est Amadou Alassane, qui a arrêté le foot à cause de problèmes cardiaques…On a été voisins de palier pendant deux ans. Un jour, en bas du hall, il m’annonce qu’avec l’argent qu’il commence à gagner, il s’apprête à déménager dans un coin tranquille. Quelques jours plus tard, j’apprends qu’il ne peut plus jouer chez les pros à cause de problèmes au cœur. Je ne l’ai pas revu depuis ce jour-là. Les gars comme Anin ou Alassane, je sais qu’ils réussiront dans la vie, même si ce n’est pas dans le foot.
Dans le morceau LH, tu dis : « Mais d’où viennent Niang, Diawara et Fofana ? » T’es supporter du HAC ? La réputation du HAC est d’être un grand club formateur. Au Havre, tout le monde a un ami qui est passé au centre de formation. Moi, je suis profondément havrais. Alors même si je ne suis pas un grand fan de l’équipe du Havre, je continuerai de dire du bien d’elle. Il m’arrive d’aller voir des matchs, même si je ne suis pas encore allé dans le nouveau stade.
Le stade Océane ?Ce nom pue la merde. Ils ont fait un tirage au sort pour le trouver ? J’ai du mal à croire que des mecs se soient réunis et aient arrêté leur choix sur ça ! Le stade Niang ou Diawara, ça, ça aurait donné envie de faire le déplacement.
As-tu déjà eu une licence dans un club de foot ?Oui, dans le club du Mont-Gaillard. On avait un maillot orange. J’avais acheté de belles chaussettes orange et noir. Je jouais avec les poussins 3. Pour bien situer mon niveau, j’avais la réputation de ne me servir que du pointard.
Wati B apparaît à l’arrière du short de Montpellier. Sur quelles fesses accepterais-tu de voir le nom de ton label Din Records ?Le PSG ! Tout simplement parce que c’est le club que j’aime, et ça ne date pas d’hier ou avant-hier. Quand j’étais petit, mon oncle qui habitait à Argenteuil m’emmenait voir les matchs au Parc des Princes. Le Havre, c’est un peu la campagne, alors quand j’allais voir un match avec mes cousins à Paris, pour moi, j’étais dans un parc d’attractions. Je regardais plus les tribunes que le terrain. Mon oncle nous payait un McDo, il nous achetait devant le stade le magnet du PSG qu’on collait sur le frigo. Pour ce qui est de l’arrivée des Qataris, je regarde tout simplement. Quel est le but de leur arrivée ? Quel est le taux de passion dans tout ça ? Veulent-ils en faire un club ultra bling-bling ou est-ce qu’ils comptent préserver les traditions du PSG ? Moi, je suis un mec nuancé. Alors je ne suis ni enthousiaste, ni réfractaire.
Sur l’album Arabian Panther, tu finissais une chanson en disant « J’attends le prochain match pour siffler la Marseillaise. » Si on t’invite demain pour la chanter avant un match au stade de France, tu honores l’invitation ? Cette phrase, il faut la replacer dans son contexte. Le morceau en question, RER D, traite d’un fait divers, du mensonge de Marie Leblanc qui a accusé trois jeunes d’une agression à caractère antisémite. On a eu droit à une caravane de politiciens et de philosophes qui ont parlé de petits Palestiniens à la française, d’intifada… Puis la vérité a été rétablie, Marie Leblanc a avoué qu’elle avait tout inventé. Je me suis senti sifflé pendant trois jours. Alors oui, on a le droit de siffler la Marseillaise ! C’est même clairement un acte de résistance. Renaud le dit mieux que moi : la Marseillaise même en reggae, ça m’a toujours fait dégueuler. Tu comprends bien que si on m’invite, je laisserai gentiment ma place à un autre.
Dans Protest Song, il y a une seule référence au foot ( « Inutile comme les bras de Zidane » ). C’est très peu pour un album de rap français en 2013… C’est vrai. C’est peut-être parce que je ne m’y connais pas assez en foot, peut-être aussi que quand les autres rappeurs voient des footballeurs pro, moi je vois un ami ou un voisin. Aujourd’hui, c’est un terrible défaut de ne pas être au courant du dernier transfert du mercato. J’ai entendu que sur l’année 2012, un tweet sur trois concernait le foot. Le seul truc qui me pousserait à m’y intéresser plus, c’est le lien social que ça peut créer. Combien de fois j’ai entendu mon boulanger relancer un client qui lui demandait juste une baguette en lui parlant du match qu’il avait vu la veille à la télé ?
Propos recueillis par Matthieu Pécot
Voir : Médine à l’Olympia, ce soir
Écouter : Protest Song (Din Records/Because Music)
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