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Le « Panini » des amateurs belges
Trifon Ivanov, Carlos Valderrama, Zdravko Zdravkov… Nombreux sont les joueurs qui ont enchanté les fans en s'affichant tout sourire dans un album Panini. Dans la Province de Namur (Belgique), ce sont désormais les Bertrand Flamme, Cédric Munaut ou autres Rom ‘proute’ Desille qui exhibent leurs fossettes dans un album inédit sur le foot de village.
« L’idée de créer un annuaire est venue du fait qu’il existe un album Panini depuis des années. Mais seuls les footballeurs professionnels sont mis en évidence, alors que ça ne les intéresse pas d’acheter ça. Par contre, cela peut constituer un super souvenir pour les footballeurs amateurs. » Philippe Bughin est heureux. Le journaliste belge y pensait depuis longtemps, il a enfin pu réaliser ce recueil, qui reprend les photos de tous les joueurs de toutes les équipes des divisions provinciales 1 et 2 de Namur (équivalentes de la Division d’Honneur et la Division Supérieur Régionale).
Qui lit ça ?
Mais au fond, ça intéresse qui d’avoir les têtes des braves types qui jouent aux plus bas niveaux du pays ? Les joueurs eux-mêmes, pardi ! « Car la première chose qu’ils demandent quand ils rentrent aux vestiaires, c’est : « Ils ont fait quoi les autres ? » » , poursuit Bughin. Cet annuaire, sorti fin janvier, n’a pas tardé à créer un petit bouleversement dans les villages de la Province. « Les premières réactions des joueurs étaient plutôt enthousiastes, confirme Pol Minon, milieu de terrain du FC Chevetogne (P2B – DSR en France). En tant qu’amateur de foot, c’est une fierté de se retrouver dans un livre pareil. C’est aussi une façon de garder un souvenir, c’est sûrement quelque chose que je garderai très précieusement. »
À côté de ça, même si les travées des stades régionaux se vident de plus en plus, l’autre public-cible, c’est le supporter. Car la majorité des suiveurs accostés aux barrières ornées de sponsors des bouchers et épiciers du coin, ce sont les pères des joueurs. Et quand ils se font rabâcher les oreilles chaque semaine à propos d’un « terrible buteur » du village voisin, ils ont bien envie de mettre une image sur ce gars. Ils pourront ainsi tranquillement préparer leur fils à le tenir à la culotte lors de sa venue au stade communal.
Rêver que leurs enfants se les échangent
La sortie de cet annuaire crée donc la sensation dans les petits clubs « du dimanche » , comme l’explique Xavier Pierrard, attaquant de Somzée, dernier de P2B. « À la sortie de l’album, on était impatients de le voir. On imaginait des autocollants Panini et on charriait certains en imaginant nos enfants échanger ceux-ci à l’école ou les coller sur des réfrigérateurs. (Par contre), la pub faite autour n’est pas immense donc je ne suis pas plus connu qu’avant. (rires) »
Figurer dans l’annuaire est donc une fierté, et certains s’en vantent même sur les réseaux sociaux en publiant leur photo officielle, souvent accompagnée de commentaires moqueurs mais bienveillants. Pour ceux qui ne sont pas dans le bouquin (il y a eu quelques erreurs et échanges), c’est donc la déception. C’est ce qui est arrivé à ce joueur de l’Arquet (P1), qui a vu la photo d’un de ses coéquipiers se coller à ses attributs sportifs. « Il a été déçu, comme tous les autres pour qui il y avait une erreur, se chagrine Bughin. Ils m’ont d’ailleurs quasi tous écrit la mort dans l’âme. »
Les joueurs auraient-ils une obsession pour cet annuaire ? Cette « célébrité » amène en tout cas certaines personnes à se demander si ce n’est pas de trop pour ces gars du coin. Le nombre d’amateurs au « gros salaire » (qui peut allègrement dépasser les 700€ par mois) est en croissance, et le melon n’est jamais très loin… « Les joueurs n’ont pas besoin d’un magazine, ils se prennent déjà pour des mini célébrités, dénonce Michel Demars, du RFC Bioul 81. Ce sont des petites vedettes régionales. Et attention, quand on les écoute, ce sont les meilleurs, hein ! »
En tout cas, en dehors de la fierté de se contempler au milieu d’autres footeux, les joueurs peuvent utiliser ce support… pour se remotiver, théorise un membre du RCS Schaltin « Pour moi, ça peut aider les joueurs qui ont des difficultés dans leur équipe. Imaginons un joueur « de renommée » qui a du mal à s’imposer dans son nouveau club. Le fait de se voir dans ce magazine peut remonter son moral. » Mais aussi faire sa pub s’il veut se tirer la saison prochaine.
L’inconvénient de se connaître
Maxime Collet, journaliste : « Pour chaque équipe, on a entre 4 et 6 numéros de téléphone. Pour ce qui est de la prise de contact, tout se fait donc du bureau, assis, tranquille en buvant des bières. » Mais si la collecte d’infos semble facile et agréable, Dieu seul sait comme ce fut difficile d’amasser toutes les photos. Les amateurs n’ont pas autant de liberté que les pros, et il arrivait que les photographes se pointent à l’entraînement et trouvent 7-8 malheureux joueurs sur la pelouse… Il fallait donc revenir ou demander aux membres du club de profiler le reste de l’équipe. « Mais moi j’avais oublié de faire une photo d’un joueur, confie Eddy Morue (CS Onhaye). Donc je l’ai prise sur Facebook et on l’a recadrée. Le problème, c’est que le photographe du cliché original ne l’a pas bien pris et il s’est franchement fait entendre (rires). »
La rédaction a également été un petit casse-tête pour les journalistes. Fort proches des acteurs du foot, ils ont dû peser leurs mots pour ne pas vexer les clubs et ainsi compromettre l’achat de l’ouvrage. « Les clubs et joueurs ont toujours envie d’entendre du bien sur eux, analyse Philippe Bughin. Par équipe, on proposait un onze type, ensuite on citait d’autres titulaires potentiels, et enfin il restait à constituer le banc. Mais c’est plus délicat d’y mettre un joueur qu’on connaît, ça peut créer des tensions. » Tensions que veulent bien sûr éviter les entraîneurs, qui nient tout mouchardage. « J’ai tout de suite dit que je n’étais pas responsable de ça. » , rigole l’entraîneur du FC Eprave.
Ça n’en reste pas moins un travail de fourmi (qui a déjà ne fût-ce qu’imaginé recenser les joueurs des villages de sa région ?). Et les journalistes ne comptent pas s’arrêter là, car en cas de réussite du premier opus, un deuxième sera lancé, reprenant cette fois absolument toutes les équipes ( « Car ce sont les oubliés des dernières divisions qui l’ont eu mauvaise » ), avec présentation des membres du comité, interview de la star de l’équipe… Ce sera l’occasion de corriger le détail soulevé par tous les acteurs du foot amateur : un annuaire, c’est bien pour analyser les effectifs et tactiques adverses. Mais c’est encore mieux quand on l’a dès le début du championnat.
Par Émilien Hofman