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« Le numéro 10 du Mans m’a prêté ses crampons »
On joue la 41e minute du match de National Concarneau-Le Mans, samedi dernier au stade Guy-Piriou. On entend des rires et des moqueries dans les tribunes. Pourtant Eddy Rosier se tord de douleur. L’arbitre central vient de trébucher sur un trou dans la pelouse et se casse la jambe. Le quatrième arbitre n’existant pas à ce niveau, le speaker du stade est sommé de trouver un remplaçant le plus rapidement possible en tribunes. Steven Dréau, 25 ans, lèvera sa main. Originaire de Saint-Thois, celui qui officie dans des divisions inférieures a pris la place d’arbitre de touche : il nous raconte cet événement et sa vie d’arbitre régional.
Salut Steven, t’es-tu bien remis de la semaine folle que tu viens de vivre ?Oui, j’ai mis un peu de temps à comprendre un peu ce qui m’est arrivé, c’est vrai que l’engouement que ce match a pris pour moi et mon entourage, c’est complètement fou.
Pourtant, le plan initial était seulement d’aller voir une sympathique affiche de National…Oui, je suis allé au stade avec des amis. On a un collègue, Florian Le Joncour (passé par Caen, N.D.L.R), qui est originaire de la même ville que nous et qui joue défenseur à l’US Concarneau. Et puis il y a l’arbitre qui se blesse. Je voudrais juste avoir un petit mot pour lui. Tout ce qui m’arrive aujourd’hui, c’est grâce à lui et ça me fait énormément de peine pour sa saison…
En cours de match, tu te retrouves en short et avec un drapeau en main, après la blessure de l’arbitre principal, Eddy Rosier. Tu avais prévu le coup, pour t’être équipé aussi rapidement ?Les joueurs ont été formidables, le numéro 10 du Mans (Hamza Hafidi, N.D.L.R.) m’a prêté ses crampons, car en fin de première mi-temps, j’avais des semelles plates que le collègue arbitre m’avait dépannées et ça m’a valu une petite glissade sur la première accélération. Les deux clubs ont répondu présents, au niveau des chaussures j’avais 3-4 paires à disposition, de toutes les marques et de toutes les couleurs !
Tu as donc arbitré un pote, ça t’arrive souvent dans les petits clubs ?J’avais réussi à arbitrer tous les copains qui jouent au foot dans la région. Il manquait plus que lui et ça s’est fait ! Mon approche a été la même que dans n’importe quel autre match. Sur le terrain, il n’y a plus de copains. C’est une super histoire, Florian est un bon collègue et c’est la dernière personne que je croise avant d’entrer sur le terrain : il m’a dit de bien rentrer dans mon match et tout.
Tu es originaire d’un village à mi-chemin entre Concarneau et Brest, ton cœur penche donc plus vers les Thoniers ?Au niveau national, je supporte l’OM, mais sinon, bien sûr que c’est Concarneau. Mais je ne pense pas que ça ait posé problème, en matière de neutralité. Surtout qu’à chaque fois que j’ai levé le drapeau, c’était contre Concarneau !
Tu as été payé pour ce service ?Je vais percevoir des indemnités, comme à chaque fois qu’on arbitre un match. Le soir même on s’est retrouvés dans le bar du village, parce que la mère du joueur de Concarneau tient le bar du village, et j’ai payé ma tournée !
C’est le match le plus prestigieux que tu aies pu arbitrer ?Chez les hommes, oui. Sinon j’ai fait Guingamp-PSG en D1 Féminine. J’arbitre aussi en Coupe de France. Le week-end dernier, j’ai arbitré un premier tour entre une R1 et une R3, Kergoff contre Carhaix. Mais d’habitude, je vais à Plomelin, Quimperlé, Gourin ou Quimper Kerfeunteun…
Pourquoi t’être dirigé vers l’arbitrage plutôt que vers une carrière de joueur ? C’est mon père arbitre qui m’a mis sur les rails de l’arbitrage, il m’a parlé de ce qu’il faisait et j’ai accroché. À l’époque, on arbitrait des matchs ensemble. Il a eu cette phrase il y a quelques années : « Tu ne seras jamais un bon joueur de foot, mais tu peux devenir un très bon arbitre. » Avec le respect des règles et tout ça, on a une certaine affirmation de soi vis-à-vis des joueurs, on ne peut pas laisser transparaître de doute même quand on en a. Et dans la vie de tous les jours, c’est un plus sur un CV, c’est une preuve de maturité.
Qu’est-ce qui te pousse à te lever tous les dimanches pluvieux pour prendre le sifflet ?La passion ! Le plaisir de voir les joueurs, de rencontrer des nouveaux clubs… C’est toujours sympa d’échanger avec les joueurs. On n’est pas là pour faire l’autorité, le but c’est que tout se passe bien et en tirer les meilleures conclusions à la fin du match.
Ça t’arrive les insultes ou les menaces sur les petits terrains du Finistère ?Des menaces non, après les discours de supporters chauvins… Presque tous les dimanches hein, même à Concarneau j’en ai entendu ! Mais on a des œillères, ça passe au-dessus. À Concarneau, j’ai appris qu’un supporter a voulu entrer sur le terrain sur le but concarnois, et il était juste derrière moi ! Deux agents de sécurité l’ont stoppé, mais je ne m’en suis pas rendu compte. Il faut rester dans le match et on ne peut pas commencer à écouter les supporters qui vous insultent, car c’est copieux des fois. (Rires.)
Cela fait 8 ans que tu gravis les échelons pour arbitrer toujours plus haut dans le foot français. Ce qui s’est passé samedi t’a donné envie de consacrer plus de temps à l’arbitrage, toi qui es encore jeune ?C’est sûr, même si avec la carrière professionnelle, c’est compliqué. Mais j’ai l’objectif chaque année de monter à la division supérieure. Chaque arbitre qui est motivé a cet objectif.
Qu’est-ce que tu fais dans la vie sinon ?Je suis en école de police, je sors en décembre sur Paris normalement. Avant, j’avais un DUT Conduite et gestion d’un élevage canin et félin, je n’ai pas du tout suivi cette voie… J’ai passé mes diplômes d’agent de sécurité, puis j’ai eu mon concours d’agent dans la police, puis celui de gardien de la paix.
Que comptes-tu faire ce dimanche ? Te rendre au Roazhon Park pour Rennes-Bordeaux en prévoyant cette fois-ci d’emmener les crampons et le gel douche ? (Rires.) Non, ça sera un match de R1 avec un club brestois en tant qu’arbitre de touche.
Propos recueillis par Jules Thomas
Crédit photo : Thomas Lavaud