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Le nouveau Griezmann
Alors que de nombreux observateurs ont cru voir un Griezmann diminué ou en méforme contre la Roumanie, le joueur de l’Atlético a surtout surpris par son nouveau positionnement en attaque. En l’absence de Karim Benzema, Grizou devait logiquement devenir le leader technique de l’équipe de France, comme en amical contre la Russie. Mais l’émergence sensationnelle de Dimitri Payet destine le Madrilène à incarner une cible offensive plutôt qu’un moteur du jeu. Plus de buts, moins de jeu. À la Deschamps.
À San Sebastián, Antoine Griezmann s’était révélé au football européen avec l’identité d’un ailier de poche ibérique : vif mais léger, technique mais peu physique, joueur mais peu buteur. Arrivé à Madrid, il assume non seulement un nouveau statut, mais incarne aussi une nouvelle ère : le Français vient adoucir une attaque de tueurs. Plus de jeu, de toque, d’associations, de jeu entre les lignes. Sur le papier, Griezmann et Mandžukić prennent les places de David Villa et Diego Costa. Le Vicente-Calderón s’attend à voir le Croate collectionner les buts sur les services bienveillants du Français.
Mais en réalité, le Cholo a un autre plan : faire de Griezmann un attaquant total dans la lignée des joueurs les plus applaudis de notre époque, à savoir Messi, Cristiano, Neymar, Rooney, etc. Mais si Diego Simeone est un trampoline, le choc est dur à encaisser. Arrivé à l’été 2014, Griezmann s’est même enfoncé pendant plusieurs mois, comme il le racontait à RMC : « Simeone impose une rigueur, une discipline et une intensité énormes aux entraînements, il m’a complètement changé. Lors des six premiers mois du championnat, j’ai eu des difficultés. J’essayais de tout assimiler, et en match, c’était compliqué. Mais j’ai travaillé dur, très dur… » En décembre 2014, il a enfin intégré la méthode et révèle des prestations d’une intensité physique insoupçonnée.
« Avant, je ne prenais pas goût à aller faire du pressing et, maintenant, mon corps me le demande. Avant, je n’avais qu’un jeu offensif, maintenant j’aide par mon replacement. Tactiquement, je suis meilleur » , admet Antoine à L’Équipe en début de saison 2015-16. Deux ans après le lancement du projet, Griezmann a déjà marqué 57 buts pour les Colchoneros.
Surtout, le numéro 7 a conservé son identité de joueur de contre-pied et son art de la feinte. Griezmann est à la fois un créateur au jeu sobre qui marque des buts d’exception et un buteur froid qui sait créer le spectacle. Difficile à marquer et à cerner, comme un renard, Griezmann n’intimide pas et ne montre pas les crocs. On dirait même qu’il ne mord pas. Et pourtant, il continue à tuer ses proies les unes après les autres, à la construction et à la finition. Rappelant les mouvements de reptile de Djorkaeff ou l’intelligence instinctive d’un Raúl dans la surface, le Madrilène évolue à toutes les positions imaginables sur le front de l’attaque du Cholo : avant-centre avide de profondeur, seconde pointe autour de Torres, ailier droit qui repique dans l’axe et même ailier gauche. Surtout, il incarne à merveille un football sobre et malin qui sait bonifier chaque prise de balle. Et pour Deschamps ?
L’application aux Bleus et l’arrivée de Payet
En bleu, cette transformation se traduit par une prise d’initiatives inhabituelles. Contre la Russie en mars dernier, en l’absence de Benzema et Valbuena, Griezmann porte le jeu sur ses épaules sans prévenir. Le gaucher est alors décrit comme le moteur de l’animation bleue, guidé par un sens du jeu exquis et une science de la possession rare dans le football français de 2016. Il semble alors évident que les Bleus de l’Euro seront guidés par les trajectoires des passes de Grizou. Mais le moteur Payet a poussé Deschamps à réécrire le scénario. À la suite d’une préparation compliquée par sa finale de Ligue des champions, le Colchonero doit sauter dans un train en marche, conduit par un Payet omniprésent au cœur du jeu.
Le match de la Roumanie devait nous révéler la nature de l’association Payet-Griezmann : 4-3-2-1 à la 98 ? La réponse est non. Contre la Roumanie, Griezmann a joué attaquant plutôt que milieu offensif. Plus Raúl que Djorkaeff, donc. En soutien de Giroud, mais même souvent dans la profondeur, le Madrilène a offert une version discrète mais dangereuse. Trois tirs, dont un sur le poteau qui aurait largement changé les gros titres, toujours bercés par le constat du résultat plutôt que la logique de l’analyse. La comparaison avec le match contre la Russie est révélatrice : en une heure de jeu dans chaque rencontre, Grizou passe de 55 à 30 ballons touchés, de 4 longs ballons joués à 0, de 4 centres à 0. Face aux hommes de Iordănescu, le taux de ballons touchés par minute (0,46) est même inférieur à celui de Giroud (0,54) : 30/65 contre 49/90. Et le schéma se répète contre l’Albanie : 10 ballons joués en 23 minutes de jeu. Avec un but précieux.
Les plus et les moins du nouveau rôle pour le collectif
Logiquement, ce changement tactique a des conséquences importantes sur les autres secteurs du jeu des Bleus. Du côté des moins, la première victime de cette nouvelle position est l’influence de Pogba au cœur du jeu. Avec un Grizou écarté du côté droit, Pogba se retrouve encore plus seul au milieu, condamné à compter sur les mouvements de Sagna et les rares visites de Payet de ce côté-là. Encore une fois, une décision tactique de Deschamps a pour conséquence de compliquer la tâche du Turinois, signe que le sélectionneur a une immense confiance en la capacité de son milieu à savoir résoudre toutes les situations. Mais ce n’est pas tout. Plus éloigné de la zone des pertes de balle françaises, Griezmann se retrouve bien moins actif à la récupération, un domaine où le joueur de l’Atlético sait faire parler son intensité et son intelligence, comme il l’avait montré face à la Russie. À la relance, les Bleus perdent également leurs pieds les plus habiles et leur science du toque la plus sophistiquée.
Du côté positif, Deschamps peut désormais compter sur une présence qui soulage le besoin d’efficacité de Giroud et donne au Gunner la possibilité d’offrir aux Bleus son jeu de remise auquel l’Emirates s’est habitué – belle talonnade à signaler lors du match d’ouverture. Le nouveau Griezmann offre aussi de nouvelles solutions de passes verticales à Payet et Pogba et permet d’étirer le jeu vers l’avant. Une nouvelle direction, donc, bien plus mobile et imprévisible que celle donnée par Giroud. Deschamps respecte enfin un principe implacable : placer un buteur – 33 buts cette saison – le plus près possible des cages. En clair, ce changement tactique ressemble au football à la Deschamps. Un football qui opte pour une meilleure finition au prix d’une construction plus périlleuse. Le but plutôt que le jeu.
Les chiffres du changement de rôle
– 36 passes par match cette saison à l’Atlético – un chiffre qui place sa participation à la hauteur de celle du milieu Saúl, plus élevée que celle de Juanfran et même trois fois plus importante que celle des autres attaquants Torres, Correa ou Jackson. En possession ou en contre, les pieds de Griezmann sont un passage obligé de la circulation de balle de Diego Simeone.- 30 ballons touchés en 65 minutes contre la Roumanie, par rapport aux 55 ballons joués en 61 minutes face à la Russie sans Payet.- 5 tirs en 88 minutes de jeu à l’Euro – un chiffre de numéro 9.
Par Markus Kaufmann
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