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Le mythe de l’axe français
Depuis que la charnière Blanc-Desailly a permis aux Bleus d’atteindre le toit du monde, la France du football est persuadée qu’il faut impérativement associer un « libéro » à un « stoppeur ». Des considérations d’un autre temps alors que Deschamps n’a toujours pas fixé sa paire.
La légende commence en 1998. Aimé Jacquet, en bon pragmatique, associe ses deux meilleurs centraux, Laurent Blanc et Marcel Desailly. À droite, le Président, blanc, ancien numéro 10 et donc élégant, technique, bon relanceur, fait pour la lumière. À gauche, Marcel, noir, costaud, dur sur l’homme, impassable en duel, destiné aux basses œuvres. « Lolo était un plus technique, donc je compensais un peu. Il pouvait sortir balle au pied, ce dont je n’étais pas vraiment capable. Souvent, j’allais récupérer le gars qui était parti » , confirme d’ailleurs le natif d’Accra dans une interview accordée à So Foot. C’est oublier un peu vite que Desailly a joué milieu défensif au Grand Milan de Capello, tout sauf une équipe de peintres, et qu’on lui laissait « même tirer les coups francs » . Mais comme les vainqueurs ont toujours raison, l’association caricaturale devient la glorieuse référence. Alors quand Blanc lui-même reprend les rênes de l’équipe de France, son chantier numéro un est vite identifié : « Il y a des secteurs de jeu, notamment la charnière centrale, qu’il faut bâtir. Je le maintiens : l’Afrique du Sud ne nous a pas permis de pouvoir compter sur une assise, sur le plan défensif notamment. Tout est à faire. »
Le grand chantier
Blanc commence donc par chercher son successeur, et croit le trouver en Mexès, en qui il aimerait se reconnaître. Il apprécie sa lecture du jeu, son calme, son port altier. Lui pardonne même ses bourdes. Parce qu’il est alors le dernier « libéro » . Le Cévenol exprime même à l’époque son regret de voir qu’on ne forme désormais plus que des stoppeurs (des « athlètes » dans le texte), et non des libéros. Sauf qu’un athlète de la trempe de Desailly, Blanc n’en a pas sous la main. Il y a bien Sakho, qui serait parfait pour valider la théorie. Sauf que Mamad est jeune, se blesse, souffre de la concurrence d’Alex au PSG. Alors va pour Adil Rami. Un mec bon, mais pas suffisamment pour compenser les errements de son partenaire tatoué. Arrive donc l’Euro 2012. La désormais charnière du Piccolo Milan se fait marcher dessus par Toivonen et Ibrahimović contre la Suède, puis se trouve bien démunie d’idées contre l’Espagne sans 9 – avec Fàbregas – en quarts. Par ici la sortie pour les Bleus, Blanc démissionne. Tout est à refaire.
Arrive Didier Deschamps. La Dèche, en héritier de Mémé, s’en fout des idées. Ce qu’il veut, c’est gagner, peu importe comment. Même s’il faut bétonner. Dès lors, il n’est pas étonnant de le voir associer Yanga-Mbiwa et Sakho lors de ses trois premières sorties. Et si Koscielny prend ensuite la place de l’ancien Montpelliérain, ce n’est pas par volonté tactique, encore moins par respect de la tradition. Le Tulliste est tout simplement le seul central français à être titulaire indiscutable dans un grand club européen. Koscielny-Sakho donc, deux centraux de gauche certes, mais du solide. Pourtant, la paire ne convainc pas tout à fait. Et Deschamps, à la recherche de la bonne formule, tâtonne au gré des blessures, suspensions et méformes. Il réessaye Rami contre l’Allemagne et le Brésil, teste Mangala face à l’Uruguay, tente de relancer désespérément Abidal. Surtout, il attend son homme providentiel : Raphaël Varane. Le défenseur central le plus fort qu’on ait vu en France depuis longtemps. Qu’importe alors qu’il n’ait que 21 ans, qu’il ne soit pas titulaire au Real, que ses sélections se comptent sur les doigts d’une main. Varane fera la France.
Les héros d’hier seront-ils ceux de demain ?
Dès lors, quand il annonce ses 23, Deschamps revient à la tradition. Les techniques Varane et Koscielny d’un côté, les solides Sakho et Mangala de l’autre. Il serait donc facile de penser que l’on retrouvera la charnière du héroïque retour ukrainien au Brésil. Mamad’, même s’il n’a pas beaucoup joué cette saison à Liverpool, aura toujours pour lui son doublé. Sa nomination en tant que capitaine pour le match de ce soir ne dit pas autre chose. Pourtant, comme le disait Luc Sonor ici même il y a quelques années, « il n’y a jamais de grande équipe sans une charnière solide. La complémentarité est indispensable. Pour ce faire, il faut du temps et des matchs. Beaucoup de matchs » . Soit exactement ce que n’a pas la France. Pire, l’opposition s’est diversifiée. Museler Fàbregas ou Diego Costa et Klose ou Götze ne requiert pas les mêmes facultés. Au-delà des basses considérations de « libéro » et « stoppeur » , il faudrait donc deux joueurs polyvalents, capables de rivaliser physiquement avec les vrais 9 et techniquement avec les faux. Il faudrait donc cloner Raphaël Varane. Ou attendre qu’il soit assez fort pour défendre pour deux, qu’on puisse faire reculer Gourcuff.
Par Charles Alf Lafon