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Le mur du Son

Par Maxime Brigand
6 minutes
Le mur du Son

Après une première année compliquée à Tottenham, Son Heung-min a finalement réussi à se faire une place dans les plans de Pochettino. Entre un côté décisif, un lourd costume et un service militaire qui traîne.

Certains costumes sont lourds. Ils portent le poids de l’histoire, d’un héritage. Dans son autobiographie I Think Therefore, I Play publiée en 2013, Andrea Pirlo parlait de Park Ji-sung comme de la « première puissance nucléaire de l’histoire de la Corée du Sud, dans le sens où il parcourait le terrain à la force d’un électron » . L’histoire entre Park et le football professionnel aura duré quatorze ans. Quatorze saisons à cavaler, à bosser comme peu dans le silence, à l’ombre des héros, comme un soldat ordinaire mais essentiel, notamment dans les bras de Sir Alex Ferguson à Manchester United entre 2005 et 2012. L’Europe a fait de lui le joueur asiatique le plus titré de l’histoire, entre quatre Premier League, une C1, deux Eredivisie avec le PSV et quelques récompenses individuelles. Rien de surprenant, au final, pour un type dont la mère rêvait pendant la grossesse d’un dragon qui l’entourait, ce qui est un signe de future réussite. Sauf que le foot n’a plus de Park Ji-sung. Alors, lorsqu’il a décidé de poser ses crampons pour enfiler le costume d’ambassadeur de Manchester United il y a deux ans, l’un des meilleurs potes de Patrice Évra a dû se désigner un successeur. Comme ça, pour passer le témoin en tant qu’ancien capitaine d’une sélection nationale dont il s’était fait retraité en 2011. Ji-sung Hero, comme il est surnommé en Corée du Sud, a alors glissé le nom de Son Heung-min, dix-neuf ans à l’époque. Il en fallait un, ce serait lui. « J’ai été honoré sur le moment. Vous savez, on a partagé notre chambre juste avant la Coupe d’Asie 2011. C’était difficile pour moi de me retrouver avec lui, donc j’allais me coucher une fois qu’il était endormi. Jeune, je le regardais jouer avec Cristiano Ronaldo dans mes rêves. Le titre de successeur de Park Ji-sung est trop lourd. »

Fils à papa et grosse étiquette

Et pourtant. Pourtant, depuis sa première sélection en décembre 2010, juste avant la Coupe d’Asie organisée au Qatar où il marqua un but contre l’Inde en poules (4-1), Son Heug-min avance avec cet héritage et ce poids particulier. Avant de comprendre le fils, il faut connaître le père : Son Woong-jung, ancien joueur, pro un temps au Seongnam FC et international espoir avant de se rompre le tendon d’Achille à vingt-huit ans. L’homme a alors cherché une reconversion après plusieurs années à remettre en cause le système de formation national, trop basé sur l’entraînement physique selon lui. Alors, il a ouvert une école de foot où le ballon est revenu au centre de l’apprentissage et d’où il a sorti ses deux fils : Son Heong-yun et Son Heung-min, plus jeune, dont le surnom était alors Sonaldo. « Je peux comprendre les gens qui me disent : « Pourquoi restes-tu avec ton père alors que tu n’es plus un enfant ? » Mais c’est encore mon père, et aussi mon professeur de foot et mon guide.(…)Aujourd’hui, je suis un adulte, mais je me sens plus en confiance quand il est derrière moi » , argumente celui qui a été accroché par Hambourg à l’âge de seize ans et qui a passé sa jeunesse à bouffer deux séances d’entraînement par jour avec le papa. Histoire de se filer toutes les clés pour rejoindre l’Europe.

❤️

Une photo publiée par Son HeungMin(손흥민)🇰🇷 (@hm_son7) le 28 Août 2016 à 19h19 PDT

C’est là que l’ailier a définitivement explosé, à Hambourg d’abord, puis à Leverkusen, avant d’atterrir à Tottenham en août 2015 avec l’étiquette de joueur asiatique le plus cher de l’histoire – trente millions d’euros, soit cinq de plus que le transfert de Nakata à la Roma quatorze ans plus tôt. Mauricio Pochettino rêvait de le ramener avec lui depuis longtemps et lui a fait savoir dès leur première rencontre : « Il n’y a eu aucun appel du coach pour me faire venir. Mais après la signature de mon contrat, lors de notre premier rendez-vous, il m’a dit en blaguant : « Pourquoi avais-tu refusé de venir lorsque j’étais à Southampton ? » Pour moi, Tottenham joue un football agressif, ce qui me correspond, et j’aime le pressing direct sur l’adversaire. Je pense que je peux devenir un meilleur joueur si je m’entraîne avec Pochettino. » Il lui a fallu patienter, se battre pour se faire accepter, il a même pensé partir cet été après une première saison à grignoter des bouts de match avec les Spurs, barré par Eriksen sur la gauche du 4-2-3-1 de Pochettino. Puis, le temps a fait son travail et Son s’est montré sous les explications du technicien argentin : « Pour tous les joueurs qui viennent d’un autre pays que l’Angleterre, c’est compliqué – la Premier League est l’un des championnats les plus difficiles du monde. S’imposer ici est une chose difficile. Après un an et un été, c’est une nouvelle situation pour lui. Il est plus mature et il est désormais fantastique. » La preuve ? Un jeu durci, une mentalité avec et deux doublés depuis le début de saison dont le dernier à Middlesbrough samedi. Chouette.

Vidéo

Un petit service

Reste que, derrière la promesse révélée, traîne une personnalité qui explique beaucoup des difficultés rencontrées lors de sa première année anglaise. Depuis le début de sa carrière, Son Heung-min s’est renfermé, a souhaité ne traîner qu’entre personnes du milieu et passer plus de temps chez lui qu’avec des amis hors foot. Car il le dit lui-même, il n’en a pas. « Chez moi, en Corée, je n’avais pas le temps de rencontrer des gens en dehors du foot, parce que je m’entraînais tout le temps. Et cela n’a pas changé en Allemagne. Quand j’étais dans les équipes de jeunes à Hambourg, je sortais avec mes coéquipiers et c’est encore le cas aujourd’hui. Vous pouvez dire que les seules personnes que je connais sont des footballeurs ou des personnes qui bossent dans le foot. Mais je m’en fiche. Il y a beaucoup de personnes intéressantes dans le foot. » Il ne jure que par le boulot et refuse de s’éparpiller.

C’est la raison principale pour laquelle il s’est brouillé avec son ancien coéquipier, Hakan Çalhanoğlu, à son départ de Leverkusen après que l’international turc a balancé dans la presse que Son avait « séché un entraînement pour partir à Tottenham. J’avais la permission de passer une visite médicale sous 48 heures. Hakan avait déjà foutu le bordel quand il avait quitté Hambourg pour Leverkusen. C’est pour ça que j’ai dit que « ceux qui vivent dans des maisons de verre ne devraient pas lancer de pierres » aux médias allemands. C’est dur à encaisser et je n’ai pas pu dire au revoir en personne au staff de Leverkusen et aux joueurs, donc j’irai les voir bientôt. » Il en aura l’occasion le 18 octobre prochain en C1. Avec son nouveau statut et toujours une autre menace qui se balade au-dessus de sa tête depuis plusieurs années : le service militaire de 21 mois obligatoire en Corée du Sud pour chaque homme avant ses vingt-huit ans. Pour les footballeurs, la seule exception est pour un joueur qui a remporté une médaille olympique ou un trophée en Asie. Ce qu’il n’a pas encore fait, échouant notamment en finale de la Coupe d’Asie 2015 contre l’Australie et refusant un temps plusieurs convocations pour se consacrer à sa carrière de club. « Je suis encore jeune et j’aurais plusieurs opportunités d’aider mon pays. Je le sais. » L’histoire se poursuit, donc. Mais avec un sourire retrouvé.

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Par Maxime Brigand

Propos de Son Heung-min tirés de FourFourTwo et de JoongAng Ilbo.

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