- Angleterre
- Scandale de pédophilie
Le monstre des temps perdus
Tout a commencé à Crewe, dans le Cheshire. Puis il y a maintenant Newcastle, et après ? Alors que l’Angleterre du foot commence à prendre conscience du passé pédophile de certains de ses formateurs, l’heure est à la multiplication des témoignages. Plongée dans l’horreur.
C’est comme ça que tout a commencé. « Un rêve de gosse. » Celui d’un gamin repéré sur un terrain de Stockport par une référence du scouting. Un homme qui passait sa vie à arpenter les pelouses du North West et des Midlands pour dessiner le futur d’institutions comme Stoke City, Manchester City ou Crewe Alexandra. Sa cible ? Les jeunes de neuf à quatorze ans. De l’avis de tous, Barry Bennell avait ce talent pour trouver le joueur à part, celui qui avait de l’avenir et qui avait les épaules pour que son nom soit un jour couché dans les listes d’un effectif pro. Mieux, il était « serviable et attentionné » selon certains témoignages. Une forme de sécurité pour les parents. Bennell prenait les enfants sous son aile et les faisait même parfois rester chez eux. Bascule. « Quand vous passiez la porte, il y avait trois machines à fruits. Il avait un billard. Il y avait, aussi, un petit singe dans une cage qui pouvait venir s’asseoir sur vos épaules. Il avait deux chiens de montagne des Pyrénées. Il a même gardé un chat sauvage un temps. C’était mon rêve, être un footballeur, et c’était comme me donner des petites sucreries : « Tu peux rester avec moi et voilà ce que je peux faire pour toi » » , raconte Andy Woodward, aujourd’hui âgé de quarante-trois ans. Bennell est alors l’un des meilleurs formateurs d’Angleterre. Parfois, Woodward l’accompagne voir des matchs de l’équipe première de Crewe Alexandra qui évolue à l’époque en quatrième division nationale. Le club est alors coaché par Dario Gradi, aujourd’hui devenu directeur technique après plus de 1200 matchs dirigés sur le banc des Railwaymen, un surnom tiré de la réputation de carrefour du réseau ferroviaire de Crewe. Et tout a basculé. Voilà comment Barry Bennell est devenu dans la bouche d’Andy Woodward le monstre.
« Tu vois à quel point je suis puissant ? »
Bennell aimait les petits bruns. Les gosses comme Andy. Alors, il a commencé à jouer avec eux, à utiliser le chantage et à les garder pour les vacances scolaires. Parfois, le formateur sort un nunchaku pour impressionner sa cible. D’autres fois, il la menace. Et toujours, cette phrase qui revient : « Tu vois ce que je peux faire, tu vois à quel point je suis puissant ? » Un putain de refrain quand il n’utilisait pas le football comme levier en mettant une place de titulaire en jeu pour le prochain match. Alors, les attouchements ont commencé. Selon Woodward, le nombre de victimes pourrait être à trois chiffres. Il est le premier à avoir parlé le 16 novembre dernier au Guardian, mais n’est pas le seul. Ou comment est ressorti le feuilleton Barry Bennell. Andy Woodward, qui a arrêté sa carrière pro à vingt-neuf ans après avoir longtemps inventé des blessures à cause des traumatismes, n’est donc qu’une partie de l’iceberg. Son histoire est glaçante et a pris une autre tournure lorsqu’il avait quatorze ans. Car Bennell va tomber amoureux de la grande sœur de Woodward, alors âgé de seize ans. « Il était vraiment plus vieux qu’elle, donc il ne voulait que personne ne soit au courant. Si un mot sortait, il me disait que je ne pourrais plus jamais jouer au football de ma vie.(…)Il avait donc un contrôle total sur moi.(…)Plus tard, quand leur relation est devenue publique, il venait manger le dimanche chez moi, assis avec ma mère et mon père à rigoler et blaguer. Moi, je souffrais en silence. » Jusqu’à un mariage en 1991 comme point culminant de « la torture » .
« Vous êtes un pédophile, il n’y a aucun doute »
Alors Andy Woodward a avancé en fermant sa gueule entre « deux mondes » , avec l’incapacité de se confier à un vestiaire pour éviter tout ce qu’on peut imaginer, mais en se livrant, parfois, à ses entraîneurs. Puis Bennell a été dégagé de Crewe Alexandra en 1992 sans que personne n’ait vraiment d’explications à l’époque. Il a alors filé aux États-Unis, mais a été arrêté deux ans plus tard en Floride pour avoir tenté des approches sur un gamin lors d’un stage. Les autorités américaines parlent de « son appétit » pour les jeunes garçons. Puis ce sera la taule après plusieurs plaintes. À son procès, le juge est clair : « Vous êtes un pédophile, il n’y a aucun doute. » La presse nationale ne couvre pas le procès, seuls quelques articles locaux en font écho en racontant comment Barry Bennell effrayait les gosses avec des films d’horreur notamment. Puis, en mai dernier, un nouveau témoignage débarque et le renvoie en prison. Le moment choisi par Woodward, quelques mois plus tard, pour livrer son expérience. Les langues commencent, depuis, à se délier. Steve Walters, un autre ancien du système Crewe Alexandra qui a connu ensuite une carrière relativement anonyme, a donné son témoignage au Guardian à son tour. Une ligne téléphonique a été lancée pour écouter de nouvelles victimes. Bingo. Dans la soirée de jeudi, le quotidien britannique a révélé qu’un ancien joueur de Newcastle avait accusé son ancien formateur, George Ormond, d’attouchements sexuels. La mèche vient d’être allumée.
Par Maxime Brigand
Tous propos tirés des reportages du Guardian.