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Le monde de Charlie
Depuis qu’il a découvert la Premier League en 2010, Charlie Adam y traîne sa dégaine atypique. De Blackpool à Liverpool, en passant par Stoke City désormais, le milieu écossais ne laisse personne indifférent. Parce que son image renvoie aux racines britanniques d’un football révolu. Entre frappes chirurgicales, tacles de boucher et bière à foison en dehors des terrains.
Dans chaque écrin du Royaume, sa démarche singulière ne passe jamais inaperçue. Dépareille, même. Le crâne quelque peu dégarni, la gueule édentée et l’embonpoint prononcé, Charlie Adam n’est pas franchement le genre d’hommes à verser dans la préciosité. Si l’on devait personnifier le football britannique d’antan, l’Écossais en serait la digne incarnation. Le vestige d’un autre temps, d’une autre époque, d’un autre style. Parce que chez lui, il n’y pas seulement une dégaine anachronique, mais aussi une façon qui lui est propre d’appréhender les matchs. Des combats plus que des rencontres, d’ailleurs. Comme cette prestation contre Chelsea, début novembre (1-0), où il offre un récital de taquets et de tacles appuyés. Ce qui lui vaudra des remontrances publiques de la part des Blues. « C’est un jeu d’hommes. C’est aussi simple que ça, se justifiera le milieu de terrain en guise de réponse à ses détracteurs. On est là pour gagner, c’est du 50-50. Le vrai jeu a disparu. À quand remonte la dernière fois que vous avez vu un bon match britannique ? Quand j’étais jeune, je me souviens que je regardais des gars comme Patrick Vieira, Steven Gerrard ou Roy Keane. Ils jouaient durement, mais taclaient toujours de manière juste, ce que j’appréciais. C’est ainsi que je vois le football. Le football est une bataille. Voilà ce qu’il en est. Je n’ai pas l’intention de blesser quelqu’un, je veux juste gagner. » Cette réputation de découpeur qui semble désormais l’accompagner, il ne l’a pas volée ces dernières années au gré de semelles assénées à Gareth Bale et Olivier Giroud, voire de prises de lutte improbables sur Alexis Sánchez. Mais ce serait trop vite et injustement réduire Charlie Adam à ce statut peu flatteur. Car le bougre reste, malgré tout, un joueur honnête et plutôt adroit.
Révélation et grosses frappes à Blackpool
Né avec le même blase que son paternel, lequel était un ancien joueur qui a connu différents clubs écossais durant les eighties, Charlie Adam a dû s’armer de patience avant d’acquérir la reconnaissance. Car ses premiers pas aux Glasgow Rangers, le club qu’affectionnait son père, ont été plus que poussifs. Trop jeune, barré par la concurrence et pas toujours utilisé à bon escient – il était parfois aligné sur les côtés, alors que c’est un pur milieu central –, l’Écossais doit se contenter de prêts à Ross County (2004-2005) et Saint Mirren (2005-2006) pour jouir d’un temps de jeu plus conséquent. Et c’est au cours d’une nouvelle pige de quelques mois, cette fois à Blackpool, que son parcours bascule. Satisfaits des prestations du joueur au cours de la seconde partie de saison 2009-2010, les dirigeants du club situé dans le Nord-Ouest du Royaume le recrutent dans la foulée. Les contours d’une future ascension sont alors dessinés. Là-bas, le milieu devient titulaire sans coup férir dès sa première saison complète (43 matchs, 16 buts et 9 assists). Surtout, grâce à de bonnes performances, il figure dans l’équipe type de Championship et permet à son club de se hisser en Premier League, après avoir notamment inscrit un but en finale de play-offs contre Cardiff. L’exercice suivant, dans l’élite, se révèle être celui de la confirmation malgré la relégation de Blackpool (12 buts, 8 assists). « Quand je suis arrivé, on m’a dit que c’était le joueur vedette de l’équipe. Et dès le premier entraînement, j’ai pu voir qu’il avait une frappe de balle incroyable, rappelle Ludovic Sylvestre, son coéquipier durant une saison chez les Seasiders (2010-2011). À l’entrée des vingt, trente mètres, il ne faut pas le laisser tirer. S’il a une ouverture et une chance de frapper, il va la saisir. Et généralement, c’est cadré… » Et l’actuel milieu de terrain de Çaykur Rizespor de détailler un peu plus le profil d’Adam : « C’est un joueur avec une bonne technique, vraiment disponible sur le terrain et qui aime faire jouer son équipe. Puis sur coup franc et corner, il était vraiment impressionnant. C’est un pur gaucher, avec une très belle patte. Cette année-là, il a fait une grosse saison. Il était resté sur ce qu’il avait démontré la saison précédente en Championship. Il avait fait le boulot, comme on dit. »
« Qui est ce con ? Je ne peux pas croire que nous avons signé cet enculé ! »
Un taf proprement fait qui lui ouvre les portes d’un club plus huppé. C’est Liverpool qui, lors du mercato estival 2011, crache les 8,5 millions d’euros nécessaires pour ce qui s’apparente en tout point à une bonne affaire et diffère avec la politique dispendieuse menée par le directeur sportif Damien Comolli (41 millions pour Andy Carroll, 22 pour Stewart Downing, 24 pour Alberto Aquilani, 8 pour Sebastián Coates). À l’époque, le club liverpuldien se trouve dans le marasme, entre fonds de jeu inexistant et crise d’identité. Sous l’impulsion du manager « King » Kenny Dalglish, les Reds recrutent avant tout des joueurs britanniques. Et Charlie Adam est donc appelé à devenir l’un des membres éminents de cet effectif remodelé. Mais cette quête ne restera finalement qu’un doux mirage. Au cours de sa seule saison disputée à Anfield (2011-2012), il ne confirme pas les attentes placées en lui et ne se présente jamais comme une pierre angulaire en dépit d’un temps de jeu plus qu’honnête (28 apparitions en championnat dont 27 en tant que titulaire). Relégué au rang de second couteau à l’instar du jeune Jonjo Shelvey, il se fait griller la politesse par Lucas Leiva et Jordan Henderson, avant que la venue de Brendan Rodgers et celle de son poulain Joe Allen n’assombrissent un peu plus son avenir. À Liverpool, Charlie a essuyé une pluie de critiques. Mais pas essentiellement de la part des médias. Certains coéquipiers de l’époque se sont ainsi interrogés sur la venue du bon vivant britannique, un brin porté sur la boisson et à l’hygiène de vie discutable pour un professionnel. Craig Bellamy, alias « The Nutter with the Putter » , révèle d’ailleurs dans son autobiographie GoodFella le scepticisme que suscitait son ex-compère. Et comme il l’était sur le terrain, le Gallois se montre sans détour. « Ça se voyait que Charlie était un vrai Écossais. Il était gras et il aimait la bière. Il n’était pas timide, il nous racontait même ses histoires où il a vomi dans une piscine à 14 heures. Certains le surnommaient « Rab », en référence au comique de télévision, Rab C. Nesbitt » , relate le retraité, avant d’aller encore un peu plus loin : « Dès les premiers jeux avec le ballon, il n’arrivait pas à le contrôler. Il avait du mal à reprendre son souffle et il s’empêchait de tomber quand il courait avec. Les joueurs se jugent toujours les uns les autres, mais jamais autant dès le premier jour. Les premières impressions comptent beaucoup et certains gars m’ont dit : « Qui est ce con ? » ou « Je ne peux pas croire que nous avons signé cet enculé ! » Un joueur emblématique du club m’a même confié : « J’ai joué contre lui la saison dernière et je savais que c’était une merde. À cause de ce branleur, tu vas devoir encore intensifier ton niveau cette saison, Craig. » » Dans une impasse à Liverpool, l’international écossais (26 sélections) se voit indiquer la porte de sortie et rejoint Stoke à l’été 2012 pour un montant d’environ six millions d’euros.
« Stokelona » , la dernière chance de briller ?
À Stoke-on-Trent et dans l’enceinte venteuse du Britannia Stadium, l’enfant du quartier de Fintry a d’abord trouvé ce qu’il était venu chercher. De la confiance. Du temps pour s’exprimer. Puis un cadre propice à son épanouissement. Avec Tony Pulis, le kick and rush et l’engagement prônés lui seyaient à merveille. Évoluant alors comme milieu relayeur ou pointe basse, il pouvait faire parler la qualité de son jeu long tout en collant quelques mandales. Mais l’arrivée de Mark Hughes sur le banc des Potters, il y a deux ans et demi, a progressivement changé la donne. Le manager anglais souhaitant axer le jeu davantage sur la possession de balle, des joueurs aux profils bien précis ont débarqué (Afellay, Arnautović, Pieters, Muniesa, Bojan, Shaqiri, Van Ginkel). Et dans ce nouveau Stoke City, rebaptisé « Stokelona » par les médias anglais, l’Écossais n’occupe pas une place prépondérante et oscille entre titularisations et entrées de jeu. Ce qui ne l’empêche toutefois pas de briller par intermittence. Comme avec cette frappe sensationnelle de soixante et un mètres inscrite contre Chelsea (2-1), en avril dernier, venant rappeler qu’il demeure un joueur adroit.
Mais si sa situation en club pose aujourd’hui forcément question à trente piges, le joueur de la Tartan Army relativise. Et pour cause, il y a un peu plus de trois ans, son père est décédé soudainement peu après son cinquantième anniversaire. Une tragédie qui l’a profondément affecté et ébranlé émotionnellement pendant une longue période. « Ce fut un terrible coup dur pour moi, et cela a vraiment détruit la confiance que j’avais et la façon dont je jouais, confiait-il encore avec émotion en juin dernier à BBC Scotland. Ce qui est arrivé à mon père est dramatique. Vous devez vous recentrer sur vous-même, et c’est ce que j’ai fait. Voir les enfants et ma femme, ainsi que mes proches, m’a rendu plus fort. Cela m’a redonné confiance de rentrer tous les jours à la maison et de les voir sourire. J’espère que je pourrai continuer à m’améliorer et jouer ainsi. Je sais que c’est ce qu’il voudrait que je fasse. Que j’essaie de jouer au plus haut niveau aussi bien que possible. Je sais que je sens à chaque fois sa présence quand j’entre sur un terrain. J’espère juste qu’il est là, qu’il me regarde. » Et de là-haut, nul doute que, lui aussi, apprécie les péripéties qui rythment le monde singulier de son fiston Charlie.
Par Romain Duchâteau
Propos de Ludovic Sylvestre recueillis par RD