- Coupe du monde 2022
Le monde a besoin de plus de Tim Sparv
Dans 14 mois, le monde entier aura les yeux rivés sur le Qatar. Mais alors qu'apparaîtront les effluves envoûtantes d'une grande compétition, flotteront encore un certain nombre d'interrogations autour des conditions de son organisation. Tim Sparv a couché ses pensées sur le papier. Enfin, il les a plus probablement tapées sur son clavier. Le capitaine de la Finlande, qui affronte la France ce soir, dit tout haut ce que beaucoup pensent tout bas, sans prétention, mais en espérant nourrir des réflexions.
« À tous les joueurs, entraîneurs et fédérations de football. À tous les supporters et journalistes. En fait, à tous ceux qui se soucient simplement des droits de l’homme. Continuez à parler de la Coupe du monde au Qatar. Continuez la discussion. Continuez à exprimer votre soutien aux travailleurs migrants. Écrivez, bloguez ou tweetez à leur sujet. Publiez des déclarations. Prenez la parole. Faites davantage pression sur le Qatar et la FIFA. » Quand beaucoup choisissent de se taire et de détourner le regard, Tim Sparv, lui, n’y va pas par quatre chemins. Le milieu de 34 ans ne joue « que » pour le HJK Helsinki et la sélection finlandaise. Et alors ? Il a le mérite de se mouiller, alors que la majorité de ses confrères ne trempent même pas le bout du pied.
Honnêteté, lucidité, fraternité
Concurrente des Bleus dans le groupe D, la Finlande est loin d’avoir validé son ticket pour le Mondial. Qu’importe. Qu’il soit au Qatar en 2022 ou pas, Tim Sparv avait besoin de parler. Sans jouer les donneurs de leçon. Simplement s’exprimer, comme The Players’ Tribune le permet. En reconnaissant et en regrettant un retard à l’allumage. « Je sais que j’écris cet article bien des années trop tard. Je me dis encore : « Ah ! N’aurions-nous pas pu aborder ce problème il y a cinq ans ? » Peut-être aurions-nous pu changer certaines des décisions qui ont été prises et améliorer les conditions des travailleurs migrants. Peut-être aurions-nous même pu sauver des vies. P*****. Nous nous sommes réveillés trop tard. Je me suis réveillé trop tard. »
Surpris du refus de son compatriote Riku Riski de se rendre au Qatar « pour des raisons éthiques » en janvier 2019, l’intéressé a commencé à se renseigner. Sans pour autant réellement se préoccuper de la situation. « J’ai eu un choc. Et pourtant, pendant un certain temps, ce n’était qu’un bruit de fond pour moi. J’en étais conscient, mais je n’ai pas pris conscience de ce que cela signifiait vraiment. Ça paraît fou que pendant que des travailleurs migrants souffraient et même mouraient au Qatar, je m’inquiétais de la distance entre notre milieu de terrain et notre défense. »
L’ancien de Southampton supposait que la FIFA savait ce qu’elle faisait. La facilité était de ne pas s’en mêler. De ne pas sortir du sport, son champ de compétences premier. De se concentrer sur son propre quotidien et ses propres activités. De ne pas vouloir se salir les mains. Mais Sparv a fini par se bouger en démarchant la FIFPRO, qui l’a mis en contact avec des travailleurs. « Une femme m’a raconté qu’elle devait travailler 16 heures par jour sans aucun jour de repos. Elle m’a également dit que si une travailleuse se plaignait, la police prenait toujours le parti de l’employeur. Nous parlons de choses comme des allégations de viol. C’était violent à entendre. J’étais heureux d’avoir au moins participé à cette discussion, mais je me suis aussi senti impuissant, car j’aimerais faire tellement plus. »
To conclude our visit to Qatar, players such as Finland’s @TimSparv spoke directly with migrant workers to learn first hand about their working conditions and how players can support them. Thanks to all involved in facilitating. pic.twitter.com/2nsI7Gp7eY
— FIFPRO (@FIFPRO) August 27, 2021
« Informez-vous, impliquez-vous et exprimez-vous »
Alors il a pris la plume pour gratter ses idées. Une première étape. Une contribution modeste de la part d’un homme qui se qualifie ici comme « un inconnu de Finlande ». Peut-être le point de départ, néanmoins, d’une réflexion chez d’autres personnes, ce qui pourrait changer la donne. « Imaginez si nous nous mettions tous à parler de sujets comme le Qatar. Nous pouvons publier nos pensées quand nous le souhaitons et quand nous le faisons, les médias en parlent. Les fans et le public lisent. Nous avons plus d’influence que jamais auparavant. J’encourage donc tous les joueurs qui participent à ces éliminatoires à réfléchir au moins à la manière dont les travailleurs migrants sont traités et dont leurs familles sont affectées. Nous pouvons les soutenir en racontant leur histoire et en élevant la voix ensemble.[…]Nous pouvons encore améliorer des vies. Mais pour cela, nous devons maintenir les projecteurs sur le Qatar. »
Un discours pour sensibiliser, sans faire culpabiliser des confrères jusqu’ici pas ou peu engagés, par paresse, par crainte de perdre un sponsor ou par désintérêt. « Si vous pouvez trouver le courage, informez-vous, impliquez-vous et exprimez-vous.[…]Prenez contact avec les représentants des travailleurs, les organisations de défense des droits de l’homme ou votre syndicat de joueurs, et demandez comment vous pouvez contribuer à avoir un impact pour les travailleurs sur le terrain. Peut-être que certaines personnes vous malmèneront pour avoir élevé la voix – peut-être le feraient-elles de toute façon. Mais lorsque l’histoire de cette Coupe du monde sera écrite, vous serez du bon côté. » Des mots qui résonneront dans certaines têtes, peut-être. Au moins, Sparv aura essayé. Et quoi que fassent les autres désormais, lui restera du bon côté.
Par Quentin Ballue