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Le miracle du Hardturm

Par Maxime Brigand
5 minutes
Le miracle du Hardturm

Un chiffre comme un espoir : au cours de l’histoire, 33% des équipes victorieuses 3-1 lors d’une manche aller en phase à élimination directe de la Ligue des champions ont été éliminées au retour. Le Real Madrid, lui, a connu ça une fois : c’était en 1978, face au Grasshopper Zurich. Recette d’un exploit.

« On a deux options : s’asseoir et pleurer, ou se lever et le faire. » Droit dans ses bottes et réchauffé par les quelque 149 couches européennes qu’il a eu à enfiler depuis qu’il a décidé d’opter pour la vie de pilier de couloir, Dani Alves, interrogé en conférence de presse lundi, a prévenu : s’il y a un moment pour faire basculer l’histoire du PSG moderne, c’est maintenant. Pas faux et difficile aussi de contredire l’international brésilien lorsqu’on l’a vu affirmer qu’il n’y a « rien de plus beau que d’avoir la possibilité d’éliminer le champion en titre » . Soit le Real Madrid, maître incontesté de la Ligue des champions (12 victoires dans la compétition, un record), double tenant du titre (2016, 2017) et vainqueur à l’expérience de la manche aller (3-1) chez lui, le 14 février dernier. Un monstre, simplement. Ainsi, où y croire ? Comment ? Dans les chiffres ? Ils sont clairs : sur douze précédents lors d’une phase à élimination directe de la Ligue des champions (depuis 1992), seules quatre équipes ont réussi à se qualifier après avoir été battues 3-1 à l’extérieur lors d’un match aller. Il y a eu le Barça face à Chelsea en 2000 (1-3, 5-1 a.p.), les Blues, à leur tour, face à Naples en 2012 (1-3, 4-1 a.p.) et au PSG en 2014 (1-3, 2-0), et le Bayern contre le FC Porto en 2015 (1-3, 6-1). Non, l’espoir est dans l’histoire : par le passé, le Real est tombé à quatre reprises, toutes compétitions confondues, en Europe, après avoir remporté une première manche à domicile 3-1. Dont une fois en C1.

Thrombose et péché mortel

Octobre 1978, au Bernabéu. Une autre époque, un autre décor : la génération Coupe des clubs champions, la parenthèse anglaise où le Liverpool de Bob Paisley danse sur deux titres consécutifs et où Nottingham Forest s’apprête à récupérer le témoin. Sur le plateau de l’édition 1978-1979, on croise alors l’AEK Athènes, le Bohemian FC, Lillestrøm, ou encore le Malmö de Bob Houghton. Puis, un tout frais demi-finaliste de Coupe de l’UEFA, dégagé du printemps européen précédent par Bastia : place au Grasshopper Zurich, mythe aujourd’hui sans tête du football suisse et toujours club le plus titré du pays. Lorsqu’il débarque à Madrid le 18 octobre 1978 pour disputer son huitième de finale de C1, le gang, alors coaché par Helmut Johannsen, sort d’une balade face au Valletta (8-0, 5-3), mais s’attend surtout à se faire refaire la tronche en Espagne. « On croyait qu’on allait prendre l’eau » , rembobine Raimondo Ponte, titulaire au Bernabéu, particulièrement marqué par l’ouverture du score précoce de Juanito.

Un bordel, un vrai : la veille, à la sortie de l’avion Zurich-Madrid, le gardien titulaire des Sauterelles, Roger Berbig, a été transféré à l’hôpital après avoir développé une thrombose, sorte de phlébite profonde. Pas le choix, le numéro deux, Roland Inderbitzin, 29 ans et aucun match officiel entre les doigts, tombe sur la feuille de match. Et voilà qu’au bout de cinq minutes, le Real mène logiquement 1-0. La suite ? Un succès 3-1 d’un onze madrilène « assez suffisant » et mis dans le doute par un but claqué à l’heure de jeu par Claudio Sulser, futur meilleur sniper de l’édition. De cette soirée, il dit : « Quand on vous donne la possibilité de jouer dans un stade comme le Bernabéu, qui est un temple, ce serait un péché mortel de ne pas être à la hauteur. Ce soir-là, le Real nous a sous-estimés, mon adversaire direct m’a laissé beaucoup de liberté et je pense même que le 1-3 final était sévère vu notre prestation. La preuve : je me suis blessé en fin de match et, à ma sortie, le stade a applaudi, comme s’il voulait saluer l’attitude de notre équipe. »

« Il ne reste que les souvenirs… »

Forcément, le but de Sulser bouscule le script. Une question : à quoi tient un exploit ? À ce dont l’on se souviendra dix, quinze, vingt, quarante ans plus tard, probablement. Avant le retour, Ponte se dit surtout que cela tiendra à autre chose : « Si le Real vient à 90%, c’est jouable… » Dans un stade du Hardturm brûlant, alors que Helmut Johannsen n’a pas varié l’approche – « Quelque chose de simple : huit derrière, trois mecs rapides devant, et croire en nos chances » -, Claudio Sulser ouvre rapidement le score. Là, l’histoire tourne, le Grasshopper touche le poteau, l’ambiance grimpe et tout tourne en faveur des Suisses. « Il y a des matchs comme ça, où tout va bien, raconte Sulser. On a réussi à créer une belle tension et le Real s’est montré incapable de renverser le scénario en cours. La raison est simple : ils ne s’étaient pas préparés à se retrouver dans cette situation. Et, le 2-0, à deux minutes de la fin… ça va tellement vite, il y a trois adversaires devant moi, le ballon rentre… » Voilà le Real de Luis Molowny, génération Pirri-Del Bosque-Juanito-Santillana, au sol et hors de la C1.

De cette soirée reste un bruit : après avoir contesté auprès de l’arbitre la validité du deuxième but suisse pour un hors-jeu de position visiblement évident, Juanito fait exploser la vitre du vestiaire visiteur du Hardturm. Aucune image, en revanche. Claudio Sulser : « Oui, il ne reste que les souvenirs… Il n’y avait aucune chaîne de télévision au stade, la télévision suisse n’avait pas réussi à trouver un accord avec le club pour quelques milliers de francs. Mais bon, ici, ça reste une soirée unique ! » Unique, même si le parcours du club zurichois s’arrêtera en quarts de finale face à Nottingham Forest, futur vainqueur (1-4, 1-1). Reste désormais toujours deux options pour le PSG : pleurer ou le faire. C’est une question d’histoire.

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Par Maxime Brigand

Tous propos recueillis par MB.

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