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Le match que vous n’avez pas regardé : Wingate & Finchley-Margate

Par Thomas Andrei et Julien Duez, à Londres
Le match que vous n’avez pas regardé : Wingate & Finchley-Margate

Un quartier juif contre une cité balnéaire, un maintien à assurer, un vexillophile aux allures de Père Noël, l’esprit des Who dans la peau et celui de Pete Doherty sur le maillot. Tout ça c’était 90 minutes de D7 anglaise entre Wingate & Finchley et Margate et c’est le match que vous n’avez pas regardé.

Wingate & Finchley 0-1 Margate

But : Noel Leighton (60e) pour la Gate.

D’un côté, une rue dans laquelle passe un flot incessant de bus et de voitures, cheminant entre le centre commercial voisin et la verdoyante campagne anglaise où les plus chanceux partent goûter à un bucolique week-end pascal. De l’autre, des maisons unifamiliales et uniformes, un brin décaties, contrastant avec la série de grosses voitures allemandes garées sur le gravier. À seulement trente minutes de route de la gare de Saint-Pancras, Finchley ne ressemble déjà plus vraiment à Londres, plutôt à un « n’importe où banlieusard » , un « paradigme de nulle part » , comme dirait l’auteur anglais JG Ballard, décédé il y a dix ans cette semaine.

*

Fascisme et art-déco

Antre du Wingate & Finchley FC, pensionnaire de septième division et à la lutte pour s’y maintenir, le Maurice Rebak Stadium et sa tribune principale de béton blanc aux airs d’hôtel art-déco semble, elle, plutôt tirée d’un épisode d’Hercule Poirot. Aux côtés du speaker est posé Aron Sharpe, Président au contact facile, qui n’hésite pas à poser son bras sur l’épaule de l’interlocuteur à peine rencontré. « Elle est belle, n’est-ce pas ?, sourit-il, admirant fièrement la tribune. Nous pensons qu’elle a été construite pour les premiers Jeux olympiques de Londres, en 1908. C’est la plus vieille tribune de béton en porte-à-faux du pays, classée au Patrimoine. »

Equidistant d’Arsenal et Tottenham, le club peut se targuer d’une longue et riche histoire. Sur son blason, on observe un bouvreuil pivoine, ou « finch » en anglais. Une référence au quartier de Finchley, où le club fut fondé en 1874, avant de fusionner avec celui de Wingate, représenté par une étoile de David et fondé au sortir de la seconde guerre mondiale. Malgré les douleurs de la Shoah, la population juive de Londres continue d’être maltraitée. L’antisémitisme d’alors se cristallise autour d’un homme : Oswald Mosley, leader fasciste que l’on retrouve posant aux côtés de Benito Mussolini sur Google Images. « Les juifs étaient encore perçus comme des étrangers, comme des gens différents, issus d’une classe inférieure » , explique Paul Lerman, directeur sportif et petit fils de Maurice Rebak, qui a donné son nom au stade à sa mort, en 2016. « Ils se défendaient mais mon grand-père cherchait un moyen de les intégrer à la société britannique. Alors, avec quelques amis, ils ont pensé à monter une équipe de foot. »

Le club prend ainsi le nom d’Orde Wingate, soldat britannique sioniste ayant œuvré à la création de l’armée du futur Etat d’Israël. Aujourd’hui, c’est son nom que les Wingate Ultras scandent, sans probablement savoir, pour la plupart, qu’il commandait des expéditions punitives envers des villages arabes en Palestine en 1938. Des actions condamnées par les autorités juives de l’époque. Ils ne le savent probablement pas parce que Wingate & Finchley se veut aujourd’hui aux antipodes de tout antagonisme politique ou religieux. « Nous sommes un club juif, mais inclusif, précise Aron Sharpe. On n’a jamais eu la mentalité ghetto. D’ailleurs, on n’a plus qu’un seul joueur juif aujourd’hui, c’est mon fils. »

La société change et le club se veut désormais à l’image du Londres multiethnique de 2019. Chemise blanche immaculée, pantalon de costume marine bien repassé et chaussure de ville marron glacé, Sharpe n’a rien d’un soldat et est trop bien habillé pour faire de la politique locale. « Je suis dans la mode. C’est moi qui ai importé Diesel et Replay au Royaume-Uni ! » , sourit fièrement celui qui a un temps gardé les bois de Tottenham dans son enfance. Pas besoin de lui demander pour quel club bat son cœur : « Pourquoi ? Vous dites ça à cause de mon nez ? » , questionne-t-il avant de partir dans un grand éclat de rire.

Le tour du monde en 456 drapeaux

Après la leçon d’Histoire, celle de géographie. Look et barbe à jouer dans ZZ Top, John est supporter du club voisin de Barnet, qui évolue deux divisions au-dessus. Pendant l’échauffement, le septuagénaire décore la main courante d’une dizaine de drapeaux, piochés au hasard dans son imposante collection. « J’en ai 456 ! » , claironne celui qui répond au surnom de Village. « On m’avait d’abord surnommé « l’idiot du village », raconte-t-il en sirotant son thé au lait. Ça date d’une virée à Blackpool. On jouait au foot sur la plage et je me suis cassé le pied en plongeant pour récupérer le ballon qui avait atterri dans la mer. » Sa passion pour la vexillologie remonte à 1993, quand un groupe de Norvégiens vient assister à un match de Barnet. « En fait, en norvégien, Barnet veut dire « l’enfant » » , assure-t-il. Les visiteurs, qui ont monté un fan-club, lui en offrent le drapeau. La passion est officiellement née.

Le spectacle étant relativement pauvre en première période, Village en profite pour garder un œil attentif sur ses précieux. « Le problème ce sont les enfants. Ils ont constamment envie de les toucher » , maugrée le méticuleux original pour qui les drapeaux sont avant tout « un moyen de rencontrer des gens. J’aime ça. Discuter avec quelqu’un ne coûte pas un centime ! » , philosophe-t-il. Ses rencontres l’amènent souvent à se faire de nouveaux amis, lesquels envoient parfois un drapeau chez lui. Une certaine forme de réconfort pour celui qui a perdu sa femme il y a presque dix ans, quelques jours avant Noël. De quoi expliquer sa photo qu’il porte religieusement autour du cou, ainsi que son éternel bonnet de Père Noël, attaché à la ceinture. « J’ai commencé à le mettre quand des enfants me disaient que je lui ressemblais avec ma grande barbe blanche. Mais c’est une manière de rendre hommage à ma défunte épouse » , confie-t-il ému, avant de se rediriger vers la buvette. À la mi-temps, le score est toujours nul et vierge. Pour l’instant, les meilleurs compte-rendus se font en dehors du terrain.

The Libertines versus The Who

Comme le président Aron mais dans un autre style, les adversaires de Margate ont eux aussi un point mode à développer. Depuis quelques mois, la station balnéaire du Kent est le repère de Carl Bârat et Pete Doherty, leaders des Libertines, groupe de rock-garage phare des années 2000. Sans que l’on sache exactement pourquoi, le nom du groupe se retrouve désormais floqué sur l’estomac des joueurs, dont le maillot aurait, selon un fan, été vendu dans 27 pays cette saison. Et cela devrait aller crescendo puisque Doherty et consorts ont prolongé leur partenariat avec Margate pour une saison supplémentaire.

Parmi la vingtaine de supporters présents, le seul à être torse-nu, exhibant une panse tendue remplie d’années de lager, présente toutefois un dos orné d’un groupe bien plus vieux : The Who. Une vraie galerie d’art dermique consacrée aux Roger Daltrey, Pete Townshend et autres Keith Moon. Avec ses coreligionnaires, il profite de la pause pour changer de côté, histoire de rester face au sens de l’attaque. Aucun incident n’est à déplorer avec les Wingate Ultras qui font d’ailleurs le chemin inverse.

À ses côtés, la voix nasillarde de Terry, batteuse de tambour, encourage les joueurs, jusqu’à l’ouverture du score. A l’heure de jeu, Noel Leighton frappe un coup-franc à vingt mètres qui passe sous le mur des locaux et vient tromper le pauvre Shane Gore qui ne peut que constater les dégâts. Pour Wingate & Finchley, il est trop tard. Malgré un ballon qui rebondit sous la barre et une parade sur la ligne de James Rogers en toute fin de partie, le score ne bougera plus. Les Blues restent relégables à une poignée de journées de la fin de saison.

Terry, elle, a le sourire, bien qu’elle doive déplorer la perte de la baguette qui lui servait à marteler son tambour. « Mais ce n’est pas grave ! On a gagné et elle a quand même tenu deux saisons ! » , sourit-elle en tenant du bout des doigts la tige métallique coupée en deux. Il est désormais temps de partir goûter au week-end pascal. Pour certains, la chasse aux œufs aura un goût un peu moins amer. Surtout si elle s’accompagne d’un bon Time for Heroes à fond les ballons.

Wingate & Finchley (4-3-3) : Gore – Williams, Eadie, Rifat, Cronin – Njie, Dom-Afriyie, Beckles-Richards – Rapai, Mendy, Abrahams. Entraîneur : David Norman.

Margate (4-3-3) : Perntreau – Mills, Paxman, Swift, Fitchett – Dymond, Robins, Wratten – Bignell, Ababio, Leighton. Entraîneur : Jay Saunders.

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Par Thomas Andrei et Julien Duez, à Londres

Photos : TA et JD.

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