- Autriche
- D3
- Wiener Sportclub-First Vienna FC (1-1)
Le match que vous n’avez pas regardé : Wiener Sport-Club-First Vienna FC
Un autre derby viennois, des schnitzels à la buvette, des candidats aux élections dans la tribune, des clés qui font marquer, un speaker aveugle et un parcage adepte de pyrotechnie et de cornemuse, le tout dans un des plus vieux stades du monde. Tout ça, c'est le 166e Dörby of Love qui se jouait en D3 régionale autrichienne et c'est le match que vous n'avez pas vu.
Wiener Sport-Club 1-1 First Vienna FC
Buts : Bernhard Luxbacher (86e) pour le Sport-Club // Martin Stehlik (30e) pour le Vienna
Ah, Vienne-la-rouge ! Un surnom que certains emploient encore pour désigner la capitale autrichienne qui, depuis le début du XXe siècle, a semble-t-il tracé son destin main dans la main avec socialistes, communistes, puis sociaux-démocrates. Elle a aussi son derby Vienne-la-rouge, le petit derby viennois, loin des fastes du clash entre Rapid et Austria. Plutôt un morceau de football-nostalgie entre le Wiener Sport-Club et le First Vienna FC, deux des plus vieilles équipes du pays. La seconde, fondée en 1894, en est d’ailleurs la doyenne. Mais comme beaucoup de colosses, leurs pieds sont d’argile : squattant les tréfonds de la D3 régionale, le temps doré de l’élite et des titres est loin. Dès lors, une seule consigne et elle est commune : défaite interdite.
Six pieds sous terre, on est tous pareils
Construit en 1904, le Sportclub-Platz accueille en ce vendredi soir plus de 6 000 spectateurs. Une affluence à classer parmi les meilleures de la journée, toutes divisions confondues ! Vienne aime le football, et cela se ressent au vu de la diversité du public qui pénètre les grilles du stade : groupes de punks et familles proprettes, provinciaux et vieux Viennois, amis et voisins, tous debout, tous mélangés pour cette grande fête populaire entre les districts voisins de Hernals et Döbling.
Alors que l’échauffement suit son cours sur la pelouse, en tribune, un binôme se fait vite remarquer. Ce sont Mirko Messner et Flora Petrik, têtes de liste du Parti communiste aux législatives anticipées du 15 octobre prochain. En toute décontraction, ils enchaînent les selfies et bavardent politique et football. Ils sont en terrain conquis, les deux clubs du soir étant connus pour leur identité marquée à gauche. Ici et là fleurissent les bâches « Refugees Welcome » , le parcage du First Vienna déploie un tifo « Fight for equality » sans équivoque et la Friedhofstribüne adresse au FPÖ, le parti conservateur autrichien, un message de défiance en l’accusant de continuer à propager un discours d’extrême droite en sous-marin.
La Friedhofstribüne, la tribune du cimetière en français, le kop du WSC. Célèbre dans toute l’Autriche et pas seulement pour ses prises de position politiques, c’est l’une des rares tribunes du pays où le supportérisme se fait à l’anglaise : sans drapeaux, sans tifos, sans capo, juste avec des chants spontanés et des bâches. Comme son nom l’indique, elle est construite à côté du cimetière local et c’est de là qu’elle tire sa philosophie progressiste et égalitariste : « Au cimetière, c’est le seul endroit où tous les êtres humains sont pareils : morts » , explique un supporter avant d’engloutir le reste de son schnitzel et de retourner à sa place. Le match va commencer.
Le chant des trousseaux de clés
L’entrée des joueurs sur la pelouse se fait dans un brouhaha général. Tandis que le parcage du First Vienna craque les premières torches de la partie, le speaker du WSC égraine les onze de départ, et le public l’applaudit chaleureusement. Roland Spöttling, c’est son nom, n’est pas un speaker comme les autres : il est aveugle depuis trente-sept ans. Mais depuis sa cabine perchée à côté de la Friedhofstribüne, il répond présent à chaque match à domicile et atténue ses égosillements à grands renforts de bière fraîche. À ses côtés, quelques amis le tiennent informé des faits de jeu, tandis que « Roly » , comme on le surnomme, profite de l’ambiance sonore. Lorsque les visiteurs ouvrent la marque, le jeu a déjà repris le temps que lui parvienne le nom du buteur. Mais les spectateurs ne lui en tiennent pas rigueur, il y a plus grave : leur club est encore en train de perdre.
Sur le terrain, le First Vienna se montre impitoyable en défense, repoussant chaque attaque d’un WSC mort de faim et avant-dernier de sa série, avec quatre petits points grattés en huit matchs, une unité seulement derrière son adversaire du soir. La rencontre s’avère davantage intense physiquement que tactiquement et les fautes se multiplient, au même titre que les coups de pied arrêtés. L’occasion de découvrir un autre rituel propre au Wiener Sport-Club : sortir ses clés et les agiter jusqu’à ce que le joueur frappe le ballon. Des milliers de trousseaux de clés qui tintinnabulent ensemble, produisant un effet sonore peu commun, mais qui a le mérite d’encourager les Noir et Blanc à maintenir leurs efforts pour tenter de revenir au score. Dans le parcage, on ne distingue pas de mégaphone à proprement parler, mais un fan est venu avec sa cornemuse et, au cœur d’un show pyrotechnique, enchaîne airs de supporters et mélodies traditionnelles écossaises. La situation est si improbable que, même au milieu du concert de cris et d’encouragements, on parvient à déceler le bruit de son instrument jusqu’à l’immeuble construit à l’arrière de la tribune latérale, sur les balcons duquel des voisins improvisent un petit kop à chaque rencontre.
Finalement, le Wiener Sport-Club parvient à égaliser dans les dernières minutes de jeu, par un superbe coup franc direct de ce diable de Bernhard Luxbacher, accompagné par les inévitables clés du public en délire. Les locaux auraient même pu prendre l’avantage sur penalty dans le temps additionnel. Mais l’arbitre assistant n’a pas jugé bon de siffler la faute survenue sous ses yeux, provoquant l’ire de la Friedhofstribüne qui gronde de plus belle. Lorsque les deux équipes retournent au vestiaire, on compte les dégâts provoqués par cette injustice. Bilan : aucune bagarre, aucun blessé et trois gobelets vides jetés sur la pelouse. Pas de doute, le derby de l’amour a encore frappé.
Par Julien Duez, à Vienne
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Photos : JD