- Tchéquie
- Divize C
- J29
- Prední Kopanina-Dvur Králové (1-2)
Le match que vous n’avez pas regardé : Prední Kopanina-Dvur Králové
Un soleil de plomb, de la bière à dix degrés, un ersatz de Barça, un aéroport, des saucisses grillées et une tombola à la mi-temps : tout ça, c’est le FC Prední Kopanina qui reçoit le TJ Dvur Králové nad Labem lors de l’avant-dernière journée de D4 tchèque et c’est le match que vous n’avez pas regardé.
FC Prední Kopanina 1-2 TJ Dvur Králové nad Labem
Buts : Radim Blažek (85e, s.p.) pour le FCPK // Jiří Podolník (27e, s.p.), Ondřej Ujec (55e) pour Dvůr Králové nad Labem
Terre de jazz, de littérature et de films X, Prague est une ville qui respire également le football. Alors que Sparta, Dukla, Slavia et Bohemians goûtent à un repos bien mérité, les divisions inférieures, elles, ne sont pas encore en vacances. Le FC Přední Kopanina, par exemple, a encore deux matchs à jouer avant la trêve estivale. Ce quartier est situé à une quinzaine de kilomètres du centre-ville de la capitale tchèque, là où se succèdent sans discontinuer les insupportables groupes de touristes venus fêter un enterrement de vie de jeune fille ou garçon. En revanche, l’aéroport international Václav Havel ne se trouve qu’à quelques encablures, ce que les décollages et atterrissages des avions ne se privent pas de rappeler tout au long du match. Ce jour-là, le FCPK reçoit le TJ Dvůr Králové nad Labem. Les deux villes, distantes de 155 kilomètres, évoluent toutes deux dans le groupe C de la division 4 tchèque. Celle-ci coupe le pays en deux : d’un côté, la Bohême, où se situent les protagonistes du jour, de l’autre, la Moravie. À l’étage inférieur, l’échelle géographique se resserre encore. Du côté de la capitale, on retrouve le championnat de Prague, dont le FCPK a été sacré champion la saison dernière… et tentera d’y glaner un nouveau titre la saison prochaine puisqu’il est d’ores et déjà condamné à la relégation.
Un Barça-Liverpool low cost
Rejoindre le Stadión U Drahuški nécessite de prendre un autobus qui emmène le visiteur dans l’écrin de verdure que constitue le district de Prague 6. Après avoir dépassé la charmante rotonde Sainte Marie-Madeleine et son architecture romane du XIIe siècle, les portes de cette enceinte de tout juste mille places (dont quatre-vingt-cinq assises) s’ouvrent au public. L’entrée coûte trente-cinq couronnes, soit un peu plus d’un euro cinquante, mais le caissier semble plus passionné par son téléphone que par la vente de billets, et nombreux sont ceux qui entrent sur le pourtour sans même lui adresser un regard.
Sur le pré, le FCPK évolue avec une tunique aux couleurs traditionnelles du club : le bleu nuit et le rouge bordeaux, ce qui lui confère un côté FC Barcelone (époque maillot vierge de tout sponsor) confirmé par un ailier gauche qui ressemble à s’y méprendre à Ivan Rakitić. Face à lui, les joueurs de Dvůr Králové nad Labem opèrent d’entrée de jeu un pressing très agressif, qui rappelle que l’équipe est parvenue à bétonner sa place dans le ventre mou de la Divize C. Leurs maillots rouges les font passer pour des joueurs de Liverpool, et avec un ballon étoilé entre les pieds, le spectateur un tant soit peu imaginatif a devant lui une véritable rencontre de Ligue des champions. Sauf que la stratégie des locaux est un peu bancale. Au-delà des kick and rushs typiques des basses divisions, la formation du jour tend vers une sorte de 2-4-4 avec un seul objectif : marquer et remporter un match, chose qui n’est plus arrivée depuis le début du mois de mai.
Canard surgelé et saucisses au paprika
Les latéraux bouffent de la craie, les défenseurs centraux taclent à la gorge et les ailiers provoquent des « olé » chez les cent spectateurs dès qu’ils réussissent un crochet. Bien que la moyenne d’âge paraisse plutôt élevée sur le terrain, la condition physique est impressionnante, surtout au vu du soleil de plomb qui assomme, sur un terrain usé par la saison qui s’achève. Peu à peu, le FCPK renverse la vapeur et obtient de nombreux coups francs, tous tirés par un libéro au physique atypique, qui combine la tête de Jérémy Toulalan, le ventre de Guy Roux et les chaussures de Paul Pogba. Mais ce grand gaillard aux tempes grisonnantes, s’il se rend capable de quelques centres à l’odeur de caviar, est également capable de craquer sous la pression en envoyant des minasses qui terminent dans le jardin d’à côté. À en croire les barbelés qui surplombent la clôture et les rottweilers qui gardent l’entrée de la maison, les propriétaires ne doivent pas être de grands fans de ballon rond, puisque aucune balle perdue ne revient à bon port. Qu’à cela ne tienne, on en dégote une de l’Euro 2016 et la partie reprend.
À la mi-temps, Dvůr Králové nad Labem mène 0-1 à la suite d’un penalty obtenu après une vilaine balayette dans la surface. Beau joueur, l’arbitre n’a pas appliqué la double peine et la victime se relève, portée par son bourreau. Tandis que les vingt-deux acteurs partent se rafraîchir au vestiaire, les trois remplaçants de chaque camp s’échauffent sur le terrain. Ceux du FCPK sont assistés de copains présents en tribune et qui leurs envoient le ballon, tout en prenant des nouvelles du boulot ou du petit dernier qui fait ses dents. Dans les haut-parleurs, le speaker interrompt les tubes de pop tchèque pour annoncer les résultats de la tombola. Les tickets X et Y remportent des bières à la buvette, et le grand prix du jour est un canard de deux kilos. Un excellent repas en perspective, mais la gagnante, cigarette au bec, semble dépitée avec sa volaille encore congelée sur les genoux, ne sachant pas comment la transporter sur son vélo rudimentaire jusque chez elle. À la buvette justement, le barman fait office de maître-queue et enchaîne le tirage de bière forte à la pompe tout en retournant des saucisses au paprika sur le barbecue. Son anglais est excellent, preuve s’il en est de la venue régulière de groundhoppers dans ce coin atypique.
Hors jeu, mais couvert par Airbus
La deuxième période est à l’image de la première. Dvůr Králové nad Labem finit par définitivement prendre le dessus et double la mise peu après l’heure de jeu. L’arbitrage est globalement excellent, même si l’on se doit de noter un incident quelque peu cocasse : un but a été refusé aux visiteurs après que l’homme en noir a entendu son assistant lui hurler un hors-jeu survenu dès la ligne médiane. Mais à cause du bruit d’un avion qui atterrissait, ce dernier, pour être entendu, hurlait de concert avec le public. Une situation peu banale qui prouve qu’une connivence entre arbitre et public peut bel et bien exister.
Finalement, le FCPK est défait 1-2, le penalty transformé par le ventripotent remplaçant du sosie d’Ivan Rakitić n’aura pas réussi à provoquer un sursaut d’orgueil. Les joueurs de Přední Kopanina redescendent en D5, mais dans l’indifférence générale : à la terrasse du restaurant du club, quelques vieux jouent aux cartes en regardant Roland Garros d’un œil distrait. Le tenancier de la buvette essaye d’expliquer comment prononcer le mot moutarde en tchèque à un visiteur anglophone. Et un milieu de terrain se rue vers la sortie quelques minutes seulement après la douche. Non par peur de subir des représailles, mais parce que son bus arrive et qu’il ne passe qu’une fois toutes les heures.
Par Julien Duez, au Stadión U Drahuški
Photos : JD