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Le match que vous n’avez pas regardé : Irak-Ouganda

Par Alexis Exposito, à Bagdad
Le match que vous n’avez pas regardé : Irak-Ouganda

Ce vendredi 21 janvier, l’Irak recevait l’Ouganda dans son nouvel écrin de l’Al-Madina International Stadium, à Bagdad. L’occasion unique de voir s’affronter en amical la 75e nation du classement FIFA et la 82e. Le match du week-end ? Vu de France, sûrement pas, mais pour la vingtaine de milliers d’Irakiens présents au stade, c’était peut-être bien celui de la décennie.

Irak 1-0 Ouganda

But : Alaa Abbas (16e) pour les Lions de Mésopotamie

Voilà neuf ans que la capitale irakienne n’avait pas été autorisée à accueillir une rencontre de son équipe nationale par la FIFA, constamment inquiète du contexte sécuritaire de la ville. Pire, depuis 1980, on pourrait presque compter sur nos dix doigts le nombre de matchs de compétition officielle que les Lions de Mésopotamie ont pu jouer sur leurs terres. « On me voit, on me voit plus, on me voit, on me voit plus », en somme. Et ça fait 40 ans que ça dure. Entre la guerre Iran-Irak de 1982 à 1988, la guerre du Golfe en 1990 et 1991, l’invasion américaine de 2003, les conflits civils de 2006 à 2009 puis de 2013 à 2017, en passant par Daesh et plus dernièrement, la tentative de révolution de la jeunesse irakienne matée dans le sang en 2019, on ne peut effectivement pas dire que le pays a offert le cadre le plus peace pour accueillir les sélections étrangères. On passerait presque sur la première suspension de 1980 à 1982 due à l’agression d’un arbitre par les supporters lors d’un match de qualification pour les Jeux olympiques. Anecdotique. C’est simple, depuis 1980, l’Irak n’a jamais connu plus de 8 ans sans subir une nouvelle interdiction de la FIFA. C’était entre 1995 et 2003 et les guerres des deux Georges Bush, daddy and son. Au total, le pays a connu six bans et presque trente années, cumulées sur les différentes périodes, sans pouvoir recevoir de rencontres. Hormis, donc, quelques matchs amicaux, dont ce fameux Irak-Ouganda.

Nos CRS, c’est de l’eau

Pour faire bonne figure et impressionner la FIFA, dans l’espoir qu’elle révise une énième fois sa position, on a mis les petits plats dans les grands : stade tout neuf et dispositif de sécurité XXL. Le nouvel écrin d’Al-Madina, construit pour la modique somme de 100 millions de dollars, vient en effet tout juste d’être inauguré, en 2021. Il accueille le club doyen du championnat irakien de première division, l’Al-Qowa Al-Jawiya : l’Air Force Sports Club, propriété du ministère de la défense. Rien que ça. Sauf qu’il se trouve en plein milieu du quartier ultra pauvre et ultra peuplé du même nom qu’il a fallu raser en partie pour y implanter ce joli monstre de bitume.

À l’heure du match, il a fallu mobiliser les forces de sécurité en nombre pour canaliser tout ce petit monde. Plusieurs centaines de militaires et policiers sont déployés dans les environs, quasiment entièrement bouclés trois rues à la ronde. Chaque carrefour accueille son véhicule blindé, sa tourelle et ses soldats en gilets pare-balles, FAMAS ou AK47 en bandoulière. Un air de Zone verte (zone hautement sécurisée à Bagdad qui accueille notamment les institutions irakiennes, l’ambassade américaine et les organisations internationales, NDLR) davantage que celui d’abords de stade de foot. Plus on approche des grilles, plus le dispositif se densifie. À 300 mètres de l’entrée, la foule – 100% non masquée – est contenue par un cordon de soldats équipés à la Call of Duty. De quoi faire passer nos CRS les soirs de classico pour de vrais Bisounours.

Une ligne de front à franchir

Impossible de se rapprocher davantage du stade sans montrer sa place. Pas de billetterie officielle en vue, mais une flopée de vendeurs à la sauvette. Pour 5000 dinars irakiens, l’équivalent de 3 euros, on repart avec son sésame. Malheureusement déjà trop cher pour bon nombre des jeunes présents qui tentent désespérément de se faufiler parmi les détenteurs de tickets. Certains arrivent à passer, mais la grande majorité se fait dégager sans ménagement. Ça bouscule effectivement pas mal tant on sent une tension. Ici, on craint autre chose qu’une petite agression : la menace terroriste n’est jamais très loin. À peine cinq jours plus tôt, plusieurs explosions ont encore eu lieu dans le quartier bourgeois de Karrada, visant des banques et des magasins d’alcool. Un coup imputé aux milices qui protestent contre les résultats des dernières élections législatives d’octobre 2021, sans qu’on sache trop laquelle. On se rassure en se disant que personne n’oserait s’attaquer au football, l’opium du peuple. Mais ce serait compter sans l’État Islamique, généralement pas le plus football-friendly ni le plus soucieux de se faire des potes, et toujours actif sur le territoire malgré sa défaite officielle de 2017.

On finit par passer le premier cordon de sécurité, non sans difficulté et après avoir subi une fouille méticuleuse de la part des militaires ou policiers. Dur de faire la différence en fait avec tout leur barda. Immédiatement, on se retrouve dans une sorte de no-man’s land. Le calme est saisissant, presque étrange, en comparaison avec la véritable cohue qu’on vient de traverser. Les groupes de fans, exclusivement masculins, se dirigent vers le stade en longeant l’unique route bordée d’un côté par une grille et de l’autre par une centaine de boucliers anti-émeutes alignés et posés en équilibre à même le sol. Derrière, les flics cagoulés fument des clopes et discutent par petits groupes, clairement plus peinards que leurs collègues de la ligne de front cent mètres plus haut. À l’approche du stade, la foule se fait à nouveau plus dense. L’heure du coup d’envoi approche, et beaucoup n’ont pas encore pu entrer. On compte surtout beaucoup de jeunes qui ont réussi à gruger le premier niveau, mais se retrouvent bloqués au dernier point de contrôle, faute de tickets. On fend le groupe jusqu’aux derniers policiers, qui contrôlent nos places et nous laissent passer. Ouf. On pénètre enfin l’enceinte et on peut se détendre un petit coup. Reste encore à trouver une tribune qui ne soit pas pleine, les places étant en placement libre. Chose faite en tribune haute. Le stade est une vraie réussite : 32 000 places réparties sur deux niveaux et le potentiel pour que ça résonne fort. On prend place. Après trois bons quarts d’heure de lutte et de stress, on y est enfin. Irak-Ouganda : sortez les pipas, it’s show time.

Pipas, ninja et bicyclette

Malgré l’évènement, le stade n’est finalement plein qu’aux deux tiers. L’ambiance dans les tribunes est malgré tout chaleureuse et une joie non feinte se lit sur les visages de ces supporters trop longtemps frustrés. À l’entrée des joueurs, c’est l’explosion. Les chants « Irak, Irak » résonnent dans tout le stade avant que l’hymne ne soit entonné en chœur par la vingtaine de milliers de supporters présents. Dès le coup d’envoi, on sent l’envie des joueurs de bien rendre l’accueil chaleureux qui leur a été donné. Tout sauf anecdotique quand on sait que pas moins de sept joueurs du onze de départ sont originaires de Bagdad.

Le onze mésopotamien rentre bien dans son match et se procure deux belles opportunités dès les premières minutes. Toutes deux filent hors cadre, mais on sent derrière eux un public prêt à s’enflammer. Autour de nous, on se fait passer les pipas, ces graines de tournesol qui servent de casse-dalle et de spectacle national, par poignées. Ceux qui n’en ont pas encore hèlent un petit gamin de même pas 10 ans qui peine à circuler dans les rangées, carton au-dessus de la tête. Côté terrain, ça se calme, bien que la possession aille assez nettement aux locaux. Les Ougandais, eux, essaient d’opérer en contre, mais pêchent techniquement dans les 30 derniers mètres. Puis vient à la 16e minute le moment tant attendu pour célébrer dignement le retour du sport roi dans la capitale : lancé côté droit, le latéral Sherko Kareem déborde, temporise, puis adresse une merveille de centre de l’extérieur du pied pour son avant-centre Alaa Abbas. Ce dernier s’envole pour propulser une somptueuse bicyclette vers la lucarne du portier ougandais, qui ne peut que dévier le ballon. Le stade tout entier s’embrase. On s’embrasse, on hurle, les pipas volent.

Malheureusement, la suite de la première période est nettement plus chiante que cette entame prometteuse, et l’ambiance chute de plusieurs crans. Il n’y a guère que le défenseur central Maytham Jabbar qui parvient à réveiller la foule à la 33e minute en se relevant d’un contact dans un saut de ninja à faire pâlir Jackie Chan. Tout le stade acclame et se marre. La dernière animation de ce premier acte viendra de quelques rangs en dessous, où 5 mecs ne sont pas loin de se foutre sur la tronche avant d’être séparés par la sécu. Sûrement une histoire de vol de pipas. La seconde mi-temps se déroule dans la lignée de la fin de première période. Pas grand-chose à se mettre sous la dent, si ce n’est quelques coups mal joués par les Irakiens par péché d’individualisme et une très timide révolte des Ougandais en fin de match, bien gérée par les locaux. Le stade se réveille enfin à la 89e, réalisant sûrement que son équipe est sur le point de signer une première victoire dans sa capitale depuis presque dix ans. Ces dernières années, d’autres matchs amicaux avaient pu se tenir dans les villes de Basra, Karbala et Erbil. Avec Bagdad, le tableau est maintenant complet. De quoi faire miroiter à tout un peuple la possibilité prochaine d’encourager régulièrement les siens pour des matchs à enjeux ? À en croire les échos de la presse locale, l’espoir est permis. Avec, dans le viseur, l’avant-dernière rencontre du troisième tour de qualifications pour le Mondial 2022, le 24 mars prochain. En espérant que cette fois, ce soit pour de bon. Et pas que pour le foot.

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Par Alexis Exposito, à Bagdad

Photos : AE.

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