- Arménie
- Ararat FC-Alashkert (2-3)
Le match que vous n’avez pas regardé : Ararat-Alashkert
L'Arménie connaît probablement le footballeur le plus talentueux de son histoire, Henrikh Mkhitaryan, mais aussi son championnat le plus faible. Car la Premier League arménienne est une compétition qui se joue à six, avec peu d'argent et presque pas de public. Voici donc le cadre d'un des quatre derbys d’Erevan, entre Alashkert FC et Ararat, qui a eu lieu ce dimanche, au lendemain de la nomination d'un nouveau président de la République. Et c’est aussi le match que vous n’avez pas regardé.
Ararat Erevan 2-3 Alashkert FC
Buts : Hambardzumyan (51e) et Kocharyan (74e) pour Ararat // Simonyan (12e) et Omoregie (37e et 49e) pour Alashkert
Le stade Naïri d’Erevan semble plongé dans une torpeur habituelle, alors que le leader de la Premier League s’apprête à défier la lanterne rouge. Est-ce le fait que ce match se déroule devant à peine 546 spectateurs, sur les 6800 que ses gradins de béton, dénués de toute artifice, peuvent accueillir ? Pourtant, ce choc des extrêmes met aux prises deux des quatre clubs que compte Erevan dans l’élite du foot arménien, avec Pyunik et Banants. Deux clubs qui n’ont pourtant pas grand-chose à voir. Le premier est une institution à Erevan, fondée en 1935 et étant la seule équipe arménienne à avoir décroché un titre de champion d’URSS en 1973. Le second est né après l’éclatement du bloc soviétique en 1990. Originellement basé à Martuni, dans l’est du pays, Alashkert a déménagé dans la capitale Erevan en 2013, pour satisfaire les ambitions de son propriétaire et fondateur, Bagrat Navoyan. Ce qui fait de cette rencontre un tout jeune derby.
Alashkert cartonne
Le timing semblait parfait pour voir les Aigles blancs créer la surprise. Alashkert reste sur deux défaites, face au dauphin Gandzasar et ce mercredi à domicile contre Shirak. Pourtant, le leader ne sera que rarement inquiété lors de ce match, même s’il lui a d’abord fallu venir à bout de sa malchance. Artem Simonyan trouvera en moins de dix minutes deux fois les montants, d’abord sur une belle frappe renvoyée par la transversale, le second sur un coup franc obtenu par Gagik Daghbashyan. L’action méritait initialement un penalty, puisque le milieu d’Alashkert semble déstabilisé à l’intérieur de la surface de réparation, mais l’arbitre en décide autrement. Bis repetita quelques minutes plus tard, sauf que cette fois le penalty est accordé au champion en titre. Artem Simonyan est enfin épargné par les poteaux et ouvre la marque. La réaction des locaux ne se fait pas attendre, mais ses attaquants tombent soit sur le gardien serbe Ognjen Cancarevic, soit manquent le cadre. Le moment qu’a choisi Sunny Omoregie pour faire ses présentations avec l’Arménie. Ce Nigérian de 29 ans, débarqué il y a quelques semaines à peine à Alashkert en provenance de Maribor, va marquer un doublé : en puissance avant la mi-temps, avec opportunisme juste après. Plombé par le score, Ararat va paradoxalement se libérer et réduire l’écart. Sur un coup franc lointain relâché par le gardien, Orbeli Hambardzumyan permet aux siens de sauver l’honneur, suivi dans sa démarche par le capitaine et meilleur buteur d’Ararat, Andranik Kocharyan, qui clôt la marque.
Un résultat sans grande incidence sur le classement final. Alashkert conserve sa première place du classement, sésame pour le premier tour des qualifications de la Ligue des champions. La saison dernière, les hommes d’Abraham Khashmanyan avaient réussi à écarter le club andorran de Santa Coloma, avant de s’incliner logiquement, mais pas sans panache face au BATE Borisov. Ararat reste, quant à lui, dernier, mais dans le top 6. Eh oui : ce championnat ne compte que six formations. Et pourtant, cette place ne semble pas inquiéter outre mesure les gars d’Erevan : la deuxième division étant composée principalement des équipes réserves de celle de l’élite, le système de montée-descente n’est pas systématique dans ce pays et ne devrait pas être adopté en 2018. Et, comme l’an dernier, Ararat devrait se maintenir bien que finissant dernier. Mais avoir un championnat en bois n’est que le symptôme le plus visible d’apathie dans lequel se trouve le foot arménien.
Un Sarkissian peut en cacher un autre
Drôle de conception de la compétition que celle qui se joue en Arménie. Deux jours plus tôt, c’est sur le terrain politique que le pays a montré ses limites en matière de pluralité. Si le championnat de football ne met aux prises que six concurrents, l’élection présidentielle ne proposait qu’une alternative avec un seul candidat. C’est donc Armen Sarkissian, ancien professeur de physique à Cambridge et ambassadeur d’Arménie en Grande-Bretagne, qui a été désigné par 90 députés sur 105 pour occuper une fonction qui prend une dimension plus protocolaire que jamais. En effet, ce scrutin était le premier depuis la réforme constitutionnelle et l’abolition en 2015 du suffrage direct à la présidentielle, transformant le pays caucasien en république parlementaire, où le pouvoir réel sera désormais détenu par le Premier ministre. Forcément de quoi faire bondir l’opposition, qui dénonce une parade pour maintenir à la tête de l’exécutif l’ancien président, Serge Sarkissian, homonyme sans lien de parenté avec son successeur. En poste depuis 2008, il se verra dans les prochaines heures être investi du rôle d’un Premier ministre aux pouvoirs renforcés. « Tout est fait pour que les pouvoirs détenus actuellement par le président soient transférés à un futur Premier ministre » , dénonçait le député d’opposition Edmon Maroukyan à l’AFP.
Comme le symbole d’un pays où toute chose ne tourne pas rond, mais plutôt en rond. Car le pouvoir arménien n’est pas étranger à l’état de décrépitude du championnat. Laxiste, voire permissif, il a levé tout contrôle sur les clubs, les laissant à la disposition d’industriels qui cherchent à placer leurs billes avant de les lâcher en plein vol quand ils se retrouvent ruinés ou se rendant compte que l’opération n’est pas si fructueuse que ça. C’est ainsi que des clubs comme le Mika FC ou l’Ulisses FC ont coulé à l’été 2016, abandonnés par leurs investisseurs juste avant la reprise de la compétition. En 2005, la Premier League mettait aux prises neuf formations alors que le pays comptait 21 clubs distincts, contre seulement dix aujourd’hui. Le modèle économique est moins bien défini et juteux qu’il ne peut l’être chez les voisins azéris par exemple, et c’est donc le modèle sportif qui en est pénalisé. Dans ce contexte, Alashkert et Ararat font figure d’exception, puisque leurs actionnaires sont les mêmes depuis plus de vingt ans. À Alashkert, Bagrat Navoyan a fait fortune grâce à son agence de voyage, Bagratour. Les Aigles blancs, eux, appartiennent à Vartan Sirmales, patron du groupe horloger Franck Muller et également du Stade nyonnais (D3 suisse), et Hratch Kaprielian, responsable de la branche américaine du joaillier. Sirmales a confié les affaires courantes du club à l’un de ses poulains, Hiraç Yagan, qui, à 29 ans, conjugue la présidence d’Ararat avec sa carrière de footballeur à Nyon. Habile.
Qui pour trouver le prochain Mhkitaryan ?
La Fédération de football est également pointée du doigt et, bien que se concentrant sur la formation et l’équipe nationale, néglige complètement son championnat. Les meilleurs joueurs préfèrent donc partir à l’étranger, en Russie, au Kazakhstan ou en Ukraine pour toucher plus que les 250 euros que touchent en moyenne les footballeurs de Premier League. Et ceux qui restent au pays sont coupés dans leur progression par le service militaire obligatoire. Pour ne rien arranger, le sponsoring et les revenus de billetterie sont quasi nuls (les stades atteignant difficilement un taux de remplissage de 10%). Les droits télévisuels ? Inexistants, puisque les matchs ne sont pas diffusés ailleurs que sur Youtube, les images étant captées par les clubs eux-mêmes. Les Arméniens sont pourtant des passionnés de foot, mais préfèrent passer leurs dimanches après-midi devant les matchs du Barça, du Real, voire d’Arsenal pour suivre les prouesses de leur perle Henrikh Mkhitaryan. Bref, pas grand-chose ne peut retenir les meilleurs joueurs, les investisseurs ou tous ceux qui peuvent contribuer à la renaissance du foot arménien. « Tes printemps fleuriront encore, tes beaux jours renaîtront encore, après l’hiver, après l’enfer » , chantait Charles Aznavour pour son pays d’origine. Mais il faudra encore patienter pour que ses prédictions puissent s’appliquer au football en Arménie.
Par Mathieu Rollinger