- Lettonie
- BFC Daugavpils-Spartaks (2-1)
Le match que vous n’avez pas regardé
En ce joli samedi après-midi de début d’automne, une trois centaine de Lettons étaient concentrés sur le choc des extrêmes de leur SynotTip Virslīga. Le Spartaks, autoritaire leader, rendait ainsi visite à Daugavpils, lanterne rouge avec huit points, son stade vétuste et ses sanitaires itinérants.
Daugavpils 2-1 Spartaks
Buts : Ryzhevski (12e), Shebanov (33e) pour Daugavpils // Platonov (11e) pour le Spartaks
À Daugavpils, la D1 est bien là, le professionnalisme un peu moins. Alors que le ballon vient de sortir après un dégagement en catastrophe de la défense locale, les vingt-deux acteurs se mettent ainsi à attendre patiemment que le petit ramasseur de balles en bonnet (il semble déjà faire froid) coure une vingtaine de mètres pour rechercher le cuir sans se faire engueuler pour son manque d’efficacité. Question football, après un round d’observation, le Biélorusse Dmitri Platonov met le Spartaks Jurmala sur du velours en reprenant de la tête un coup franc bien botté. On se dit du coup que c’est réglé, mais le « é » est à peine prononcé que le BFC Daugavpils a déjà égalisé. Totalement désorganisée, l’équipe visiteuse se fait ridiculiser en une passe à la De Bruyne, et le capitaine biélorusse Pavel Ryzhevski, trente-cinq ans, glisse le ballon en dessous du gardien Kurakins.
Dans les minutes qui suivent, la folle intensité du début de match retombe. Il est donc plus facile de s’attarder sur les éléments extérieurs. Le Celtnieks Stadium, qui accueille la rencontre, est une toute petite enceinte pouvant contenir maximum 4000 personnes. Mais malgré la visite du leader, on est bien loin de ce chiffre. On dénombre tout au plus 300 personnes massées autour de la piste d’athlétisme noire de ce stade qui offre une vue sur tout le quartier résidentiel environnant. Derrière le but de gauche, à côté des sanitaires itinérants qui semblent constituer les toilettes officielles, une jeune femme en rouge refait ses cheveux. Nul ne sait ce qu’elle peut bien faire là, à deux mètres seulement de la pelouse, voire même si c’est légal, mais elle y restera toute la rencontre. Avec un peu de chance, c’est simplement une voisine qui a parcouru les vingt mètres de distance entre le stade et la première maison pour assister au choc. À vrai dire, elle aurait même pu rester dans sa cuisine qu’elle aurait eu une vision suffisamment large du terrain pour suivre la partie, tant les barrières sont inexistantes.
Commentateur éreintant et Russe chauve
Au micro, le commentateur letton n’arrête pas une seule seconde de parler et c’est énervant, avec son ton monocorde doublé de quelques excitations improbables quand le ballon se trouve dans des lieux aussi dangereux qu’un point de corner ou le rond central. Par moments, il coupe net sa tirade, ce qui donne une incroyable sensation de vide… qu’il ne tarde néanmoins pas à combler en reprenant de plus belle. Sur le terrain, le Spartaks commence à accélérer le mouvement : Platonov est dans tous les bons coups, mais Kazeka ne profite d’aucun de ses deux bons services pour remettre les leaders aux commandes. Il arrive qu’un joueur gratifie la faible assistance d’un joli petit geste technique, comme ce râteau/petit pont d’un homme de Daugavpils qui n’a pas suffisamment dévoilé son numéro dans son dos pour être reconnu. Mais une minute d’inattention suffit pour que Platonov passe à une pointure du 1-2.
La pression s’intensifie et – ça n’étonnera personne –, c’est néanmoins Daugavpils qui finit par marquer. Un certain Alexeev se balade dans la surface du leader, envoie une prune sur la barre avant qu’un chauve ne propulse le ballon d’une demi-volée au fond des filets (où se trouvent déjà un autre ballon et une sacoche de gourdes). Physiquement, le buteur a le profil du mec du coin, la quarantaine, qui a tout fait au club et qui vient donner un coup de main alors qu’il est retraité depuis 2013. Pourtant, Aleksey Shebanov a vingt-trois ans, est russe et a déjà évolué pour des clubs aussi obscurs que Ryazan, Saturn Ramensko et Khimik. Daugavpils passe devant. Pour ce club créé en 2009, c’est un véritable exploit. Club de la deuxième ville la plus peuplée de Lettonie, Daugavpils – ce n’est donc pas la contraction du surnom du club avec un sponsor de bières, vu que « pils » signifie « château » en letton – n’a obtenu qu’une seule victoire depuis le début de la saison, à la mi-avril. Avant la pause, Platonov repasse une dernière fois par là, mais Gauracs ne cadre pas. La mi-temps est exclusivement animée par un journaliste timide qui interviewe un joueur de D2, vague sosie de Götze.
Yaghoubi, Nerugals et Sokolovs sont sur un bateau
« Hallo ? » Pas vraiment certain qu’il est à l’antenne, le commentateur reprend la parole de manière timorée. Mais son assurance revient au galop et son débit retrouve une allure insoutenable pour accompagner les joueurs sur la pelouse. Évidemment, c’est le Spartaks qui réattaque, mais on est plus proche du KO que du 2-2. La rencontre prend une autre tournure au moment où l’arbitre brandit un carton rouge à Yaghoubi (Spartaks) qui, comme son nom ne l’indique pas, est finlandais. Son tort ? On ne le sait pas, la télévision lettonne semblant avoir une culture du ralenti proche de zéro. « Heureusement » , Verdins (Daugavpils) apparaît quelques secondes plus tard à l’écran en se tenant la mâchoire, ce qui laisse présager un coup de coude du Finlandais. Hypothèse renforcée au moment où Verdins remonte sur la pelouse le visage complètement momifié par des bandages.
Malgré son infériorité numérique, le Spartaks se balade dans le camp de ses hôtes, mais personne ne daigne pousser le ballon au fond des filets de Nerugals. Au même moment, juste derrière lui, se déroule une vraie récréation. Autour d’une femme qui caresse un enfant dans son porte-bébé, une dizaine de gosses emmitouflés dans leurs manteaux disputent une partie de foot dans une véritable cour. Ils ne voient évidemment pas les joueurs de Daugavpils se tuer physiquement pour mener le pressing jusqu’à la dernière seconde. Dans les arrêts de jeu, Sokolovs passe tout près du statut de David Ginola en concluant une terrible contre-attaque du BFC d’une frappe molle dans les mains du portier du Spartaks, offrant du même coup une dernière frayeur aux siens. L’arbitre siffle la fin, tout le monde monte sur le terrain, mais les joueurs de Daugavpils ne fêtent pas plus que ça leur exploit. Il faut dire qu’avec 11 points, il leur faudrait un exploit pour rattraper le premier non-relégable, le Riga FC, 22 points et encore six matchs à jouer contre cinq pour le Château de Dauga.
Par Emilien Hofman