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- CSA Steaua-FCSB
Le match le plus chaud du week-end a lieu en D3 roumaine
Ce samedi, la troisième division roumaine se réserve un nouveau duel institutionnel. L’équipe réserve du FCSB, menée par le président George Becali, rencontre son rival du CSA Steaua Bucarest, dans un match décisif pour la montée en D2 roumaine. Pour empêcher le mythique Steaua de l’emporter, le dirigeant a tout simplement décidé d’envoyer des joueurs professionnels pour aider ses jeunes pousses. Une opposition symbolique qui pourrait bien faire basculer l’ordre établi.
Alors que se profile le choc au sommet de la Liga III, George « Gigi » Becali a décidé de rebattre les cartes à sa manière. Le président du FCSB (prononcer « Fé Tché Sé Bé » ) est prêt à tout pour voir couler le CSA Steaua, son ennemi intime et actuel leader du classement avec deux points d’avance. Des méthodes à la limite de la légalité, qui traduisent l’importance que revêt ce match pour le richissime dirigeant. Une guerre intestine ayant conduit à la scission du club et mis un terme à une romance vieille de près un demi-siècle. Retour sur le passé, le présent et le futur d’une institution en berne.
Privatisation et déchéance
La vie du Steaua Bucarest bascule en 1998. Face aux bouleversements politiques qui se mettent en place dans le centre et l’est de l’Europe, l’UEFA réagit et valide un projet de loi, interdisant aux équipes d’être dirigées par un organisme étatique. La section football du Steaua se détache de son groupe omnisports, qui appartient à l’armée, et devient un organisme privé. Viorel Păunescu, célèbre homme d’affaires de la ville, en devient le président et contacte une figure qui monte en puissance : George Becali. Ce dernier devient vice-président, et le duo prospère. « Becali est un Aroumain. Un peuple roumanophone originaire des Balkans. Il est très vite devenu un homme d’affaires reconnu, par le biais de l’achat et de la revente de terrains agricoles. Il a ensuite su utiliser ses relations avec son parrain Gheorghe Hagi et son ami Gică Popescu, tous issus de la même communauté, pour intégrer le Steaua et se rapprocher de l’armée », précise Traian Sandu, professeur d’histoire à l’université Paris 3.
Păunescu quitte finalement ses fonctions et laisse la place à Gigi. Le club remporte plusieurs titres nationaux, atteint les demi-finales de la Coupe de l’UEFA en 2006 et renoue avec la Ligue des champions la même année. Pourtant, à la suite de nombreux désaccords, les deux parties entrent en conflit. L’armée, représentée par le colonel George Boroi, porte plainte contre le dirigeant et son utilisation de la marque « Steaua » . Fin 2014 et après plusieurs recours, la Cour suprême de Roumanie tranche en faveur des plaignants. Dès la saison suivante, c’est donc sous une nouvelle appellation que le club refait surface : le Fotbal Club FCSB. Désignées de manière erronée sous le nom de « FC Steaua Bucarest » , ces quatre initiales ne signifient en réalité absolument rien. Une absence d’identité assumée, à laquelle le dirigeant donne une explication pleine de provocation : « Ça veut dire Faci Ce Spune Becali ! » (Fais ce que suggère Becali !) Le palmarès est également discuté et un procès toujours en cours pour attribuer les titres.
Gigi contre le reste du monde
« En 2013, la visibilité de Becali s’arrête brusquement avec sa condamnation à trois ans de prison ferme pour corruption et blanchiment d’argent, au même titre que plusieurs généraux de l’armée. Il est libéré un an et demi plus tard », détaille Traian Sandu. De son côté, le ministère de la Défense patiente jusqu’en 2017 pour rétablir le CSA Steaua Bucarest : « Nous avons en tête un budget annuel d’environ 300 000 euros qui sera entièrement financé par les revenus propres du CSA et non par des fonds publics », déclare le colonel Cristian Petrea, à România TV. Le CSA Steaua repart de la Liga IV, le quatrième échelon national, et y passera trois saisons avant de gagner sa promotion en 2020. Il reprend également son antre historique de Ghencea. Malgré son statut amateur, le club se targue d’un budget égal aux organisations professionnelles. « Depuis un an, le gouvernement a alloué un budget d’environ un million d’euros au club de football, soit le deuxième budget sportif du ministère, derrière l’équipe de handball qui, elle, est en première division », ajoute le professeur.
Un fonctionnement que Gigi Becali n’hésite pas à démonter de toutes pièces : « Eux, c’est l’argent des Roumains qu’ils dépensent. Ils ruinent le pays pour pouvoir construire une équipe de football. » Avant sa séparation, le Steaua comptait plus d’une dizaine de groupes ultras. Les rassemblements sont divisés en deux groupes : la Peluza Sud et la Peluza Nord. La frange Nord a longtemps été favorable au mandat de Becali. Ce dernier a notamment contribué à la libération de Gheorghe Mustaţă, l’un des leaders de la Peluza Nord. Cependant, les agissements du propriétaire, son ingérence incessante dans les transferts, les compositions d’équipes et ses innombrables fraudes fiscales ont vite pris le pas sur les enjeux sportifs. Une image salie et véhiculée par les rivaux historiques que sont le Dinamo ou le Rapid, eux-mêmes réticents à l’égard de cette structure fantoche.
Le début de la fin
Cette saison 2020-2021 ressemble à un point de convergence ultime pour les deux structures, malgré les menaces de Gigi Becali : « Quoi qu’il en soit, soyez assurés qu’ils resteront en troisième division pour une autre année. » Ce procédé n’est pas étranger au FCSB, qui avait déjà autorisé certains joueurs, en manque de temps de jeu ou en convalescence, à renforcer la réserve. De telles proportions n’ont cependant jamais été atteintes : Ovidiu Perianu, Adrian Șut, Alexandru Pantea, Gabriel Simion, Adrian Niță, Răzvan Oaidă, Dragoș Nedelcu et Octavian Popescu sont les (très jeunes) heureux élus. Des méthodes peu scrupuleuses, entrevues au match aller, disputé le 10 septembre dernier. Au stade Baza Sportivă du FCSB, Gigi fait la loi. À quelques heures de la rencontre, le président a en effet demandé aux forces de l’ordre de repousser les supporters du Steaua venus accueillir leurs joueurs. Loin d’en avoir fini, il a ensuite décidé de refouler les équipes techniques du club adverse, qui couvraient la rencontre sur YouTube.
Un comportement excessif, qui traduit une certaine fragilité. En effet, et suivant les discours venus de Roumanie, George Becali est en réalité craintif. Actuellement leader, le CSA Steaua Bucarest pourrait prendre le large sur son adversaire direct et une ultime victoire lors des play-offs de fin de saison enverrait l’équipe sur la voie royale vers l’élite. Le retour au sommet du CSA Steaua signifierait probablement la disparition du FCSB et un léger retour à la « normale » dans le chaotique mais attachant football roumain. Le 13 mars 2021 pourrait donc constituer un premier tournant d’envergure pour le sport à Bucarest, celui qui ferait renaître le phœnix Steaua de ses magnifiques cendres.
Par Adel Bentaha
Propos de Traian Sandu recueillis par Adel Bentaha.
Contextualisation : Hadrien François (Footballski), Alexandre Lazar (@FootRoumain) et Cristian Lucaci.
Propos de George Becali tirés de ProSport et Gazeta Sporturilor.