- 9 octobre 1996 – Le jour où…
Le match fantôme de Tallinn
C'est l'histoire d'un match dont la fin a été sifflée à peine trois secondes après le coup d'envoi. Une rencontre éliminatoire entre l'Estonie et l'Écosse qui a eu lieu il y a exactement 19 ans et qui a viré à la brouille pour une polémique à propos des projecteurs du stade national de Tallinn. Une sombre histoire, forcément très sombre…
« One team in Tallinn, there’s only one team in Tallinn ! » Les 600 supporters de la Tartan Army ont beau avoir fait le déplacement jusqu’en Estonie pour une parodie de match qui n’a pas duré trois secondes, ça ne les empêche pas de chanter et de s’amuser de la situation. Il est 15h au stade de Kadriorg à Tallin en ce 9 octobre 1996, et un match doit avoir lieu entre la sélection locale et les Écossais. Mais au moment de l’entrée des joueurs sur la pelouse, seuls les visiteurs se présentent. L’arbitre Miroslav Radoman ne paraît pas plus que ça perturbé par la situation et, à l’exception de l’annulation du protocole des hymnes, tout est fait dans les règles de l’art concernant l’avant-match. Les Écossais s’alignent sur la pelouse et posent avec le trio arbitral à côté, comme si les Estoniens faisaient de même pour respecter la parfaite symétrie de ce genre de clichés. Puis c’est l’heure du toss. Ouf, l’Écosse l’emporte ! Les onze joueurs se déploient mollement sur la pelouse, presque comme si de rien n’était. Dans le rond central, Billy Dodds, le joueur d’Aberdeen, dont c’était seulement la deuxième sélection, transmet le ballon à John Collins. Le milieu de Monaco, capitaine pour l’occasion en l’absence pour suspension de Gary McAllister, ne fait pas deux mètres dans le camp adverse que le coup de sifflet retentit. Il lève un peu bêtement les bras en l’air, et hop, c’est fini. Retour au vestiaire. C’est absurde ? Oui complètement, surtout si l’on sait que quasiment la même scène se reproduira le même jour à 18h45, avec cette fois les Estoniens dans le rôle de l’équipe se pointant au stade sans adversaire, les Écossais ayant déjà pris leur vol pour repartir chez eux.
Projos de concert sur échafaudages
Ce grand moment de WTF débute en fait la veille, 8 octobre, au moment où les Écossais débarquent au stade pour la traditionnelle reconnaissance du terrain et le dernier entraînement avant le jour J. Ce match est important : il a lieu dans le cadre de la troisième journée des qualifications pour le Mondial en France, et l’Écosse, qui a débuté sa campagne par un petit 0-0 en Autriche, s’est repris le 5 octobre en dominant la Lettonie 2-0 à la maison. Un bon résultat à confirmer face à une équipe estonienne qui sort aussi d’une victoire, 1-0 contre la Biélorussie. Mais cette reconnaissance qui est traditionnellement routinière ne va pas se dérouler comme d’habitude. Le sélectionneur Craig Brown est mécontent du système d’éclairage installé à l’arrache par les locaux pour que la partie débute bien à 18h45, comme ça a été convenu par la FIFA. Le stade de Kadriorg n’est pas équipé pour jouer dans l’obscurité, alors la Fédération a déniché de la Finlande voisine un kit plutôt sommaire pour éclairer le rectangle vert : en fait des projecteurs qui ont plus leur place pour éclairer une scène de théâtre ou un concert, montés sur des échafaudages de chantier. Ça ne fait pas très sérieux, et Craig Brown, pointilleux, demande à ce que l’horaire du match soit avancé pour qu’il soit disputé de jour. Le délégué FIFA présent sur place prend note de la demande et la transmet au bureau exécutif qui se réunit au petit matin pour statuer. Verdict : requête acceptée, la rencontre initialement prévue à 18h45 est finalement avancée à 15h le même jour, 10 octobre.
Pas de tapis vert, mais un match rejoué à Monaco
« Au début, nous ne pensions pas vraiment que ce changement allait vraiment avoir lieu, expliquait le gardien estonien de l’époque, Mart Poom, interrogé l’an dernier sur le sujet par FourFourTwo. On l’a appris tard, vers 11h. C’était un jour de semaine. On s’est dit que c’était impossible de réorganiser la chose, avec les problèmes de sécurité, le public… En fait, on a vraiment eu le sentiment d’être traités comme une jeune et petite nation dont on peut faire ce qu’on veut. » Vexés par cette décision, pour ne pas dire humiliés, les Estoniens réagissent par le biais du président de la Fédération, qui qualifie la réaction des Écossais de « très injuste » . Et parce qu’ils considèrent ne pas pouvoir mobiliser assez de monde – bénévoles pour la plupart, un mercredi qui plus est – pour le bon déroulé de la rencontre, décision est prise d’en rester à l’horaire initial. Arrive donc cet après-midi surréaliste à Tallinn, avec des visiteurs qui se pointent pour un match à 15h et les locaux qui déboulent plus de trois heures plus tard. « On pensait que peut-être l’Écosse allait revenir, car c’était trop bizarre, se rappelle encore Mart Poom. Pourtant, on savait qu’elle avait déjà donné le coup d’envoi dans un stade vide et que les supporters écossais avaient ensuite envahi le terrain. Nous, on voulait jouer, d’ailleurs je me souviens que l’Écosse était diminuée, on pensait qu’on avait nos chances. » Finalement, alors que les Écossais demandent que la victoire sur tapis vert 3-0 leur soit attribuée, un comité exécutif de la FIFA se prononce en novembre en faveur d’un match à rejouer sur terrain neutre. Match qui aura lieu au stade Louis-II de Monaco le 11 février 1997, malgré les protestations des Écossais. Le comité exécutif en question était alors présidé par un certain Lennart Johansson, suédois de nationalité, et alors que la sélection suédoise figurait dans le même groupe de qualification et était à la lutte avec l’Écosse pour aller disputer la Coupe du monde en France… Au final, ce replay se terminera par un piteux 0-0. Tout ça pour ça.
Par Régis Delanoë