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Le Maroc, bien plus qu’un mur

Par Maxime Brigand, à Doha
Le Maroc, bien plus qu’un mur

Solide défensivement et deuxième nation qui a le moins touché le ballon depuis qu'elle est arrivée au Qatar, le Maroc sait aussi exploser en transition et résister à la pression. Son match face au Portugal a notamment montré tous ses visages. L'équipe de France, qui retrouve les Lions de l'Atlas, mercredi soir, en demi-finales du Mondial, est prévenue.

Walid Regragui croise les bras et lève le voile. Il avertit quand même les curieux : attention, « je ne suis pas un magicien ». Puis, il se lance : « On ne voulait pas aller trop les chercher parce qu’on savait que c’est ce qu’ils attendaient et on a accepté de ne pas trop avoir la possession. Pas par peur ou par crainte, mais parce que je pense être un entraîneur assez cartésien. J’ai regardé les vingt derniers matchs de l’Espagne, elle a toujours été à pratiquement 70% de possession (75,8% en moyenne lors de ce Mondial 2022) et à un moment donné, on a l’humilité de se dire qu’on n’est pas encore la France, l’Angleterre, l’Allemagne pour pouvoir rivaliser avec cet adversaire en matière de possession. On a des joueurs capables de jouer la possession, mais personne n’a réussi à leur confisquer le ballon. Après, pour résister pendant 120 minutes, il fallait être très bien organisé. On a travaillé pendant quatre jours sur notre organisation défensive, nos milieux ont beaucoup travaillé avec notre attaquant pour fermer les angles de passe, et il fallait juste voir combien de temps ils pourraient tenir. Ce qu’ils ont fait est extraordinaire… » En arrivant au Qatar il y a quelques semaines après seulement un peu plus de 70 jours passés dans le costume de sélectionneur du Maroc, Regragui avait ce premier objectif : que ses Lions soient unis en toutes circonstances et qu’ils avancent en wagon à chaque voyage. Le premier tour du Mondial avait donné un premier aperçu positif, le second, marqué par deux victoires historiques – une face aux tirs au but contre l’Espagne, une face au Portugal en 90 minutes -, est déjà venu le confirmer. Son premier défi est réussi.

Une armée de ratels

Il est réussi car, s’il a déjà été envoyé dans les livres d’histoire aux côtés de la Grèce d’Otto Rehhagel victorieuse de l’Euro 2004, le Maroc est un modèle d’animation sans ballon. Mais pourquoi ? Pour trois raisons : parce que Yassine Bounou, haut classé parmi les gardiens les plus décisifs du Mondial, n’a jusqu’ici encaissé qu’un but – inscrit par Nayef Aguerd contre son camp lors du match face au Canada -, parce que son bloc médian bas n’a jamais été étiré verticalement sur plus de 24 mètres (face à l’Espagne, il a même battu des records de compacité : il s’est étiré sur une hauteur de 16 mètres en bloc bas et sur 19 mètres en bloc médian), et, surtout, parce qu’il a tout fait depuis cinq matchs, sauf se replier passivement devant sa surface. Ce Maroc est aujourd’hui bluffant, car ses différents boutons ne se détachent jamais. Regragui n’a pas construit qu’une équipe : il a monté une armée de ratels, qui, à l’aide d’un 4-1-4-1 très agressif, bannit le moindre centimètre de liberté à ses adversaires et a tiré un trait sur l’à-peu-près dans tous ses mouvements défensifs. On l’a encore vu face à l’Espagne et au Portugal.

Première séquence face à l’Espagne où l’on voit d’abord le rôle essentiel d’En-Nesyri pour fermer l’accès à la sentinelle adverse (ici Sergio Busquets)…

… mais aussi pour orienter la relance adverse.

Alors que Pedri a décroché à gauche de Laporte, Ounahi va orienter à son tour sa course pour fermer toute passe intérieure, alors que Ziyech s’est déjà recentré. Pedri ne peut donc ressortir que par l’axe.

Sous la pression, le ballon revient dans les pieds de Rodri, ce qui fait alors bondir Amallah, alors qu’Amrabat sécurise dans son dos…

… le ballon va atterrir dans les pieds de Llorente, ce qui fait sortir Boufal. Amallah reprend sa position : l’Espagne n’arrive pas à progresser.

Elle va alors repartir de l’autre côté et se retrouver dans la même situation…

… relançant l’accordéon marocain…

… jusqu’à logiquement…

… se casser les dents.

On a retrouvé ce cocktail face au Portugal, avec ici Amallah qui sort sur Rúben Neves…

… le ballon va atterrir dans les pieds de Bruno Fernandes qui va tenter de percer en solitaire et se faire enfermer. Boufal est à l’affût et fera reculer le Portugal…

… puis En-Nesyri va remettre un coup de pression après une sortie d’Amallah…

… suivi par Boufal, alors que tout est compensé.

Ce qui frappe est évidemment l’implication mise par la totalité des joueurs marocains, mais surtout celle mise par les créatifs (Boufal, Ounahi et surtout Ziyech), ce qui n’affecte pas leur rendement avec ballon. Bien au contraire : de leur connexion au bloc lors des phases sans ballon dépend leur puissance lors des phases avec ballon. Il faut ici souligner le fait que le Maroc a toujours su se mettre dans une situation de maîtrise des scénarios et n’a jamais été mené dans ce Mondial, ce qui l’a aidé à mettre en place l’autre partie de son projet : son explosion à la récupération du ballon grâce à un calme étourdissant montré au moment de s’extirper du pressing adverse.

Un triangle Hakimi-Ounahi-Ziyech dévastateur

Après le succès face au Portugal, on a ainsi entendu Walid Regragui dire : « On a souvent du mal à croire que les Africains sont capables de créer tactiquement des problèmes aux autres équipes, mais nous aussi, on travaille et on progresse. » Si son Maroc a eu du mal à bavarder dans la longueur depuis le début de la Coupe du monde (moins de trois passes réussies par minute), notamment face à l’Espagne et au Portugal, il a quand même réussi à sortir plusieurs séquences assez fabuleuses sous pression, principalement à l’aide d’un triangle Hakimi-Ounahi-Ziyech plutôt très pote avec le ballon et capable de rapidement placer le cerveau du réacteur – Soyan Amrabat – face au jeu et/ou d’envoyer une diagonale côté opposé vers Sofiane Boufal qui est jusqu’ici le troisième meilleur dribbleur du tournoi (le Maroc est d’ailleurs l’une des équipes qui réussissent le plus de dribbles par match depuis le début du Mondial) et sait s’amuser dans la densité (il l’a, par exemple, montré autour de la 20e minute face au Portugal en obtenant une faute après un double contact).

Première séquence pour mettre en lumière le trio Hakimi-Ounahi-Ziyech face au Portugal…

… avec Hakimi rentré intérieur, Ounahi qui s’en sert comme appui, alors que Ziyech arrive…

… sous la pression portugaise, le Maroc a su rigoler et souvent trouver Amrabat face au jeu.

On les a retrouvés moins de dix minutes plus tard après un contre-pressing féroce…

… derrière lequel Hakimi a été placé face au jeu pour trouver Ounahi dans l’espace libéré par la course sans ballon de Ziyech…

… le milieu du SCO va alors percer, décaler Ziyech…

… Hakimi n’a pas déconnecté de l’action et ouvre à son tour un espace, mais Ziyech ne va pas réussir à cadrer sa frappe.

Enfin, la séquence du but inscrit face au Portugal avec, au départ, cette superbe passe d’Amrabat vers Ounahi alors que Ziyech est venu à l’intérieur…

… après une conduite incurvée, il va toucher Ziyech dans le dos de la pression portugaise…

… qui va ensuite pouvoir tourner le jeu vers Boufal…

… alors qu’Ounahi va venir se connecter à son coéquipier de club. Derrière, Attiat-Allah va réussir à toucher la tête d’En-Nesyri.

Plusieurs mouvements de ce type ont été vus face au Portugal, et ce, dans la zone la plus vulnérable de l’équipe de France, ce que le match contre l’Angleterre, lors duquel Bukayo Saka a notamment fait tourner la tête de Theo Hernandez, n’est pas venu contredire. Azzedine Ounahi, atout majeur de ce Maroc, en a évidemment été un acteur principal (encore douze bornes avalées contre le Portugal, une cinquantaine de ballons touchés, des dribbles passés, un paquet de ballons remontés dans le camp adverse…) en compagnie de Ziyech, détecteur de zones hors pair et générateur de stress permanent grâce à sa position de faux pied qui lui permet, comme à Boufal, de rentrer mettre du bordel à l’intérieur. Reste maintenant plusieurs questions : le Maroc, qui ne sait toujours pas s’il pourra compter sur Romain Saïss, aura-t-il récupéré des efforts fournis ? Nayef Aguerd, brillant lors du premier tour et contre l’Espagne, sera-t-il remis sur pied ? Cette bande pourra-t-elle répliquer ses circuits face à une équipe de France qui aime abandonner le contrôle du ballon et attendre ses proies ? Et comment se comportera-t-elle en cas de scénario contraire ? Dans la foulée de la victoire face à la Belgique, Regragui n’avait pas tourné autour du pot : « On sait où on va. Dans ce genre de compétition, entre faire le spectacle et gagner, atteindre ses objectifs, il faut choisir. Et nous, on a choisi. On a un bloc équipe qui est très cohérent, difficile à bouger, où tout le monde travaille. » Pas que : oui, si ce Maroc, qui a su régler ses problèmes vus sur coups de pied arrêtés lors du début de la compétition et qui est sans doute le collectif – au sens premier du terme – le plus impressionnant de la compétition, adore repousser les vagues, il sait aussi en engendrer. Mais jusqu’à quand ?

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