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Le Maracanaço ou comment le Brésil a changé de couleur
On l'oublie souvent, mais le Brésil a attendu trente ans avant de remporter sa première Coupe du monde. La Seleção aurait pu accomplir l'exploit huit ans plus tôt sur ses terres si l'Uruguay ne s'était pas mis en travers de son chemin. Et si, visiblement, son maillot avait été plus patriote. À l'heure où Neymar et ses potes ambitionnent de glaner une sixième étoile au Maracanã le 13 juillet prochain, retour sur un fait qui transforma l'image de l'équipe du Brésil. Voire un peu plus.
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Pour tout un pays, le rendez-vous était pris. Le 16 juillet 1950, près de 200 000 personnes s’étaient entassées dans un Maracanã flambant neuf pour voir le Brésil remporter « sa » Coupe du monde. À l’exception de la Suisse, qui parvint à tenir en échec la Seleção 2-2 au premier tour, toutes les équipes qui ont croisé la route des locaux ont été étrillées : 4-0 contre le Mexique, 7-1 contre la Suède ou encore 6-1 contre l’Espagne. Autant dire que l’Uruguay, l’autre finaliste – à la peine au second tour – n’arrive pas à Rio de Janeiro dans les meilleures conditions et qu’un boulevard s’offre au onze auriverde. La veille du match, Zizinho a signé plus de deux mille autographes « Brésil, champion du monde » . Le jour même, la une de O Mundo titre « Voici les champions ! » . Hors du stade, Rio de Janeiro a investi les rues dès les premières lueurs, improvisant un carnaval et exhibant des pancartes comme autant d’odes à la victoire finale. Il se dit même que Jules Rimet, qui fête alors ses vingt-cinq ans de présidence à la FIFA et offre par la même occasion son nom au précieux trophée mondial, aurait écrit son discours d’après-match en portugais.
« Notre Hiroshima est la défaite contre l’Uruguay en 1950 »
Sur le terrain, tout se passe comme prévu : le bloc défensif uruguayen finit par se lézarder sous les coups de boutoir brésiliens et Friaça, l’attaquant de São Paulo, met le premier but de la partie au retour des vestiaires. Le Brésil est tranquillement en route vers son premier sacre. Trop tranquillement, sans doute. Dos au mur, l’Uruguay prend le contrôle du match et égalise grâce à Schiaffino. Premières crispations dans les travées du Maracanã. Moins d’un quart d’heure plus tard, Alcides Ghiggia, l’ailier de la Celeste, déborde côté droit et place le ballon entre Moacir Barbosa, le gardien carioca, et son poteau gauche. Le Maracanã se tait pour la toute première fois de sa courte histoire. Un silence que Jules Rimet qualifiera de « morbide, par moments trop difficile à supporter » . À peine y eut-il une cérémonie de remise de coupe à la fin du match. Ce qui devait être la fête du football brésilien s’est transformée en seulement 90 minutes en Maracanaço. Un « coup du Maracanã » , que le dramaturge Nelson Rodrigues décrira en ces termes : « Tout lieu a son irrémédiable catastrophe nationale, son Hiroshima. Notre catastrophe, notre Hiroshima, est la défaite contre l’Uruguay en 1950. » Les livres d’histoire du football parlent peu de la « tragédie » , préférant sanctifier la génération suivante. Celle des Pelé, Garrincha et consorts, qui ramèneront enfin la Coupe Jules Rimet à la maison en 1958. Mais les souvenirs restent. Cette finale perdue au profit de l’ennemi uruguayen de toujours doit être effacée, quel qu’en soit le prix. Deux protagonistes feront les frais du Waterloo brésilien.
« Regarde cet homme, c’est lui qui a fait pleurer le Brésil entier »
En premier, Moacir Barbosa. Élu meilleur gardien de la compétition par les journalistes, pas forcément coupable sur le second but des Charrúas, le joueur de Vasco da Gama est néanmoins pris en grippe par la plèbe. Parce qu’il est portier. Peut-être parce qu’il jouait sans gants. Peut-être, aussi, parce qu’il faut que le sang coule pour apaiser les Dieux du foot. De fait, Barbosa deviendra le synonyme de « malédiction » en brésilien. Vingt ans après le drame, Barbosa dira avoir touché le fond lorsque, dans un magasin, une mère montra du doigt le gardien et dit à son gamin : « Regarde cet homme, c’est lui qui a fait pleurer le Brésil entier. » En 1993, Ricardo Teixeira, président de la Fédération Brésilienne de Football, l’interdira de commenter un match de l’équipe nationale. Cette même année, il se verra refuser l’accès au centre d’entraînement de la Seleção, qui prépare alors la Wolrd Cup aux States, sous prétexte qu’il leur porterait le mauvais œil. Le pestiféré Barbosa s’en ira à 79 ans, juste après avoir lâché que si « la sentence maximale au Brésil est de trente ans, [s]on emprisonnement en aura duré cinquante » .
Du Maracanaço aux Canarinhos
Deuxième victime : le maillot de l’équipe nationale. À l’époque où les téléviseurs n’émettent encore qu’en noir et blanc, le Brésil porte la dernière des deux couleurs, avec un peu de bleu sur les manches et le col. Et ce, depuis 1919. Traumatisée, la FBF a décrété qu’aucun match de la sélection nationale n’aura lieu pendant les deux prochaines années. Soit le temps qu’il faudra pour remplacer une couleur de liquette jugée « maudite » , d’une part, et « pas assez patriote » car peu présente sur le drapeau national créé en 1889. En 1953, le célèbre journal Correio de Manhã organise un concours en collaboration avec la FBF pour choisir le nouveau maillot de la Seleção. Âgé de 19 ans, le dessinateur Aldyr Garcia Schlee remporte la mise avec, à la clé, un stage au Correio de Manhã. Trois cents autres créations avaient été proposées mais seule celle d’Aldyr est jugée « harmonieuse » . En vérité, elle rentre toutes les couleurs de l’étendard d’un coup d’un seul : maillot jaune, col et manches verts, short bleu et chaussettes blanches. Une tenue que les désormais Canarinhos étrennent finalement contre le Chili lors d’un match amical le 14 mars 1954, un peu moins de quatre ans après le terrible Maracanaço. Techniquement, le Brésil devra attendre huit ans de plus et la Coupe du monde 1962 pour remporter le trophée avec ses nouvelles couleurs. Défaite en quarts de finale contre la Hongrie en 1954, la Seleção remportera sa première Coupe du monde face à la Suède en 1958, autre équipe à jouer en jaune. Pour cause de désavantage, les Auriverde doivent donc composer avec un improbable jeu de maillots bleus de fortune, avec l’écusson du maillot d’origine recousu dans l’urgence.
Aldyr, son maillot et son ballon
De son côté, Aldyr Garcia Schlee, après un bref séjour à Rio, est revenu dans sa région d’origine du Rio Grande do Sul, à Pelotas. Aldyr est un mec du cru, ayant grandi à Jaguarão, une ville limitrophe de l’Uruguay et dont la culture penche plutôt de l’autre côté de la frontière. En conséquence, le dessinateur n’est pas supporter de l’équipe qui porte sa création. De toute façon, lui qui a côtoyé la Seleção après son prix ne porte pas cette dernière dans son cœur. « Ce sont des vauriens, des ivrognes, des coureurs de jupons » a-t-il déclaré au Guardian en 2003. Non, le cœur d’Aldyr est du même bleu que celui de la Celeste. Cet ennemi historique du Brésil qui engendra son plus beau travail personnel. Tout du moins, son plus célèbre. À tel point que lorsque ce dernier assista à l’opposition entre le Brésil à l’Uruguay – la première depuis le Maracanaço – en demi-finale de Coupe du monde 1970, le match lui « divisa presque le cœur en deux » . Comme pour conjurer le sort, le Brésil sortit vainqueur de cette joute sous ses nouvelles couleurs, puis remporta sa troisième étoile devant des millions de téléspectateurs. Et pour la première fois en couleur, immortalisant au passage ce qui allait devenir plus tard un symbole de victoire : le maillot auriverde.
Matthieu Rostac