- France – Ligue 2 – 29e journée – Le Mans/Nîmes
Le Mans FC : la course contre la montre
Des salaires impayés, un stade coûteux au loyer non versé, une dette qui ne cesse de se creuser, un président fragilisé, une mairie qui se met à paniquer, une DNCG qui commence franchement à s’impatienter et un avenir… en pointillé. Mais comment l’ancien club modèle du football français a pu se trouver dans une telle panade ? Explications.
Ce sont des choses qui arrivent à tout le monde. Une petite consultation de son relevé de comptes et là, le drame : livret A, vide, compte-chèque, vide aussi. C’est seulement à ce moment que vous vous rappelez cette dernière tournée de shooters généreusement payée à vos potes en fin de soirée le week-end précédent. La boulette. Sans thunes, comment payer le prochain loyer, régler les prochaines courses au Super U et remplir le réservoir de la caisse ? Ce sérieux problème perso, appliquez-le à l’échelle d’un club employant une soixantaine de personnes et imaginez combien c’est le stress.
Les fameuses pâtes au beurre
Car au Mans FC en ce moment, il faut savoir être honnête, c’est la grosse panique. La situation est la suivante : en début de mois, le président Legarda a réuni joueurs, staff et personnel administratif pour leur annoncer qu’il n’était pas en mesure de leur verser leur salaire pour le mois de février. Même en sacrifiant pendant un mois les 100 000 euros de charges patronales, il manque 500 000 euros pour régler la note mensuelle totale des rémunérations. Impossible également de continuer à verser le loyer – 600 000 euros par an – pour être accueilli au MMArena tous les 15 jours. Il reste sur les comptes en banque juste assez logiquement pour payer les déplacements de l’équipe et leur logement. L’équivalent de toi bouffant des pâtes au beurre tous les soirs pour boucler la fin du mois.
Cette semaine, on a appris qu’une somme que Nancy doit refiler chaque mois au Mans pour le transfert de Jeff Louis l’été dernier a permis de régler « en partie » les salaires. « Une traite sur le transfert de Maïga doit être honorée prochainement » , a aussi annoncé Legarda au quotidien Ouest-France. Mais qu’en sera-t-il début avril, lorsqu’il s’agira de régler la note de mars ? Qu’en sera-t-il en fin de saison, lorsqu’il s’agira de composer avec une dette qui pourrait approcher les 10 millions d’euros ? Même à court terme, l’avenir du Mans FC est très incertain. La chute du club sarthois paraît inéluctable. Par deux fois récemment, il est parvenu à sauver sa peau miraculeusement : l’été dernier, alors que la DNCG avait prononcé au préalable une rétrogradation en National, puis cet hiver, quand cette même DNCG a fait preuve d’indulgence en accordant un délai exceptionnel jusqu’en juin prochain pour se recapitaliser. Une recapitalisation qui coûte 3 millions d’euros.
Chemin aux Bœufs, 72055 Le Mans
Comme souvent dans pareil cas, c’est la désunion qui l’emporte et qui aggrave encore un peu plus la situation. Le président Henri Legarda demande plus de soutien de la part des collectivités locales, et notamment la première d’entre elles, la mairie du Mans. Alors que le maire Jean-Claude Boulard estime en avoir déjà bien assez fait et accuse cette même direction de ne pas avoir su gérer le club ces dernières années en prenant trop de risques. Lors de la descente en Ligue 2 en 2010, tout avait été fait pour tenter de remonter immédiatement, avec un budget considérable de 23 millions d’euros, moitié plus en moyenne que la concurrence et à peine moins que la saison précédente en L1. Ce pari a échoué et depuis, c’est le scénario catastrophe qui s’est enclenché. Les meilleurs joueurs sont partis, il a fallu composer avec un groupe très rajeuni, qui a échappé de justesse au National la saison dernière. Cette année encore, l’équipe se bat sportivement dans le bas de classement de L2, avec un légitime sentiment de découragement. Car si le maintien peut encore être acquis sur le pré – Le Mans FC est actuellement 17e avec un point d’avance sur la zone rouge – la menace de relégation en CFA voire CFA2 avec la perte de statut pro est cette fois bien réelle.
Le nœud de cette triste histoire a pour adresse le Chemin aux Bœufs, 72055 Le Mans : la MMArena, cette enceinte inaugurée en 2011, qui a d’abord fait la fierté des Sarthois. Un stade moderne, avec une sacrée belle gueule, qui peut accueillir jusqu’à 25 000 personnes, faut reconnaître que c’est la classe. Et innovant en plus ! Un pionnier en France du naming, cette manière de louer le nom du stade à une société ou une marque, contre de la thune. En l’occurrence le groupe d’assurances local MMA, qui a passé contrat pour dix ans, avec une rétribution d’un million par an. Un joli coup ? Un peu, oui, sauf que le stade a coûté plus de 100 millions d’euros au total ! Dont près de la moitié a été assuré par les collectivités, donc indirectement par le contribuable. Ce partenariat public-privé, séduisant sur le papier, semble n’avoir été conçu que dans le cas où Le Mans FC performe en élite et ramène du monde au stade. Avec une équipe en L2, c’est déjà la misère, avec seulement 6 200 spectateurs par match en moyenne cette saison, soit seulement 25 % de taux de remplissage. Dans le cas où le club est rétrogradé et perd son statut pro, ça vire à la catastrophe. La filiale du groupe Vinci, qui a construit le stade et en est devenu concessionnaire pour les trois décennies à venir, pourrait se retourner contre la ville et demander à être indemnisée de l’argent que le club ne peut plus lui verser.
Le larfeuille de Michel Moulin
Donc évidemment, le maire du Mans Jean-Claude Boulard flippe à mort. Cette semaine, la presse locale nous apprend qu’il a organisé des rendez-vous avec des gros bonnets de l’économie sarthoise, dans le but de réunir petits bouts par petits bouts les 3 millions nécessaires à la recapitalisation en juin. L’idée étant de pousser Legarda vers la sortie. Ce même Legarda qui, dans le même temps, cherche de son côté à trouver ces fameux 3 millions. Il en aurait déjà chopé la moitié via un certain Jérôme Ducros, boss de l’immobilier et actuel président du club de Luzenac (National). L’ineffable Michel Moulin affirme aussi être en mesure de se ramener avec 2,5 millions dans le larfeuille. Mais face à cette dernière proposition, le scepticisme est général. Et pour cause, le sulfureux businessman n’a pas forcément l’opération sauvetage du Mans chevillée au corps. On parle d’ailleurs aussi de lui du côté de Tours… Sinon, il est aussi question du rachat du centre d’entraînement par la ville, pour 2 millions d’euros. Ce sur quoi l’opposition gueule et réclame un audit pour clarifier tout ça. Bref, le gros gros bordel.
Forcément, ceux qui vivent le plus mal cette histoire sont les supporters, qui se sentent impuissants, malheureux et en colère. Face aux irresponsabilités des uns et des autres au niveau local, ils pointent surtout celle de la LFP, accusée d’avoir poussé leur club de cœur à s’endetter pour construire un stade largement surdimensionné. Il était même question d’une enceinte de 30 000 places à la base… « La ligue exige des beaux stades modernes, conçus surtout pour offrir de belles retransmissions télé. Au Mans, on a été trop polis et on a obéi, sagement. On n’aurait pas dû » , estime Anthony, président de l’asso Virage Sud, qui incite à avoir une vision plus globale du problème : « Regardez Sedan, regardez Auxerre ! Le Mans n’est pas le seul club en train de couler. C’est une certaine vision du football qui disparaît. Un football populaire, avec du monde au stade et de l’ambiance. Depuis onze ans que Frédéric Thiriez est à la tête de la LFP, les affluences n’ont cessé de baisser mais lui se dit très heureux, parce que le Qatar, parce que BeIN… Mais la base, elle devient quoi ? » Une manifestation de supporters a récemment été organisée sous la présidentielle. Un record d’affluence cette saison est annoncé ce soir pour la venue de Nîmes. Preuve que l’esprit de révolte continue au moins d’exister au Mans. C’est déjà ça. Reste à trouver cette foutue thune pour sauver ce qui peut encore l’être.
Par Régis Delanoë