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Le long voyage de l’Inter
À l'annonce en novembre de la fin des dix-huit années de l'ère Massimo Moratti, le monde de l'Inter était bien conscient de perdre un guide. Et les résultats n'ont pas tardé à le démontrer. Depuis, les Nerazzurri vivent un long voyage de huit matchs, sept points et seulement une victoire. Celle du Derby, celle de l'espoir, certes. Mais alors que leur Beneamata est sixième à onze points de la 3e place et déjà éliminée en Coupe d'Italie, leurs tifosis s'impatientent devant l'incohérence de ce mercato hivernal et le manque de clarté de la stratégie d'Erick Thohir.
Du décalage horaire au silence, Moratti manque
« Recevoir une explication, un confort ou même simplement un sourire. » Luigi Garlando, célèbre journaliste de la Gazzetta dello Sport, racontait cette semaine que les tifosi intéristes aimaient se rendre le lundi matin au pied du bureau de Massimo Moratti. C’était une habitude, un moment qui faisait partie intégrante du monde Inter. Aujourd’hui, Thohir se rend à Milan une fois par mois et se fait entendre par le biais de communiqués sur le site officiel du club. Silence et distance.
Le bruyant Nicola Berti, emblème italien de l’Inter de 1988 à 1998, raconte : « Avec l’arrivée des Indonésiens, on a perdu un bout de notre identité à peine quatre années après le triplé, et le changement semble être bien plus traumatique qu’en 1995. » Pour les tifosis, évidemment. Mais aussi les joueurs. Alors que Mazzarri semblait avoir trouvé la formule pour changer en profondeur le jeu des Noir et Bleu (l’Inter était la meilleure attaque du championnat italien jusqu’en octobre), tout s’est écroulé en deux mois et huit petits buts marqués.
Un voyage sans guide
Quand Erick Thohir rachète 70% des parts du club milanais pour 250 millions d’euros en novembre 2013, la Lombardie est consciente de ne pas accueillir un riche oligarque indonésien, mais plutôt un homme d’affaires qui connaît le monde du sport et qui, par ailleurs, aime l’Inter depuis vingt ans. La logique de la stratégie du duo Thohir-Moratti n’est pas de faire grimper l’Inter sur le toit du monde à court terme : le mot d’ordre est « Nous voulons adapter l’Inter aux exigences du football moderne. » Il ne s’agit pas d’investir plus, mais mieux.
Mais alors que les Nerazzurri n’ont pas encore obtenu de pénalty cette saison (après 20 journées), Cambiasso allant jusqu’à dire que « l’équipe ne s’entraîne même plus à les tirer » , aucun dirigeant ne semble avoir la légitimité pour parler au nom du club, à l’image d’un Galliani au Milan ou d’un Marotta à la Juve. Qui décide ? Qui dirige ? Mazzarri est seul au monde, Thohir est à l’autre bout de la planète, et les joueurs se demandent où ils vont. L’agent de Guarín avait été clair début janvier : « On ne sait tout simplement pas ce que veut Thohir. »
L’affaire Guarín-Vučinić, « la goutte qui a fait déborder le vase »
Nicola Berti continue : « Et puis à l’époque, Moratti avait fait venir d’emblée Ince, Zanetti, Carbone et d’autres. » Si Thohir n’a jamais promis ni Messi ni de gros investissements, Milan s’attendait au moins à quelques coups en ce mois de janvier. Que nenni. Lundi dernier, la sphère intériste panique littéralement à l’heure du déjeuner : son club négocie depuis dix jours pour prêter Fredy Guarín à la Juve. Et les négociations ont évolué jusqu’à l’accord suivant : l’Inter échange Guarín (27 ans) contre Vučinić (30 ans) à titre définitif, sans contrepartie financière. Le Colombien n’est pas un fuoriclasse, mais c’est un joueur qui sait offrir des actions de classe et dont le meilleur reste à venir. Vučinić est merveilleux, mais incertain physiquement, plus âgé et pas adapté aux objectifs tactiques de Mazzarri.
Thohir veut de la jeunesse et abaisser les coûts, d’où la logique du départ de Guarín, qui demande trop de millions et mange les minutes du très prometteur Kovačic. Mais pourquoi Vučinić ? Et pourquoi la Juve ? Dans la foulée, la Curva Nord signe un communiqué intitulé La goutte qui fait déborder le vase et appelle tous les intéristes à venir protester devant le siège du club pour faire annuler l’échange. Mission accomplie. Thohir cède et envoie valser la Juve, alors que celle-ci avait déjà sorti le champagne. Mais les tifosi restent inquiets.
Manque de prise de risque et motifs d’espoir
« Alors, ce sera quelle Inter ? Modèle Arsenal, jeunes et spectacle, ou Cambiasso et des longs ballons pour Palacio ? » se demandait la Gazzetta début janvier. Aujourd’hui, l’Inter donne l’image d’une équipe craintive qui privilégie l’équilibre et finit par se découvrir systématiquement au moment où elle se décide à entreprendre un jeu plus ambitieux. Mazzarri a fait jouer ses hommes en 3-5-1-1 toute la saison, judicieusement, avec ses armes : les défenseurs connaissaient le système (Campagnaro, Rolando), Nagatomo et Jonathan n’étaient pas exposés défensivement, et Cambiasso était meilleur accompagné de deux milieux centraux. Une Inter solide lors des premiers mois, mais peu créative : Alvarez ou Guarín derrière Palacio, et c’est tout.
Avec le retour de Milito, la montée en puissance de Kovačic et l’arrivée de Ruben Botta, Walter s’essaye à présent au 3-4-2-1. Plus de jeu, mais moins d’efficacité pour le moment. Pour se rassurer, l’Inter peut se dire que si Stramaccioni était mieux classé l’an dernier, il avait pu compter sur une équipe au complet jusqu’en décembre. Non seulement le Toscan a pris l’habitude de faire décoller ses équipes en deuxième partie de saison, mais il peut à présent compter sur Milito, Icardi et Botta. À défaut de pouvoir se rassurer, Walter a des motifs d’espoir.
« Thohir, je t’explique ce que signifie être un vrai Intériste »
Après avoir été guidée toutes ces années par la passion et le romantisme de son président milanais, l’Inter apprend donc à vivre sous la conduite raisonnable de son nouveau propriétaire. Ainsi, lundi dernier, le comédien italien Paolo Rossi avait tenu à écrire une lettre à Erick Thohir dans les colonnes de la Gazzetta, intitulée « Thohir, je t’explique ce que signifie être un vrai Intériste » . Il y racontait la fois où, comme promis, il était allé déposer une écharpe noire et bleue sur la tombe de sa mère le lendemain de la finale de Ligue des champions 2010, et avait été surpris de voir tout le noir et bleu qui habillait le cimetière.
Voici la conclusion de cette lettre : « Cette histoire, Moratti la connaît déjà. Maintenant, j’espère que M. Thohir la lise pour comprendre ce que veut dire être intériste. Parce que si l’athlétisme est un sport, le football est une métaphore de la vie. » Autrement dit : « Dépense sans compter, bonhomme, je t’assure que c’est pour une bonne cause. »
Par Markus Kaufmann
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