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Le « Livre Vert » de la dernière chance
Peut-on construire un modèle français de gestion des supporters, après les drames et les violences de la saison passée ? "Le livre vert du supportérisme" tente en tout cas d'en tracer les grandes lignes. Toutefois il semblerait malheureusement que ce beau travail soit davantage destiné au bonheur des chercheurs et des sociologues qu'à inspirer les présidents de club et les préfets. Comme pour les états-généraux du foot ?
Rama Yade, qui balance ses dernières cartes médiatiques en attendant que son heure sonne (surtout sur les sujets de société qui feront “œuvres” quand elle tirera le bilan de son passage au secrétariat aux sports), organisait lundi dernier la remise du “Livre vert du supportérisme : état des lieux et propositions d’actions pour le développement du volet préventif de la politique de gestion du supportérisme”. Confié aux bons soins des sociologues Nicolas Hourcade, Ludovic Lestrelin et Patrick Mignon, ce travail résulte du long processus de maturation d’un groupe de travail accouché dans la foulée du congrès national des supporters. Ce dernier, tenu en janvier de cette année, avait vu sa portée pour le moins entamée après les événements dramatiques arrivés autour du PSG en février et ensuite légèrement rendu caduc par le plan anti-violence de Robin Leproux.
Beaucoup des acteurs concernés s’interrogeaient donc désormais sur la signification de ce document, officialisé au pire moment, entre le calendrier d’une secrétaire d’État en sursis et une politique répressive de plus en accentuée sur le petit monde des ultras et des supporters en général, surtout après la création d’une antenne spéciale confiée au commissaire Antoine Boutonnet, « la division nationale de lutte contre le hooliganisme » .
Lors de la présentation, Nicolas Hourcade a de la sorte clairement souligné que le “Livre vert” se préoccupait essentiellement de la prévention et que sans nier la « nécessaire dimension répressive » , les propositions qui constituaient le corps de la troisième partie se situaient d’abord sur le plan des droits et devoirs des supporters. L’une des principales qualités de ce rapport tient d’ailleurs dans le choix assumé de ne pas imposer de recettes miracles de l’extérieur, mais au contraire et surtout de privilégier ce qui semble fonctionner en France et à l’étranger (on lira avec intérêt -le texte devrait être en libre téléchargement sur le site du secrétariat- la relecture des modèles anglais et allemand). Les auteurs insistent ainsi en priorité sur le besoin d’aboutir à une plus grande collaboration et coopération entre trois acteurs clés, autrement dit les clubs, les associations de supporters et les pouvoirs publics, notamment les collectivités territoriales, appelées à jouer un rôle de plus en plus déterminant de médiatrices en cas de conflits ou d’incompréhensions. Sinon rien de neuf, la reconnaissance des supporters passe par leur responsabilisation.
L’articulation entre répression et prévention s’avère justement l’angle mort de cette réflexion. Car à la volonté de répression graduée mise en avant par Nicolas Hourcade lors de son allocution, Rama Yade a répondu de son coté par « une tolérance zéro » dont on comprend mal le sens. De plus le “Livre vert” fait l’impasse, qu’on imagine facilement imposée par le ministère, sur un certain nombre de questions, cristallisant pourtant les problèmes des supporters.
Quid des relations contractuelles entre les clubs et les supporters, alors que le PSG a offert à l’ensemble du foot hexagonal, avec de louables et véritables raisons, un modèle “efficace” de gestion qui le débarrasse d’un même mouvement des principales associations ultras et, il est vrai, du gros des hooligans ? Tout cela pendant que l’État interdisait des associations de manière pour le moins cavalière (à voir l’avis du rapporteur public, certes pour une fois non suivi par le Conseil d’État). Le rapport de force n’est forcément plus tout à fait le même, surtout dans le contexte actuel, et bien que Paris reste un cas à part.
Quid des Interdictions de stades administratives et de “leur légalité” ? Ce dispositif est devenu le principal outil de régulation et de sanctions policières des incidents. Au passage, une véritable évaluation de l’efficacité des forces de l’ordre reste à réaliser, tous services confondus -CRS, ex-RG, etc.-, dont la défaillance se révéla pour le moins patente lors du PSG-OM de février 2010. Toutefois au moment où par exemple la garde à vue, notamment au nom du respect de la défense, se trouve sur la sellette au regard du droit européen, qu’en serait-il d’un examen analogue concernant cette disposition pour le moins bancale et arbitraire ?
Certes une fois encore la secrétaire d’Etat met en avant le rôle social du football et la dimension intégratrice des associations de supporters. Mais, s’il s’avère aisé de repérer le pendant répressif et de voir se déployer les moyens financiers et législatifs adéquats, on peine à deviner l’équivalent pour le “volet préventif” réclamé par les auteurs du “Livre vert”. Quelle suite ? Quels textes de lois ? Quelles structures dans les préfectures ou les administrations fourre-tout de la “cohésion sociale” ?
Passionnant à consulter et souvent brillante synthèse, ce “Livre vert” aura-t-il finalement la destinée de ces nombreux rapports qui pointent du doigt les besoins de dialogue et de concertation, quand les échéances électorales sonnent déjà aux cliquetis des menottes ?
Nicolas Kssis-Martov
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