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Le Lion malade et le Renard
Disqualifié de la dernière CAN, absent de la Coupe du monde depuis 1998, le Maroc pourrait enfin sortir la tête de l'eau grâce à Hervé Renard, aux commandes d'une sélection qui présente un onze type plutôt attrayant sur le papier. Mais pour côtoyer durablement les sommets du football africain, les Lions de l'Atlas comptent aussi s'appuyer sur le vivier d'un championnat national qui se réforme progressivement.
Samedi dernier, Grand stade de Marrakech. Le Maroc vient de tenir en échec la Côte d’Ivoire (0-0), championne d’Afrique en titre, en match qualificatif pour la Coupe du monde 2018. Face aux Éléphants, les Lions de l’Atlas ont globalement dominé, notamment en s’appuyant sur des joueurs du calibre de Mehdi Benatia (Juventus), Sofiane Boufal (Southampton) et Younès Belhanda (Nice). Portés par ces individualités et par la gouaille d’Hervé Renard, fraîchement nommé à la tête de la sélection, le Maroc, premier pays qualifié pour la CAN 2017 après une phase éliminatoire brillante (cinq victoires, un nul) semble enfin avoir retrouvé quelques certitudes collectives. Samedi, il l’a encore montré, bouclant au passage un dixième match consécutif sans défaite, le neuvième sous l’ère Renard. Ce regain de forme dit une première chose : le Maroc va mieux. Et une deuxième : s’il va mieux, c’est qu’il n’y a pas si longtemps, il ne respirait pas la santé.
Depuis 2004 et une finale de CAN perdue face à la Tunisie, le football marocain galère. Comme si les Lions de l’Atlas s’étaient progressivement assoupis, tel un fauve qui préfère désormais à l’exaltation de la chasse une sieste oisive à l’ombre du soleil. Douze ans que le Maroc n’a pas passé le premier tour de la CAN, tandis que la dernière participation de la sélection à la Coupe du monde remonte à 1998. De quoi relativiser l’embellie actuelle de la sélection nationale, que seul le temps viendra valider. Pour Abdeslam Ouaddou (68 sélections entre 2000 et 2010), le Maroc ne pourra gagner en régularité au plus haut niveau qu’en s’appuyant sur le vivier de talents locaux du Royaume : « Aujourd’hui, individuellement, il y a beaucoup de très bons joueurs. Mais il ne faut pas oublier qu’on a été confrontés à un vide générationnel pendant plusieurs années après 2004. Tout simplement parce qu’on s’est beaucoup trop reposés sur les joueurs formés eu Europe. Quand ce vivier-là a été moins performant, on n’a pas pu se reposer sur la formation locale, qui est un élément fondamental et a été longtemps éludé. »
Investissements massifs
Pour ne pas reproduire les erreurs du passé, une mutation s’est mise en route. Lentement mais sûrement. D’abord en inaugurant en 2009 l’Académie Mohammed VI, un Clairefontaine à la sauce marocaine, censée être le fer de lance de la formation de jeunes footballeurs. Sept ans plus tard, l’initiative commence à porter ses fruits en sélection puisque deux des vingt-trois joueurs appelés par Hervé Renard face à la Côte d’Ivoire samedi dernier ont été formé au sein de cette académie : Youssef En-Nesyri (Málaga) et Hamza Mendyl (prêté à Lille cette saison). Ensuite, en se dotant (enfin) en 2015 d’une Ligue nationale de football professionnelle, la première et la seconde division marocaine étant auparavant intégralement gérées par la Fédération royale marocaine de football (FRMF). Puis en consentant au déploiement d’investissements massifs pour se relooker : « Le pays a fait d’énormes efforts en construisant de nombreuses infrastructures pour le football » , relève ainsi le Nancéien Youssouf Hadji (64 sélections de 2003 à 2012). En 2014, une convention signée par les ministres de l’Intérieur, de l’Économie, des Sports et le président de la FRMF dégageait ainsi 1,5 milliard de dirhams (environ 140 millions d’euros) d’investissements pour équiper 90 stades de clubs amateurs en gazon synthétique, créer onze centres de formation et quatre académies régionales. Les clubs professionnels ne sont pas en reste : entre 2011 et 2013, de nouveaux stades ont ainsi été inaugurés à Agadir, Tanger et Marrakech.
Largué par l’Égypte et la Tunisie
Une réforme de fond d’autant plus nécessaire que le football marocain souffre sérieusement de la comparaison avec certains de ses proches voisins, dont les clubs phares ont pris une avance considérable quant à la formation des joueurs locaux : en 2012, 19 des 22 titulaires lors de la finale aller de la Ligue des champions africaine opposant le club égyptien d’Al-Ahly à l’Espérance de Tunis avaient ainsi été formés au sein de clubs égyptiens et tunisiens. La Ligue des champions, un trophée qui échappe par ailleurs aux clubs marocains depuis 1999, là où les formations égyptiennes et tunisiennes dénombrent respectivement sept et deux succès dans l’épreuve sur la même période. Le retard cumulé par le championnat marocain se traduit aussi par l’écart financier important qui existe entre les clubs majeurs du Royaume et ceux de ses concurrents. Quand le Wydad et le Raja, les deux grands clubs de Casablanca, s’appuient sur des budgets oscillant entre cinq et six millions d’euros, Al Ahly (Égypte) et le club Africain (Tunisie) assument, eux, des dépenses annuelles proches de 20 millions d’euros. Un retard conséquent que le Maroc ne comblera certainement pas en l’espace d’un ou deux ans. « Il nous faut du temps, de la continuité et de la patience » , plaidait ainsi en 2014 le DTN marocain Nasser Larguet. La patience, une vertu qui n’a jusqu’ici que trop peu caractérisé la gestion du football marocain, dont l’équipe nationale a vu défiler pas moins de huit sélectionneurs ces huit dernières années. Une sélection qui attend un trophée depuis 1976, sa seule et unique victoire en Coupe d’Afrique des nations. Hervé Renard fêtait ses huit ans cette année-là. Mais heureusement pour le Maroc, cet homme-là ne vit pas dans le passé. Mieux, il est venu pour faire sortir les Lions de leur cage et les faire atterrir sur le toit de l’Afrique. Après tout, il en connaît le chemin par cœur.
Par Adrien Candau
Propos d'Abdeslam Ouaddou et Youssouf Hadji recueillis par AC