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Le langage du talent, une histoire italienne
Roberto Mancini et Siniša Mihajlović ont un tas de points communs. Depuis la semaine dernière, ils en partagent un nouveau : ce sont les deux derniers hommes à croire au futur succès de Mario Balotelli.
Roberto Mancini et Siniša Mihajlović s’installent au fond de leur fauteuil d’entraîneur dans une salle de presse transalpine, et tous les journalistes italiens semblent suspendus à leurs explications. Ces deux hommes font de l’effet. Mais ce phénomène qui force un tel respect ne vient ni du style vestimentaire si maîtrisé du premier, ni de l’art de porter le survêtement et le bonnet du second. Ce n’est pas non plus les titres remportés par l’Italien en tant qu’entraîneur, ni les belles performances de la Sampdoria du Serbe. Cela pourrait être l’art qu’a le premier pour bien traiter les journalistes, ou alors l’accent et la taille des biceps du second, qui ont doublé de volume depuis sa retraite en 2006. Mais non, ce n’est pas ça. Ni les bonnes blagues du Mancio, ni les citations de Dante de Miha. En fait, les deux entraîneurs n’ont même pas besoin d’ouvrir leur bouche, enfiler leur costume ou dessiner un schéma. Si les salles de presse semblent leur appartenir, c’est parce qu’ils dégagent autre chose. Un petit truc que ressentent aussi leurs joueurs, très souvent conquis dès le premier jour. Cet effet, c’est le charisme de leur talent.
Son et images
« Roberto Mancini, Allenatore F.C. Internazionale. » Le patronyme résonne dans la salle, annoncé par l’employé du département presse du club, et le mécanisme s’enclenche. Dans la tête de ces amoureux du football, les images s’enchaînent : le coup du talon contre le Parma de Gigi Buffon, le Scudetto pour la Sampdoria, le duo merveilleux avec Vialli, toutes ces feintes, frappes lointaines, déviations géniales, les enroulés du droit, les buts en derby pour la Lazio, un autre Scudetto, cette mèche qui aura parcouru toutes les pelouses d’Italie… « Siniša Mihajlović, Allenatore U.C. Sampdoria. » Le processus est le même : ce pied gauche d’or, trois coups francs dans le même match, l’Étoile rouge de Belgrade, la plus belle Yougoslavie de tous les temps, l’autorité du défenseur central, l’inspiration du latéral, toutes ces lucarnes sur coup de pied arrêté, dans tous les sens, la force de caractère, la finesse du talent…
En Italie, le Mancio et Miha n’étaient pas simplement des grands joueurs de football. Ils étaient des fuoriclasse. Des joueurs « hors-catégorie » , par définition au-dessus du reste de leurs collègues. Et dans un pays où la classe n’est pas de l’eau, et où les plus grands talents sont bien souvent traités et respectés comme s’ils étaient des seigneurs, cela fait la différence. Roberto Baggio n’a jamais été un génie de la parole. Mais sa simple présence dans une salle peut attendrir les plumes les plus critiques. Parce qu’à un moment ou à un autre, tout Italien aurait voulu être Baggio, jouer contre la Tchécoslovaquie, porter ce ballon depuis le côté gauche, ouvrir le chemin du but d’une feinte de corps, comme par magie, et s’allonger les bras écartés. Mais ils sont peu nombreux. Francesco Totti est peut-être le dernier de ces grandissimes champions. Et nul doute que lorsque le capitaine de la Roma décidera d’en devenir l’entraîneur, les oreilles se suspendront à nouveau.
De Pippo au Mancio, de Matrix à Sinisa
Il y a le travail, l’entraînement, la méthode, l’étude, la résistance, l’envie… Et il y a le talent. Il y a Pippo Inzaghi et Marco Materazzi. Des bons joueurs devenus grandissimes grâce à leur lecture du jeu, leur intelligence, leur observation, leur valeurs de combat, chacun à sa manière. Ils ont tous les deux tout gagné. Ils ont tous les deux marqué leurs clubs. Ils ont tous les deux écouté leur stade chanter leur nom, et souvent les stades adverses, aussi… Mais ils n’ont pas l’effet du talent. Cet effet, c’est le don de l’inexplicable. Toute l’Italie aurait voulu être Baggio, mais il n’y avait qu’un Baggio. Un seul Ronaldo, Totti, Del Piero. Comme il n’y avait qu’un seul pied droit de Mancini, et un seul pied gauche de Mihajlović. Et devant l’inexplicable, comme devant une icône mystique, religieuse, voire mythologique, généralement, on se tait, on observe, on écoute ce qu’il y a à entendre, et on regarde ce qu’il y a à voir. Voilà d’où vient le charisme irrationnel de Mancini et Mihajlović : ce talent surnaturel, inexplicable, sans trace ni règle, qui fait tant d’admirateurs en Italie.
La foi en Mario
Et alors ? Et alors, Mancini et Mihajlović ont un tas de points communs. La Sampdoria, la Lazio, l’Inter. Le fait d’avoir connu le grand président Garrone à Gênes. Le fait d’avoir tout appris de Sven-Göran Eriksson. Le fait, aussi, d’avoir travaillé main dans la main à l’Inter, lorsque Mancini entraînait l’équipe de Moratti avec Mihajlović comme joueur, puis comme entraîneur-adjoint. Et depuis la semaine dernière, il se trouve qu’ils en partagent un autre : ce sont les deux derniers hommes à croire en Mario Balotelli. D’un côté, Mancini le répète depuis longtemps. « Oui, je reprendrais volontiers Mario à l’Inter » , avait-il même lâché lors de son retour, ce qui n’avait pas plu à une grande partie de la tifoseria interista. « Oui, Mario deviendra un grand joueur, il peut encore gagner le Ballon d’or, il suffit qu’il arrive à se focaliser sur son jeu » , répète-t-il plus généralement toutes les semaines. Cette semaine, c’est Mihajlović qui s’est joint à lui dans cette bataille philosophique du football moderne : « Moi, j’aime entraîner les grands joueurs. Et lui, je l’entraînerais volontiers. Si Ferrero me le propose, je dirai oui. »
Or, aucun argument rationnel n’appuie leur raisonnement. Ni les statistiques, ni une éventuelle évolution du caractère de Supermario, ni des témoignages qui viendraient appuyer leur sentiment. Non, il n’y a rien de concret. La seule chose qui réunit Mancini et Mihajlović, là encore, est leur don surnaturel. Le même qu’ils voient dans les pieds de Mario Balotelli. D’un côté, Mancini et Mihajlović, deux ex-joueurs de classe mondiale au caractère bien trempé ayant commis de multiples erreurs de jeunesse et longuement côtoyé Supermario à l’Inter, seraient prêts à miser des millions sur Balo. De l’autre, le reste du monde croit qu’en 2015, à 25 ans, Mario Balotelli appartient déjà au passé. Imaginons que Balotelli signe à la Sampdoria l’été prochain, ou retrouve Siniša Mihajlović d’une façon ou d’une autre. Nul doute que l’entraîneur Serbe n’aurait pas besoin de mot pour faire comprendre à son nouveau protégé qu’il le comprend. C’est peut-être ça, cette force invisible qu’est le langage du talent. Entre deux extra-terrestres adoptés par l’Italie, venus du Ghana ou de la Serbie, on n’a pas besoin de mot pour communiquer. N’oublions pas que le football est un jeu où le génie parle avec les pieds. Finally, Mario ? Si Sinisa l’a dit…
Par Markus Kaufmann
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