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Le Kurzawa du Mondial
Un Kurzawa peut en cacher un autre. Si Layvin, devenu cauchemar des supporters du PSG, est resté à quai lors de l’appel à l’embarquement pour la Russie, Rafał, parfait homonyme polonais, l’a remplacé au pied (gauche) levé. Sans doute leur seul point commun.
À l’instar de l’Égyptien rebaptisé « Trezeguet » , les plus méticuleux auront tiqué au moment de soigneusement examiner les listes des sélectionnés de chaque pays. « Kurzawa » , pouvaient-ils lire parmi les noms retenus non pas par le sélectionneur japonais, comme la prononciation à la française invite régulièrement à la méprise, mais bel et bien du côté de la Pologne. Même la relique distribuée par Panini s’est laissée berner. Layvin Kurzawa, pas encore persona non grata, y figure en bonne place contrairement à Rafał, aucun lien de parenté malgré ce que peut affirmer la page Wikipédia en français de l’international français. Cependant, comment en tenir réellement rigueur au géant du sticker ? S’il ne débarque pas totalement non plus comme un cheveu sur la soupe, le milieu offensif évoluait encore il y a un peu plus d’une saison en seconde division polonaise avec son club du Górnik Zabrze, et a connu sa toute première cape en mars dernier face au Mexique. À 25 ans.
Des un-contre-un jusqu’à la tombée de la nuit
Une arrivée en sélection sur la pointe des pieds, à l’image d’un personnage taiseux. Rafał Kurzawa ne se prête ni au petit jeu souvent fastidieux des conférences de presse, ni aux demandes d’interview, jugeant préférable de répondre sur le terrain. Le profil idéal du joueur d’appoint acceptant son statut sans rechigner pendant toute la durée d’une compétition internationale. Le stratège du Górnik Zabrze semble avoir enfin réussi à sauter dans le bon wagon et a quitté la catégorie des éternels espoirs. Ce timide presque maladif a dû se faire violence pour en arriver là. « Je lui ai donné sa chance, mais il avait un problème mental. Il entrait dans le vestiaire et n’était pas du tout à l’aise au milieu des joueurs plus expérimentés » , se souvient Leszek Ojrzynski, son ancien entraîneur au Górnik Zabrze lors de l’exercice 2015-2016, au micro de Weszło. Une nature qui aurait pu lui coûter sa carrière.
Car, talentueux et stakhanoviste, le natif de Wieruszów (petite bourgade à l’est de Wrocław) l’est depuis l’enfance. Toujours pour Weszło, Jacek Falszewski, éducateur à Kępno de l’ado que l’on surnomme alors « Owen » en raison d’une supposée ressemblance avec l’attaquant anglais, se souvient « d’un garçon qui venait s’entraîner avant de retourner au village pour faire des un-contre-un jusqu’à la tombée de la nuit avec son copain Paweł Baraniak. C’est un détail très important, car je vois beaucoup de footballeurs issus de centres de formation bridés techniquement. Des joueurs comme Rafał possèdent un réel avantage. »
Test grandeur nature sous l’œil d’Arsène Wenger
Mais le passage de l’ombre à la lumière requiert également une part de réussite. Être là au bon endroit au bon moment. Par deux fois, Rafał manque le coche. Tout d’abord à Poznań où, à l’issue d’un cursus au sein d’un collège conciliant sport et étude, ce n’est pas lui, mais Paweł Baraniak qui est conservé par le club phare Lech. Des années qui ont néanmoins le mérite d’émanciper le garçon loin de sa famille. Puis, le (presque) grand saut outre-Manche avec le programmeThe Chance créé par Nike en 2009 et offrant une opportunité à des milliers de jeunes joueurs libres de signer un contrat pro. La patte gauche du prodige fait la différence parmi les milliers de prétendants à travers le pays, et Rafał fait partie des deux heureux élus polonais à rallier Londres avec une centaine de joueurs venus du monde entier. Malheureusement, sous l’œil avisé d’Arsène Wenger, Kurzawa ne décrochera pas l’un des huit contrats en jeu. Aligné seulement quinze minutes au poste d’arrière gauche, une tout autre issue aurait en même temps relevé du miracle.
Si Rafał Kurzawa trouve un point de chute au Górnik Zabrze en 2010, il peine à percer. Adam Nawałka, l’actuel sélectionneur polonais, l’invite régulièrement à travailler ses gammes avec l’équipe première sans pour autant l’aligner en match. Le joueur songe même à arrêter le football avant de se raviser et partir en prêt à Rybnik, où il s’épanouit et se révèle être le principal artisan de la promotion en seconde division polonaise. Il ne s’arrêtera plus de délivrer caviars et frappes de loin. Une ascension fulgurante permettant en grande partie au Górnik Zabrze de remonter en Ekstraklasa, l’élite du football polonais, puis de se rapprocher dans la foulée de son glorieux passé en se qualifiant pour la Ligue Europa.
La vingtaine largement entamée et après avoir enfin convaincu Adam Nawałka de son utilité, la carrière de celui qui ressemble désormais plus à Jonjo Shelvey qu’à Michael Owen prend un nouvel essor. En fin de contrat à Zabrze, il devrait quitter le pays pour l’Italie – destination en vogue chez les jeunes talents polonais –, la Belgique ou la France. Avec un temps de jeu sans doute similaire à celui de l’homonyme Layvin en Coupe du monde, le grand public devra toutefois attendre encore un peu avant de faire sa connaissance.
Par Grégory Sokol