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Le jour où une tête de cochon a marqué le derby de Dublin

Par Charles Thiallier, à Dublin
6 minutes
Le jour où une tête de cochon a marqué le derby de Dublin

Ce vendredi, l'Irlande va vivre le match le plus important de l'année : le derby de Dublin, entre les Bohemians et les Shamrock Rovers. Une haine farouche oppose les deux principaux clubs de Dublin. En atteste l'opus 2004, où une tête de cochon descend des tribunes pour finir sur la pelouse du Dalymount Park.

Dublin, 16 avril 2004, un jour un peu spécial pour la capitale irlandaise. Car comme deux fois par saison, ce n’est pas le football gaélique qui est à l’honneur, mais le football, le vrai, le soccer comme l’appelle certains Irlandais. Nous sommes en effet un jour de derby, et pas n’importe lequel. Celui qui oppose les deux clubs les plus importants de Dublin. Les Bohemians, qui représentent le nord de la ville, affrontent les Shamrock Rovers, le club du sud. Ou alors le nord de la ville, réputé pour ses problèmes de pauvreté et de trafics de drogue, contre le sud, et ses quartiers où vivent les gens aisés.

« En signant pour les Bohemians, j’étais sûr que je pourrais nourrir ma famille à la fin du mois »

De plus, le derby va se jouer dans une atmosphère particulière. Quelques semaines plus tôt, à la fin du mois de février plus précisément, deux des meilleurs joueurs des Shamrock, James Keddy et Tony Grant, ont quitté le club pour rejoindre les Bohemians. « C’était un temps vraiment difficile pour le club…, soupire Justin, supporter des Shamrock. On avait des gros problèmes financiers, on était tout proche de déposer le bilan, on savait qu’on allait devoir vendre des joueurs. » Mais les supporters ne s’attendaient absolument pas à la vente de deux de leurs « chouchous » . « James Keddy était un très bon joueur, on l’aimait beaucoup. Mais ce qui nous a fait basculer, c’est la vente de Tony Grant. C’était notre meilleur joueur, mais bien plus que ça ! Il nous donnait du bonheur, une identité, et on était sûr qu’avec lui, on allait connaître des jours meilleurs » , explique Yann (le prénom a été changé), supporter des Shamrock. « Quand on a appris ça, on était juste déçus et vexés, franchement c’était dur » , ajoute Justin.

La décision n’a pas été facile à prendre pour les deux joueurs concernés également. « Les Shamrock ? C’est les quatre plus belles saisons de ma carrière, je jouais à mon meilleur niveau, on a gagné des titres, j’avais une relation particulière avec les supporters, j’ai marqué dans pas mal de derby. La décision a été très difficile à prendre » , explique Tony Grant. « Les problèmes d’argent étaient assez graves, il y a eu une période où on n’a pas été payés pendant trois mois. Donc oui, c’était le club ennemi, mais on m’a proposé un bon contrat, et j’étais sûr qu’à la fin du mois, je pourrais nourrir ma famille. Au final, c’est le plus important » , explique James Keddy. Mais les supporters des Shamrock n’en ont que faire. Ils le savent, dans quelques semaines, le derby aura lieu, et ce sera l’occasion pour eux de montrer aux deux joueurs leur immense déception. « Il y a eu plusieurs réunions avec les supporters. On avait tous en tête ce qui s’était passé pour Figo quand il est revenu à Barcelone avec le maillot de Madrid. On s’est mis d’accord pour faire la même chose » , détaille Justin.

Un boucher de Dublin dans la confidence

Les joueurs ne sont pas dupes, et savent à l’avance que leur soirée va être très difficile. « J’ai beaucoup de membres de ma famille et d’amis qui sont supporters de Shamrock. Ils m’avaient dit que les supporters préparaient quelque chose de particulier » , raconte Tony Grant. « Je n’étais au courant de rien, mais je savais que ça allait être compliqué. C’est un match pour les supporters, l’atmosphère est toujours électrique » , explique de son côté James Keddy. De leur côté, les fans des Shamrock emmenés par Yann mettent au point une organisation millimétrée. « On connaissait bien un boucher, également supporter des Shamrock, on l’a mis dans la confidence, et on lui a acheté la tête de cochon » , précise Yann. Acheter un morceau de viande est une chose, le faire pénétrer dans une enceinte de football en est une autre. Qui plus est un jour de derby, où la sécurité est sur les dents. « On a mis la tête de cochon dans un tambour, et on est passés devant les gardiens, le plus rapidement possible » , raconte hilare Yann.

Et puis, après environ une vingtaine de minutes de jeu, les supporters se décident à lancer la tête de cochon sur la pelouse, même si cela ne se passe pas exactement comme prévu. « En fait, ça devait être un de nos très jeunes membres qui devait lancer la tête. Problème, on n’avait pas calculé qu’elle était trop lourde pour lui. Il n’a pas pu la retirer du tambour, il a donc fallu que j’arrive en vitesse pour la jeter sur la pelouse » , se marre Yann. La sécurité se saisit alors de la tête pour la mettre hors du terrain. Mais Yann en a décidé autrement. Il court vers la tête pour la reprendre et la lancer une nouvelle fois sur le terrain. Le match est alors interrompu pendant plusieurs minutes, le temps pour la police d’éloigner définitivement la tête de cochon du Dalymount Park et de mettre un peu de calme en tribune. « Ils ont essayé de nous trouver, mais ils n’ont pu identifier personne, on est tous casual, avec des capuches, des écharpes, on savait qu’ils ne pouvaient rien faire » , détaille Yann. « Je vais vous dire, même les supporters des Bohemians se marraient » , raconte Justin.

« Je sais qu’aujourd’hui ma sécurité ne serait pas assurée au stade des Shamrock »

Petit accroc pour la bande de Yann et Justin. Aujourd’hui encore, les deux joueurs visés disent ne pas avoir vu la tête de cochon au moment des faits. « Je n’ai rien vu, je ne m’en souviens pas. J’ai découvert ça dans les journaux le lendemain. Je me rappelle juste que comme annoncé, ça a été très dur. Les supporters n’ont pas arrêté de chambrer avec des dollars sur leurs drapeaux » , raconte Tony Grant. « Je ne m’en souviens pas, dans ce genre de match tu dois être concentré à 2000% et pas te laisser influencer par les éléments extérieurs » , explique James Keddy. Pour la petite histoire, le match se termine sur un score de 2 à 2. Mais la colère des supporters des Shamrock à l’encontre de leurs deux anciens joueurs est elle toujours féroce 12 ans après les faits. « Pour dire la vérité, je n’ai jamais pu remettre un pied sur le terrain des Shamrock. Je prévois de le faire, mais je ne sais pas quand, je sais qu’aujourd’hui ma sécurité ne serait pas assurée si je décide d’y aller » , conclut Tony Grant.

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