- Angleterre
- FA Cup
Le jour où un club amateur a remporté un match de Coupe d’Angleterre en onze heures de jeu
Le 22 novembre 1971, Alvechurch, petite ville de la banlieue de Birmingham, vient à bout d’Oxford City au terme d’un marathon de onze heures de jeu. La raison ? Pas moins de cinq rematchs ont été nécessaires pour départager les deux équipes. C’est évidemment un record dans l’histoire de la FA Cup. Et il restera gravé dans le marbre pour l’éternité.
Dans l’histoire du football anglais, la saison 1971-1972 fait un peu office de référence tant elle fut riche en émotions. Pêle-mêle : en Premier League, premier titre de l’histoire du Derby County de Brian Clough qui coiffe sur le poteau le trio Leeds-Liverpool-Man City pour un petit point seulement. En D2 : premier titre de l’histoire de Norwich. En League Cup : victoire de Stoke qui remporte son seul trophée majeur à ce jour. Et en FA Cup : le Leeds de Don Revie décroche la timbale pour la première fois là encore. Mais quelques mois plus tôt, avant même le premier tour de la compétition, un petit morceau d’histoire long de dix-sept jours allait se jouer dans le froid des Midlands de l’Ouest.
Plus c’est long, plus c’est dur
Tout commence le 6 novembre 1971. Au vu du nombre de clubs engagés en Cup, des barrages sont nécessaires pour déterminer les 30 qualifiés qui rejoindront les membres de la Football League lors du First Round Proper, le premier « vrai » tour de la compétition. Et comme le veut la tradition, un rematch est prévu en cas de score nul entre deux équipes. Jusqu’ici tout va bien et personne ne s’émeut particulièrement de ce 2-2 accouché par Alvechurch et Oxford City. Enfin si, un peu quand même, puisque les premiers, pensionnaires de dixième division, évoluent trois échelons en dessous de leurs adversaires, ces derniers ayant créé l’exploit d’atteindre le Second Round Proper deux ans auparavant. Mais bon, la magie de la Coupe s’occupe de rebattre les cartes comme chaque année, et trois jours plus tard, le 9 novembre donc, rendez-vous est pris pour le rematch, organisé sur la pelouse d’Oxford, à une centaine de kilomètres au Sud.
Mais là, rebelote : les deux camps ne lâchent rien, et au terme des 90 minutes, le marquoir affiche 1-1. Comme le règlement l’exige, on se dirige donc vers la prolongation. Rien à faire, aucun filet ne tremble. Re-rematch donc et obligatoirement sur terrain neutre cette fois-ci. Sauf que ce n’est pas aux organisateurs de choisir, mais à l’équipe qui remportera un toss. Bingo pour Alvechurch, qui choisit le stade Saint Andrews, antre de Birmingham City. Pas de bol, les 120 minutes qui suivent accouchent d’un nouveau 1-1. Re-toss, re-match et re-déménagement vers le Sud, puisque Oxford City a choisi de disputer la quatrième tentative à Manor Ground, le terrain – de luxe – de son voisin d’Oxford United. Verdict ? 0-0. Et un scénario absolument identique pour la cinquième reprise. De quoi devenir fou. Graham Allner, qui a disputé l’intégralité de l’épopée pour le compte d’Alvechurch, confirmait la chose au Guardian en 2009 : « On s’est rencontrés six fois en moins de trois semaines : samedi, mardi, lundi, mercredi, samedi, lundi. Et en plus, on a joué un match de championnat au milieu, sans compter que tous les joueurs avaient un boulot à plein temps ! » De son côté, Oxford City compte quatre joueurs dans l’armée. Pour eux, le tarif est de six matchs hebdomadaires, en comptant le championnat militaire en parallèle. Une addition salée, surtout pour celui qui était justement de garde nocturne cette semaine-là.
À bout de souffre
Le cinquième rematch est programmé le 22 novembre 1971 à Villa Park. Cet après-midi-là, il gèle à pierre fendre. En allant s’installer entre ses perches, le gardien d’Alvechurch salue poliment les quelques supporters d’Oxford qu’il a reconnus dans la tribune. Forcément, après neuf heures passées à se toiser, des connexions commencent logiquement à se faire. « Avant le premier match, on ne les connaissait pas, ni en tant qu’équipe, ni en tant qu’individus. Mais à la fin, on s’appelait par nos prénoms. On se disait « Salut Bill ! », « Comment ça va Pete ? », ce genre de truc », reprend Graham Allner. Dans le vestiaire, l’entraîneur Rhys Davies, prof de gym dans le civil, ne sait plus vraiment quel discours adopter pour mobiliser ses troupes une fois de plus. « On se connaissait par cœur. Il n’y avait plus rien à dire à part « Allez sur le terrain et bagarrez-vous ! » Le coach était plus un motivateur qu’un cerveau. Finalement, il ne parlait plus que du fait de montrer du caractère. »
Hasard ou coïncidence, Rhys Davis a couru un marathon sous la bannière du pays de Galles lors de l’édition 1956 des Jeux du Commonwealth. Est-ce de cette expérience qu’il a su insuffler l’endurance nécessaire à ses joueurs pour remporter la bataille mentale ? Toujours est-il qu’après très exactement 588 minutes de jeu, Bobby Hope entre dans la légende d’Alvechurch en trompant le gardien qui s’effondre à bout de force. Alea jacta est, cette fois-ci Oxford ne reviendra plus. Dans le vestiaire, les amateurs laissent éclater leur joie en dégustant le champagne que leur sert le président d’Aston Villa, leur hôte du jour. Sur le ton de la boutade, l’entraîneur oxfordien suggère que son club devrait opérer une fusion avec son désormais ex-adversaire. Il n’en sera finalement rien, et de toute façon, les héros du gazon sont attendus de pied ferme par les pros d’Aldershot Town qui patientent depuis trop longtemps. Le verdict ne se fait pas attendre : trois jours plus tard, Alvechurch tombe les armes à la main (4-2), complètement lessivé. Restera ce record qui n’est pas près de tomber, puisque vingt ans plus tard, la fédération anglaise prend la décision de régler aux tirs au but les duels non résolus après le premier rematch. Et en 2020, de les supprimer complètement. De quoi enlever un peu du sel qui faisait la spécificité de la FA Cup, dans laquelle des amateurs de D10 venus des Midlands ont réussi à leur manière à graver leur nom dans le marbre.
Par Julien Duez
Photos : DR.