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Le jour où Rennes a passé 20 minutes en Ligue des champions
Il y a dix ans contre Lille, le Stade rennais passait a une seconde d'une place sur le podium. Frédéric de Saint-Sernin, Pierre Dréossi, Bruno Cheyrou et Daniel Moreira reviennent sur un moment que Nicolas Fauvergue a décidé de gâcher.
C’est une de ces histoires qui n’appartiennent qu’à la Ligue 1. Une histoire où Lille, Rennes, Bordeaux et Toulouse peuvent composer un carré magique le temps d’une soirée étoilée. 26 mai 2007 : Lille reçoit Rennes, Bordeaux va à Toulouse. Et puis Lens va à Troyes. Si Rennes gagne et que Lens et Bordeaux perdent, Rennes terminera la saison sur le podium, ce qui représenterait une première historique. À la 71e minute, Bordeaux et Lens sont balayés (3-0). À la 74e, Rennes ouvre le score. L’impensable est en route : Rennes va se qualifier pour les barrages de Ligue des champions. Oui, mais le Stade rennais a une réputation à tenir. Une réputation qui va se matérialiser par une égalisation de Nicolas Fauvergue à la dernière seconde pour les Lillois.
« Un mec comme Jeunechamp… Il était énervé parce que Fauvergue faisait le malin ! »
À la technique, c’est Bruno. Cheyrou rembobine le match. 74e minute : « Il y a de l’espace sur la gauche, j’arrive en bout de course, je frappe, et je crois que c’est Micka Landreau… Tony Sylva ? Pfiou, ça remonte ! Donc Sylva repousse, la balle revient sur moi et je décale Utaka qui met une belle frappe. » Avec la passe décisive du consultant de beIN Sports, « le match était fini, les Lillois pas vraiment motivés, ils étaient en vacances plus qu’autre chose… » Sauf que. Après quelques notes de Chopin au standard d’Acted, l’ONG qu’il dirige désormais, Frédéric de Saint-Sernin prend le relais : « J’étais dans les tribunes avec Jimmy Briand qui ne pouvait pas jouer » , commence le président rennais de l’époque. « On descend sur la pelouse vers la 91e, 92e minute, on a envie de communier avec les joueurs. Et là, à la dernière seconde, une faute un peu stupide de Doudou Jacques Faty à trente ou trente-cinq mètres, sur le côté. Coup franc, tête de Fauvergue… Qui est absolument magnifique d’ailleurs, il faut le reconnaître. » L’entraîneur breton, Pierre Dréossi, n’a pas non plus oublié ce funeste combo coup de patte d’Obraniak/coup de griffe du Fauve : « J’étais très en colère sur le coup franc, parce que j’avais demandé aux joueurs de ne surtout pas faire faute. Lille était inoffensif, il n’y avait que sur coup de pied arrêté qu’on pouvait encaisser un but ! »
Pas question pour autant d’en vouloir à Faty. Ni pour l’actuel manager du Paris FC ni pour Daniel Moreira et sa feuille de buts blanche, cette saison-là : « Non, on est un groupe, on se soutient. On a tous eu des trucs comme ça, des attaquants qui ratent des buts, tout ça… » Ce qui passe moins pour le désormais entraîneur de la réserve lensoise, ce sont les secondes qui suivent l’égalisation : « Lui (Fauvergue), hyper content, il avait fait le tour du terrain, le tour du stade, comme un fou. Après on voulait tous l’attraper ! (rires). Un mec comme Jeunechamp… Il était énervé parce que Fauvergue faisait le malin ! » Une montée en pression validée par Cheyrou : « Quand il est rentré, il a commencé à courir partout, comme si sa vie en dépendait. Et en égalisant, ça ne changeait rien pour eux, mais il a célébré son but, comme s’il avait gagné la Coupe du monde ! » C’est que le grand Nicolas et ses 14 buts en 124 matchs de Ligue 1 aiment Rennes. Saison précédente, même dernière journée de championnat : pour ses adieux au stade de la route de Lorient, Alexander Frei plante un doublé et va qualifier sa future ex pour l’UEFA. Mais Fauvergue passe par là, réduit le score et ouvre la voie à l’égalisation de Bodmer, six minutes plus tard. Encore plus tard, en 2009, lorsque Rennes débarque au Stadium-Nord fort de 18 matchs sans défaite, c’est évidemment Fauvergue qui pousse Petter Hansson à marquer contre son camp et à mettre fin à la plus longue série d’invincibilité du club. Deux saisons (2006 et 2009) où Rennes finira le championnat à la 7e place, sa préférée.
Tapis vert et maillot rose
Depuis, le Stade rennais a connu d’autres désillusions. À commencer par les finales de coupes, qui constituent un podium dont le président se serait bien passé : « Numéro un, la défaite contre Guingamp en 2009. Numéro deux, la défaite contre Guingamp en 2014. Numéro trois, la défaite contre Saint-Étienne en Coupe de la Ligue, en 2013. » Finalement, 2007 reste même un bon souvenir sportif pour Fred le serein : « Au moment du coup de sifflet final, je vais voir Dréossi et je lui dis « écoute, c’est quand même bien, on est 4es« .Et là il hurle, il me dit « pas du tout, on est 5es, on est 5es, c’est pas possible d’en arriver là ! » Donc je lui hurle encore plus fort en disant « on est 4es, c’est la meilleure performance de l’histoire du club ! » » Dix ans plus tard, Dréossi ne hurle plus, il philosophe : « Il y a la déception, mais aussi la réussite. C’est une très, très belle saison. On peut dire aussi que si tu ne vas jamais en finale, tu ne la perdras jamais, et que si tu ne finis jamais 4e, tu n’es jamais près du podium. On n’était pas loin, et ça c’est important pour la construction du club. » De fait, après le match, les joueurs seront accueillis comme des héros à l’aéroport avant d’aller fêter la fin de saison. Et si Bruno Cheyrou la fera courte, Fred’ de Saint-Ser’, lui, verra l’aurore de ses yeux fatigués. Une manière d’oublier, aussi.
Car dans cette histoire, si Rennes est le dindon, c’est Toulouse qui braque le pompon. Et d’une façon qui ne passe toujours pas aux yeux du grand Cheyrou : « C’est Nantes-Toulouse qui nous avait fait du tort et ça, objectivement, c’était honteux. C’était une décision administrative qui avait faussé le classement final. » Soit la décision de la LFP, trois jours avant, d’attribuer trois points à Toulouse à la suite de l’envahissement de terrain et à l’interruption de son match à Nantes, sur un 0-0 à la 87e minute. Trois points qui remettent Toulouse dans la course et lui permettent de griller la politesse à Lens, Bordeaux et Rennes sur la dernière journée. Du côté de la direction aussi, la pilule est difficile à avaler, même si Saint-Sernin y met du sien : « Toulouse n’était pas en situation de gagner le match, et Olivier Sadran, très malin, sent qu’il peut faire quelque chose. Il rapatrie les joueurs, direction le vestiaire et plus personne ne sort ! (rires) » Trois points à mettre, au mieux, au crédit du président toulousain qu’a connu Moreira ? L’attaquant passé par la ville rose n’est pas loin de le penser : « J’avais des joueurs au téléphone, ils me chambraient, mais moi je leur rappelais que les trois points, c’est la Ligue qui leur a donné, pas eux qui les ont gagnés ! (rires) » Une belle façon de voir les choses. Car, comme le dirait presque De Coubertin, le plus important n’est pas de gagner, mais bien de chambrer. Pour une fois qu’un Rennais peut se le permettre…
Par Eric Carpentier
NB : le 26 mai 2007, la timbale du multiplex avait retenti 28 fois sur Canal +. Ce samedi, pour Lille-Rennes, c'est direction beIN MAX 8.