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Le jour où Pierluigi Collina a arbitré Lyon-Marseille en Ligue 1
Le 10 janvier 2003, Pierluigi Collina posait ses valises à Lyon pour arbitrer un Olimpico au stade Gerland. Un véritable événement dans l'Hexagone qui comporte également son lot de petites histoires.
L’histoire ne dit pas si Benoît Millot était devant sa télévision, le 10 janvier 2003. Ce jour-là, l’Altoséquanais fêtait ses 21 ans et rêvait peut-être déjà d’une carrière d’arbitre de haut niveau. Une chose est sûre : il ne savait pas qu’il aurait l’honneur d’être nommé pour diriger la 101e rencontre entre Marseille et Lyon près de deux décennies plus tard. Ce dimanche, l’arbitre international français aura le plaisir d’officier sur un OM-OL pour la première fois de sa carrière en championnat. Une belle marque de confiance, mais pas une raison pour lui dérouler le tapis rouge ou le voir faire la Une des journaux. C’est bien connu, les arbitres ne font parler d’eux que lorsqu’ils font des erreurs après les matchs, mais sûrement pas avant. Sauf ce fameux 10 janvier 2003, où le jeune Benoît Millot avait peut-être entendu parler entre deux parts de gâteau d’un Lyon-Marseille de gala, programmé le soir de son anniversaire. Une affiche pour la première place en Ligue 1, entre le 5e et le leader, mais le véritable évènement était ailleurs. Ce soir-là, la star du match n’est pas un joueur, c’est un arbitre. Son nom ? Pierluigi Collina.
Séminaire à Biarritz, Dieu de l’arbitrage et pâtes natures
La présence du chauve aux yeux globuleux le plus connu de la planète sur une pelouse de Ligue 1 résulte à la fois d’un heureux concours de circonstances, et d’une volonté des différents acteurs de mettre un coup de polish sur l’élite du championnat de France. Au début de l’année 2003, les arbitres de l’Hexagone mettent le cap au Sud pour un traditionnel séminaire hivernal à Biarritz. « Et là, je ne sais plus trop pourquoi, ils ont décalé une journée où ils ont placé des matchs de L1 à la même période. J’ai refusé de désigner des arbitres en disant que c’était inadmissible, rejoue Michel Vautrot, directeur technique national de l’arbitrage français à l’époque. On programmait nos séminaires longtemps à l’avance, ça ne pouvait pas tomber sur un week-end de Ligue 1. J’ai tenu bon face au président Thiriez et j’ai dit qu’il n’y aurait pas d’arbitres français, mais des étrangers. »
Un discours suivi des actes, puisque plusieurs fédérations sont contactées pour mettre à disposition des hommes en noir pour trois rencontres. « Il devait y avoir un Belge, un Espagnol, qui n’avait d’ailleurs pas été très bon à Montpellier, et donc Collina, se remémore Vautrot. On l’avait mis sur le gros match, Lyon-Marseille. C’était un super évènement pour la Ligue 1, même si ce n’était pas la première fois qu’un arbitre étranger venait officier dans notre championnat. » Si le retraité n’a pas le souvenir d’avoir immédiatement coché le nom de l’Italien, d’autres assurent qu’il est à l’origine de cette idée de génie. « Michel Vautrot avait cette idée de faire appel de temps à autre à des arbitres de championnats étrangers, pose Jacques Poulain, nommé observateur de la DTA sur cet OL-OM de janvier 2003. Et à l’occasion de cette journée bloquée par le séminaire, Vautrot voulait frapper un gros coup, et on a réussi à avoir Collina. » Dans les bureaux de Canal +, le directeur du service des sports Karl Olive se frotte les mains : « Ça aurait pu être un Luxembourgeois, mais cette année-là, Vautrot fait appel au Zidane de l’arbitrage : Collina. C’était le number one à l’époque. Tout le monde le connaissait. Aujourd’hui, si tu fais un micro-trottoir en demandant à des gens de citer cinq arbitres dans le monde, il y en a au moins deux qui vont te répondre Collina. »
Moins de six mois après avoir dirigé la finale de la Coupe du monde entre l’Allemagne et le Brésil, au Japon, Pierluigi Collina est attendu par les observateurs de la Ligue 1 comme une rockstar. Plus qu’un arbitre, le Monsieur Propre italien est une icône qui tourne dans plusieurs spots publicitaires de l’autre côté des Alpes. Mieux, il se retrouvera cette même année 2003 sur la jaquette du célèbre jeu vidéo Pro Evolution Soccer 3. « Ce n’était pas Lyon-Marseille qui comptait, l’obsession c’était Collina, assure Jacques Poulain. Les gens venaient le voir lui, pas le match. J’ai tourné avec beaucoup d’arbitres français de renom, ce qui se fait de mieux, mais lui c’était le dieu de l’arbitrage. Il avait quelque chose en plus, il était sur un piédestal. »
Il fallait donc mettre les petits plats dans les grands pour recevoir celui qui était considéré comme « l’ambassadeur de l’arbitrage ». Encore plus que d’habitude, il fallait que tout soit parfait, millimétré, pour éviter que l’image du football français n’en pâtisse. Jacques Poulain : « Michel (Vautrot) m’avait demandé de sortir de mon rôle habituel spécialement pour Collina. J’arrivais généralement trois heures avant le coup d’envoi d’un match, là je suis allé l’accueillir à l’aéroport de Lyon le vendredi matin, je l’ai accompagné à l’hôtel, et ma mission devait se terminer le lendemain, seulement quand il serait parti. » De cette journée spéciale, ceux qui ont côtoyé l’impressionnant Collina gardent le souvenir d’un homme agréable, « ouvert à la discussion », et pas du tout dans la peau d’une star arrogante venue donner la leçon à de simple petits arbitres. Pas vraiment habitué au luxe du Sofitel – les hommes en noir étaient généralement logés dans des Mercure à l’époque -, Eric Dansault n’a pas oublié l’amour de Collina pour les pâtes ( « il ne mangeait que ça, des pâtes nature » ) et la pression liée à la surmédiatisation d’un match décidément pas comme les autres. « Quand tu débutais comme moi, tu avais la crainte de faire une connerie, explique-t-il. Automatiquement, ça nous mettait une pression, même si elle était positive. »
Le micro, la presque cerise sur le gâteau
Loin du stress et de l’appréhension, Karl Olive dispense quelques cours de media training aux hommes en noir pendant leur séminaire à Biarritz à quelques jours de l’affiche OL-OM. Mais surtout, il jubile. Plus les heures passent et plus le directeur des sports de Canal + voit une ribambelle de feux verts s’allumer sur sa route. Celle-là même qui va lui permettre de réaliser un gros coup sur lequel il bosse depuis plusieurs mois : placer un micro sur Pierluigi Collina durant cet OL-OM à Gerland. « On avait pris toutes les précautions avec Michel Platini, alors président de l’UEFA, et les équipes de Canal pour que cela se fasse, raconte-t-il aujourd’hui. La FFF via son président de l’époque (Claude Simonet) nous avait donné son accord, la LFP également, la FIFA aussi via Michel. Quand on a eu l’accord de principe de Collina l’avant-veille du match, à Biarritz, car Vautrot était en contact avec lui, forcément, oui, tu jubiles. » La chaîne cryptée n’est pas la première à vouloir filer un mic’ à un arbitre en France, malgré son statut de diffuseur exclusif qui avait payé « près de 600 millions d’euros » les droits de la Ligue 1 à l’époque pour s’offrir ce plaisir. Six jours avant ce fameux vendredi 10 janvier, TF1 réussit un coup de maître lors d’un OM-Bastia en 32es de finale de Coupe de France. Oui, la France entière a pu, en clair, entendre Alain Sars morigéner Sébastien Pérez pour ses tirages de maillot dans ce choc de la Méditerranée remporté par l’OM (2-0).
À TF1, le cerveau de l’opération micro s’appelle Christian Jeanpierre : « On avait contacté la FIFA en disant « Il faut le faire », mais ils m’avaient dit non, explique l’ancienne voix des Bleus. On l’a alors fait dans leur dos avec l’accord de Frédéric Thiriez qui était président de la LFP. On l’avait testé sur un Lille-Nantes au mois de novembre 2002 avec Laurent Duhamel comme arbitre, mais ses propos étaient diffusés après la rencontre. » Lorsque CJP apprend que Canal s’apprête à renouveler l’expérience avec Collina, six jours après OM-Bastia, l’homme l’assure : il n’est absolument pas dans un esprit de guerre des chaînes. « Je m’en foutais que Canal le fasse quelques jours après nous, car j’ai une vision plus globale du foot. Je serai le premier à me féliciter si l’idée est reprise aujourd’hui de manière pérenne, quel que soit le diffuseur. » Pour Collina, Karl Olive a une idée qui se rapproche par ailleurs plus du modèle « Duhamel » que l’expérience vécue par Alain Sars, à savoir diffuser un montage de ses propos à la mi-temps et après le coup de sifflet final de cet Olimpico. « Avoir Collina qui vient arbitrer en France, c’était la cerise sur le gâteau, rejoue le maire (DVD) de Poissy. C’était presque deux événements en un. Tu avais l’affiche OL-OM et Monsieur Pierluigi Collina qui venait arbitrer. Cela donnait encore plus de parfum à notre rencontre : on avait le parfum du terrain avec Paga, le parfum des tribunes avec des caméras installées un peu partout et donc Collina dans une soirée prime time très attendue. »
Mais comme tout cela sonnait trop beau pour être vrai, Pierluigi Collina refuse finalement de porter le micro quelques heures avant le coup d’envoi. Pour les équipes de Canal +, c’est la douche froide. Plusieurs explications sont alors avancées : la première, que le dialogue entre Collina et ses assistants français aurait été compliqué par la présence du micro, rajoutant une forme de pression. Eric Dansault et Richard Delorme, ses deux assistants d’un jour, démontent cette version en chœur : Pierluigi Collina « parlait déjà un très, très bon français ». Autre hypothèse, que personne ne peut (ou ne veut) confirmer aujourd’hui : Collina étant un athlète sponsorisé par Adidas et le patron de l’OM également celui de la marque aux trois bandes, Robert Louis-Dreyfus aurait ainsi usé de son influence pour faire capoter l’affaire. Car si le PSG est identifié comme étant le club historiquement proche de Canal +, l’OM est davantage le club de TF1… « Le lendemain, quand j’ai vu Michel Denisot à Canal, il était bien sûr très déçu, mais il m’a dit :« Je préfère avoir essayé plutôt qu’on n’ait pas tenté le coup », explique Karl Olive. Et puis, si on n’a pas eu la cerise que l’on voulait, il nous restait au moins le gâteau ! »
Match banal, arbitre extra
Le gâteau, c’était le match. Au moment de croiser le fer, l’OM et l’OL sont les deux ténors du championnat. L’OL vient pourtant de se faire sortir par Libourne Saint-Seurin en Coupe de France, tandis que l’OM s’apprête à boucler le transfert de Dmitri Sytchev malgré la concurrence féroce du Dynamo Kiev. Cette affiche arrive en plein mois de janvier, au moment « où il fait -7 ou -8°C à Lyon » comme a pu le vérifier Richard Delorme en arrivant à la gare de Part-Dieu le jour même. « Souvent, ces matchs-là sont les premiers de l’année, joués sur des terrains gelés, et on n’a pas un grand spectacle technique. Ce n’est pas un match qui vient au printemps ou à la rentrée. C’était une sacrée vitrine pour Canal et aussi pour comparer avec notre arbitrage à nous », appuie Karl Olive. Cet Olimpico, l’OL l’enlève 1-0 sur un coup de casque de Peguy Luyindula avant la pause. Collina n’aura aucune réelle situation compliquée à gérer. « Mon appréciation générale était très bonne, glisse dans un sourire Jacques Poulain, perché dans les tribunes avec son calepin ce soir-là. Ce qui m’a marqué, c’est son assurance. Il avait cette façon de prendre ses décisions avec fermeté, notamment dans le regard. C’est comme s’il ne doutait jamais. »
Après la rencontre, Salomon Olembe expliquera que l’arbitrage de Collina fut « plus sévère que celui des Français, empêchant de développer un jeu physique ». Frank Lebœuf, capitaine de l’OM et un brin chambreur, jugera surtout que « Pierluigi Collina a été à la hauteur, mais il a vraiment une sale coupe de cheveux ». Du côté de ses assistants, et notamment d’Éric Dansault, c’est un coup de cœur : « Sur le terrain, on n’a pas entendu un mot. Les joueurs se comportaient de manière différente, ils savaient qui c’était, et son regard jouait aussi en sa faveur. J’ai également appris une chose de cette soirée : je me suis aperçu qu’il avait une vraie maîtrise des déplacements, il ne faisait que des déplacements utiles. » Cet OL-OM restera comme la seule pige de Collina dans le championnat de France, mais celle-ci se retrouvera au cœur d’une discussion plus de dix ans plus tard. Au détour d’un couloir du Matmut Atlantique, soir d’un quart de finale d’Italie-Allemagne à l’Euro 2016, où Karl Olive croisera Pierluigi Collina avec une question qui lui brûle les lèvres depuis trop longtemps : pourquoi a-t-il réellement refusé de porter le micro ? Réponse du divin chauve, dans un sourire : « Si c’était à refaire, je porterais le micro. »
Par Andrea Chazy et Clément Gavard
Tous propos recueillis par AC et CG, sauf mentions