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Le jour où Pelé a fait de la pub pour Puma pendant un match du Mondial 1970

Par Chérif Ghemmour
7 minutes
Le jour où Pelé a fait de la pub pour Puma pendant un match du Mondial 1970

Comment Pelé est devenu le Roi... de la publicité clandestine ! Quelques secondes à refaire ses lacets et gros-plans TV sur ses crampons siglés Puma. Un grand moment de marketing sportif...

« Avant la Coupe du monde 1970, Horst Dassler (Adidas) et Armin Dassler (Puma) passèrent un accord des plus étonnants. Il y avait un joueur, décidèrent les deux cousins ennemis, que leurs deux sociétés s’engageaient à ne pas approcher : Pelé. Aucune des deux firmes ne pouvait s’autoriser une folle surenchère pour signer le phénomène brésilien. Cet accord fut baptisé « Le pacte Pelé ». » À la page 134 de son livre Sport Business, Adidas et Puma : La guerre des logos (2008), la célèbre journaliste Barbara Smit raconte comment Puma a rompu ce pacte en signant Pelé au Mundial 1970…

Puma-Seleção, la love story…

Depuis les années 1960, Adidas et Puma s’étaient disputés les contrats d’équipementier des grands sportifs. Avec l’explosion des retransmissions télévisées des grands événements (Coupes du monde de foot, JO), les athlètes-stars, pas idiots, faisaient monter les enchères au détriment des deux marques allemandes ennemies. Voilà pourquoi elles se neutralisèrent sur le cas Pelé. Jusqu’à ce que Puma rompit le pacte de façon machiavélique à l’occasion du Mundial 1970… La marque au félin dépêcha ainsi un journaliste allemand, Hans Henningsen, spécialiste du football brésilien, dont la mission fut d’infiltrer la Seleção. Devenu familier des joueurs avec lesquels il buvait des bières, il pouvait convaincre pas mal d’entre eux de signer chez Puma. Bizarrement, le bon Hans n’avait jamais reçu d’instruction formelle de ne pas approcher Pelé… Au Mondial 1958, Puma avait équipé en chaussures les deux équipes finalistes, la Suède et le Brésil, avec notamment Djalma Santos et Nilton Santos, porteur de la marque célèbre. Les joueurs de la Seleção appréciaient la chaussure Puma, mais le contraste blanc-noir (la fameuse bande blanche latérale sur cuir noir) les gênaient… Superstitieux, ils préféraient jouer avec des chaussures entièrement noires ! En 1970, avant de partir au Mexique, chaque joueur de la Seleção s’était engagé à porter des crampons Adidas. Titulaires et remplaçants étaient assurés de toucher 40 dollars en cas de qualif pour les huitièmes, plus 50 pour les quarts, plus 70 pour les demi-finales et encore 100 pour la finale. Sauf que… Personne n’avait pris la peine de lire les clauses qui stipulaient que seuls les titulaires toucheraient cet argent ! Pelé recommande alors à ses coéquipiers de dénoncer le contrat. Beaucoup de joueurs, surtout des remplaçants, cassent alors leur engagement avec Adidas et en signent un autre avec Puma. Très certainement par l’entremise de Hans Henningsen… Problème : les Puma provoquent des cloques à tous ceux qui les portent. Qu’à cela ne tienne ! Ils seront quand même quatre titulaires à porter la marque au félin : Brito, Félix, Gérson… et Pelé ! Mais comment a-t-il pu signer pour cet équipementier et rompre ainsi le pacte Adidas-Puma ?

Le coffre à cash de Pelé !

Il est difficile d’établir la chronologie exacte du deal passé entre Puma et Pelé, mais Barbara Smit en décrit le déroulé factuel. En fait, c’est Pelé lui-même qui a harcelé Hans Henningsen en réclamant une offre de Puma ! Le Roi était alors sous contrat avec Stylo, une firme anglaise. Il ne comprenait pas pourquoi les deux firmes allemandes ne lui faisaient pas d’offres plus alléchantes que Stylo, alors que la plupart de ses coéquipiers avaient signé depuis longtemps. Stupéfait de voir que le meilleur joueur du monde n’avait toujours pas de contrat chaussures digne de son prestige, Henningsen prit l’initiative personnelle de négocier avec Pelé à quelques jours du début du Mundial 1970. Il proposa à Pelé 25 000 dollars US pour la durée de la Coupe du monde mexicaine et 100 000 dollars pour les quatre années suivantes, avec des royalties de 10% sur les chaussures Puma à sa griffe. C’est le fameux modèle Puma King, rendu prestigieux depuis 1966 par son joueur promoteur attitré, le Portugais Eusébio, pour laquelle Pelé ferait à son tour la promotion au Mundial. Et contrairement à ses coéquipiers, la star brésilienne disposera d’une gamme entièrement personnalisée de cinq modèles différents siglés « Pelé King » . L’originalité de certaines paires, c’est la fameuse bande Puma, non pas blanche, mais de couleur jaune, en référence à la Seleção !

Pour conclure le deal, il fallait l’aval du big boss, Armin Dassler. Il savait que cette rupture du Pacte Pelé relancerait la fameuse « Guerre des crampons » débutée au début des années 1960 avec la firme de son cousin Horst Dassler (dit « Adi » Dassler, d’où Adi-Das). Il savait aussi que les représailles du patron des « trois bandes » seraient terribles. Mais Armin sauta le pas et avalisa le deal de Henningsen. Tous deux allèrent même livrer la somme en cash à Santos, où Pelé résidait : « Nous avions été abasourdis de voir comment il balançait les milliers de dollars dans son coffre », rapporta le bon Hans… Pour le Mundial, Henningsen et Pelé mirent au point un stratagème qui assurerait à la Puma King une exposition TV maximale : juste avant le coup d’envoi d’un match de la Seleção, au moment où l’arbitre s’apprêterait à siffler l’engagement, Pelé l’interromprait en lui demandant d’attendre qu’il relace ses chaussures. Avec le cadrage TV qui fait focus sur les crampons du Maître, la diffusion en mondovision assurerait une publicité gigantesque à la Puma King ! Il apparaît toutefois que Pelé joue avec des chaussures uniformément noires lors des trois premiers matchs du Brésil contre la Tchécoslovaquie, l’Angleterre et la Roumanie (il relace même ses crampons au coup d’envoi, pour ce troisième match).

D’abord le pied droit. Toujours !

Mais contre le Pérou, en quarts de finale, le petit numéro concocté par Hans et Edson Arantes se déroule exactement comme ils l’avaient projeté ! À midi pile, sous le cagnard de Guadalajara, l’arbitre belge Vital Loraux est sur le point de siffler l’engagement qui doit être joué par Tostão et Pelé. Ce dernier s’accroupit alors pour relacer (plutôt que lacer !) ses pompes. Et ça dure, et ça dure, et ça dure ! Le pied droit, et après le pied gauche. L’arbitre attend, et Tostão, visiblement pas au courant du petit manège du Roi, s’impatiente… Et c’est enfin parti ! Trente secondes en tout pour ce relaçage. Trente secondes de pub clandestine, en exposition universelle et qui ne coûtera pas un rond à Puma. Pelé récidivera en demi-finales juste avant le match contre l’Uruguay. Même scénario et même attente crispante pour Tostão. Outre la privatisation à son profit de la Seleção pour raisons mercantiles, Pelé a en outre le cran de se permettre cet écart lucratif et déconcentrant à quelques secondes seulement du match le plus important de la Seleção jusqu’alors. Heureusement, le Brésil l’emportera 3-1 et se qualifiera pour la finale. La légende raconte toujours que, dans le cadre du petit coup de pub Puma d’avant-match, Pelé a également fait retarder le coup d’envoi de la finale contre l’Italie. Cela reste à prouver, car le coup d’envoi du match a été donné par les Italiens. Pelé a-t-il refait le coup des lacets, mais à l’engagement de la seconde mi-temps ? Il faudrait là aussi retrouver les images et les témoins…

Face au « super strike » réussi par son cousin Armin (Puma & Pelé, champion du monde et élu meilleur joueur du tournoi), Horst Dassler entra dans une colère noire et envoya par avion direct son commercial de choc, François Remetter, ex-gardien des Bleus à la Coupe du monde 1958. Sa mission : aller convaincre le Roi de changer d’avis. En vain… La guerre totale Adidas-Puma allait devenir impitoyable, et le marketing imposerait la constitution d’écuries pléthoriques aux noms prestigieux. Après le grand succès commercial de la King Pelé, Puma opta alors et avec beaucoup de succès pour une politique élitiste, plutôt que quantitative. Elle rechercha des ambassadeurs au profil original qui décline talent, personnalité, style, leadership. Sa politique d’« endorsement » affichera même une prédilection pour les grands buteurs ou les grands numéros 10. La marque au félin enrôlera ainsi dans les années 1970 Johan Cruyff (triple Ballon d’or), Günter Netzer (star et playboy du foot allemand) ou Mario Kempes (champion du monde 1978). À la fin des années 1970, rencardé par César Luis Menotti, l’impayable Hans Henningsen avertira très tôt la maison mère des exploits d’un jeune prodige argentin. Un certain Diego Maradona….

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Par Chérif Ghemmour

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