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Le jour où Marseille affrontait l’Ajax de Cruyff en C1

Par David Sfez // Tous propos recueillis par DF
6 minutes
Le jour où Marseille affrontait l’Ajax de Cruyff en C1

Il y a 44 ans, l'OM se déplaçait à Amsterdam pour affronter l'Ajax en huitièmes de finale retour de la Coupe d'Europe des clubs champions. Après un match aller perdu 2-1, les Marseillais ne croyaient plus vraiment à l'exploit. Pour plusieurs joueurs qui ont disputé ce match, les dés étaient pipés dans cette opposition face à la bande de Johan Cruyff, au top du football européen. Retour sur une élimination plus ou moins annoncée…

Ce mercredi 3 novembre 1970, c’est un Olympique de Marseille courbaturé qui débarque à Amsterdam pour disputer son match retour de huitièmes de finale de C1. Le tenant du titre, l’Ajax Amsterdam, s’est imposé 2-1 à l’aller, grâce notamment à Johan Cruyff qui a calé un joli but, après un raid de 50 mètres. Une défaite qui a laissé des séquelles physiques pour Bernard Bosquier. Le défenseur olympien, qui anime désormais des stages de foot, détaille l’incident : « C’était sur un coup franc de Piet Keizer. Il a frappé tellement fort que cela m’a retourné l’orteil dans la chaussure. J’ai dû jouer les trois saisons suivantes avec une semelle en zinc. C’est le masseur de l’équipe de France qui m’a bricolé cela. Comme il a travaillé à l’Opéra, il avait déjà été confronté à ce genre de situations. Depuis, je n’ai plus joué normalement » , déclare « Bobosse » . Le joueur au gros doigt de pied endolori se souvient que le pessimisme dominait dans les rangs olympiens à l’approche de l’échéance : « Le matin du match, on a fait une balade au bord de la mer et je me souviens qu’on n’était pas confiants. On savait que cela allait être très très dur. »

Le quart d’heure de gloire marseillais

Malgré tout, les Marseillais veulent y croire. À l’instar de Josip Skoblar, parti brûler un cierge à Notre-Dame-de-la-Garde, les supporters se sont même cotisés pour déposer une bougie de 5 kilos dans la basilique. Alors qu’ils doivent s’entraîner au stade la veille du match, les joueurs de Lucien Leduc se voient refuser l’accès et doivent se rabattre sur un terrain adjacent. Les Rouge et Blanc affichent un excès de confiance. Piet Kiezer déclare : « Je suppose que nous l’emporterons. » Un optimisme partagé par Johan Cruyff : « Marseille est une très bonne équipe, mais elle ne porte pas assez son jeu et ne s’adapte pas toujours aux circonstances du moment. L’emporterons-nous ? Le résultat à l’aller nous permet d’espérer. » Un snobisme qui va profiter aux visiteurs. Ce sont eux qui se procurent les premières occasions : « Je me souviens qu’on était bien sur le terrain, les joueurs de l’Ajax nous ont peut-être pris un peu trop de haut » , rembobine Didier Couécou qui va même ouvrir le score à la 17e minute. « On pensait vraiment que ce but leur mettrait un coup de bambou sur la tête » , se souvient Georges Carnus, l’ancien gardien de l’OM, désormais recruteur pour l’AS Monaco. Seize minutes de plaisir seulement pour les Marseillais. Juste le temps pour Johan Cruyff de trouver la faille. À la 33e minute, après une accélération, il se place tranquillement aux 25 mètres et balance une frappe qui laisse Carnus pantois. Quatre minutes plus tard, l’Ajax marque le deuxième, suivront deux autres en deuxième mi-temps. Au total, cela fait 6-2 sur les deux matchs. Johan « le maigre » taquinera même ses adversaires, dans la presse, à l’issue de la rencontre en déclarant : « Je me suis bien amusé. »

Cruyff et l’Ajax à son climax

JC14 était largement au-dessus, d’après les joueurs qui ont disputé cette double opposition. Au-delà de l’aspect technique, il fallait un bon palpitant pour tenir le rythme imposé : « Sur le terrain, c’était une Mercedes. On l’avait l’impression qu’il avançait avec le ballon sous le bras. Il était difficile à attraper, vu qu’il se déplaçait tout le temps. Ce genre de situations fait que tu es carbonisé, surtout que tu cours souvent pour rien » , constate Bernard Bosquier. Une impression de vitesse partagée par Didier Couécou : « Sur 10/20 mètres, il pouvait faire des accélérations terribles et vous mettait deux, trois mètres dans la vue en un clin d’œil. Quand tu es face à ce genre de joueurs, tu te dis qu’il pourrait juste jouer 10 minutes. C’est le genre de mecs que tu peux laisser sur le banc et laisser ses partenaires à 10 pour qu’il se repose et le laisser revenir sur le terrain. » Outre ses qualités physiques et techniques, le numéro 14 batave avait surtout beaucoup de classe, d’après Ange Di Caro : « C’était l’élégance même. Un joueur comme cela, il est tellement fort que tu n’oses même pas le toucher. D’ailleurs en un contre un, il nous éliminait avec une facilité incroyable. Tu avais l’impression que la balle lui collait au pied et il ne regardait pas la balle, ce qui était nouveau pour l’époque. » Un respect également suscité par l’absence de fautes commises par leurs adversaires, d’après Georges Carnus : « Sur le terrain, c’est la grande classe. Il ne nous a jamais chambrés, ni fait de mauvais geste. » Gilbert Gress se montre plus mesuré sur l’impact du triple Ballon d’or et préfère rendre hommage au collectif des Landiers : « L’Ajax, c’était Cruyff bien sûr. En revanche, une fois qu’il a quitté l’Ajax, il n’était pas aussi bon. C’est comme Messi, il a besoin d’un Xavi ou d’un Iniesta pour flamber. En France, on a tendance à croire que c’est un joueur qui fait tout (énervé). C’est un manque de respect total envers les autres joueurs. » Les autres joueurs comme Keizer, Neeskens qui suivaient les consignes du chef de meute, selon Bernard Bosquier : « Il décrochait beaucoup, mais c’est lui qui commandait. Il parlait tout le temps, faisait des gestes pour replacer ses coéquipiers. C’était comme un deuxième entraîneur, mais sur le terrain. »

Un problème franco-français ?

Même si pour tous, il est indéniable qu’il y avait une différence de niveau, Didier Couécou déplore un manque de réalisme : « La différence entre nous et eux, c’est qu’eux, ils marquaient. Au match aller, j’avais délivré deux caviars énormes à Skoblar qu’il a ratés. Je me demande encore comment, alors que c’était pas n’importe qui. Peut-être qu’il faisait partie des joueurs qui étaient plus taillés pour le championnat de France. » De son côté, Gilbert Gress y voit plutôt un manque de culture tactique : « On n’était pas prêts. Les joueurs de l’Ajax se déplaçaient en bloc, et tout le monde participait au pressing. C’était une tactique qui n’était pas pratiquée, les attaquants ne venaient jamais défendre, c’était pas dans notre culture. Je me rappelle un match en première division, à Rennes, où Magnusson avait provoqué un corner défensif. Il s’était fait allumer le lendemain dans La Provence » , regrette le Suisse. Bernard Bosquier, qui a passé 180 minutes à cavaler face au « Hollandais volant » , se montre plus philosophe : « On ne s’en voulait pas trop, car on avait eu l’impression de combattre une forteresse. C’est pas comme si on avait les armes à la main, mais c’était difficile de s’en servir. D’ailleurs, le public marseillais ne nous en a pas voulu. Ils ont compris qu’il y avait une ou deux classes d’écarts avec eux. » Une défaite qui n’a également pas affecté l’ambiance du vestiaire, à en croire Gress : « Il y avait une ambiance remarquable, extraordinaire, chaleureuse. J’ai très rarement vu cela dans toute ma carrière » , sans pour autant affecter les résultats du club. Les locataires du Vélodrome termineront la saison 71/72 avec un doublé championnat/Coupe de France. Le premier de l’histoire du club.

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