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Le jour où Marseille a gagné à Bordeaux
« À l'époque, il n'y avait pas encore de rivalité entre Bordeaux et Marseille, mais ce match a marqué le début d'une histoire un peu spéciale entre les deux clubs. » Lorsqu'il s'agit d'évoquer la dernière victoire marseillaise à Bordeaux en championnat de France, Gernot Rohr a le sens de la formule aussi aiguisé que pouvaient l'être ses tacles. Au sortir de cette rencontre d'octobre 1977, personne ne se doute que c'est grâce à son score que le match restera dans les annales. En revanche, la blessure de Daniel Jeandupeux est dans tous les esprits.
Ce 1er octobre 1977, au sortir d’une défaite 2-1 face à l’OM, ce n’est pas de la déception qui flotte dans le vestiaire bordelais du Parc Lescure. C’est de l’inquiétude. Pas pour la situation sportive des Girondins, englués à la dixième place, mais pour l’état de Daniel Jeandupeux. « Nous étions complètement abasourdis, se souvient aujourd’hui Alain Giresse. On ne pensait qu’à se renseigner sur l’état de Daniel. » Car un peu plus d’une vingtaine de minutes auparavant, la jambe droite de l’attaquant suisse a cédé, sous la pression du genou marseillais de Marc Berdoll. La blessure est horrible : double fracture ouverte. Daniel Jeandupeux ne le sait pas encore, mais à 28 ans, sa carrière de joueur est stoppée net. Dans ces conditions, au moment de rembobiner le film, aucun des protagonistes ne dit se souvenir du reste de cette rencontre.
Un os qui transperce la chaussette
Marc Berdoll se souvient bien avoir marqué de la tête, mais ne sait plus s’il s’agissait du premier ou du second but olympien. Il s’agissait du premier, celui de l’égalisation, après un penalty transformé par Giresse. Quant au but victorieux, seul Victor Zvunka, son auteur, s’en souvient à peu près. « Je récupère le ballon en position de défenseur central, je m’avance, je sollicite un une-deux et je frappe. J’ai un peu de réussite, parce que Bergeroo repousse, mais le ballon me revient dessus à l’entrée de la surface, côté droit, et je marque sur ma deuxième tentative, narre l’actuel entraîneur de l’Horoya AC, un club guinéen, avant de reconnaître qu’à ce moment-là du match, il n’y avait plus de duels. » Sur le terrain, les jambes bordelaises sont en effet tétanisées, une minute à peine après le drame dont a été victime Daniel Jeandupeux.
On joue la 70e minute, lorsque l’attaquant bordelais file sur l’aile, avec Berdoll dans son dos. « En direction de la tribune présidentielle » , précise Marius Trésor, alors marseillais. « Et là, Daniel s’arrête brusquement » , récite Gernot Rohr, qui découvrait la D1. « Pour tenter une talonnade » , selon Trésor. Quoi qu’il en soit, Marc Berdoll, lui, ne s’arrête pas. Et son genou percute l’arrière du mollet de Jeandupeux. « Cela a éclaté comme du verre » , se rappelle Trésor. « On a entendu le craquement de l’os, qui est sorti par le devant de la chaussette » , précise Rohr. Sur la pelouse, c’est la stupéfaction. Tous les joueurs, ainsi qu’une bonne partie du public de Lescure, ont entendu le son de l’os qui se brise, tant le choc a été sec. Tous, sauf Marc Berdoll. « Sur le coup, je n’ai pas réagi, raconte celui qui passe sa retraite en Moselle. Je ne savais même pas que sa jambe était cassée. Et l’arbitre non plus, vu qu’il ne m’a pas expulsé. » À sa manière, c’est le public bordelais qui se chargera d’expulser l’attaquant de l’OM. Trois minutes plus tard, Ivan Marković, l’entraîneur marseillais, est obligé de le faire sortir, tant il est conspué.
Berdoll comme De Préville
Lorsqu’il s’agit de décrire Marc Berdoll, le premier adjectif qui vient à l’esprit de Marius Trésor est aussi désuet qu’une victoire marseillaise en terre girondine : « foufou » . « Mais il n’était pas méchant, s’empresse de préciser l’ancien défenseur. C’était un chien fou qui embêtait considérablement les défenses, un peu comme Nicolas de Préville aujourd’hui. Personnellement, je n’ai pas vu un attentat de Berdoll sur Jeandupeux. Mais les attaquants ne savent pas défendre. Donc de temps en temps, ils sont maladroits, c’est tout. » Sitôt rentré à Marseille, c’est ce que Marc Berdoll tente d’expliquer à Daniel Jeandupeux, en lui écrivant. « Je voulais qu’il sache que je n’avais pas fait exprès, assure Berdoll. Mais Jeandupeux ne me croyait pas. » Il faudra attendre 1995 et le jubilé de Berdoll, pour que les deux hommes se réconcilient. À ce moment-là, l’invincibilité bordelaise face à Marseille n’était que de 18 ans.
Par Mathias Edwards
Tous propos recueillis par ME.