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Le jour où Maradona a été exclu du Mondial 1994

Par Thomas Broggini, à Buenos Aires

Contrôlé positif à un produit dopant en pleine phase de groupes, le génie argentin a quitté la Coupe du monde 1994 dans la stupeur et les larmes, il y a 30 ans, persuadé que la FIFA lui avait « coupé les jambes ». Chronique d’une déflagration.

Le jour où Maradona a été exclu du Mondial 1994

Foxboro Stadium, périphérie de Boston, samedi 25 juin 1994. L’anneau scintillant vissé à l’oreille gauche, le brassard bleu enroulé autour du biceps, les cheveux impeccablement plaqués en arrière façon acteur des seventies et le torse bombé sous les deux étoiles du maillot : le numéro 10 qui s’éloigne de la pelouse a la dégaine d’un mec comblé et fier. Diego Maradona en un fragment, ressuscité une nouvelle fois. Carbonisé mais resplendissant. Soulagé, aussi : victorieuse de la Grèce (4-0) en ouverture de cette Coupe du monde disputée aux États-Unis, grâce notamment à un golazo de son capitaine, l’Argentine fait un grand pas vers les huitièmes de finale après ce nouveau succès contre le coriace Nigeria (2-1).

Aux yeux des supporters, il était inconcevable que Diego soit le coupable. Dans l’imaginaire populaire, cette infirmière ne vient pas le chercher par hasard.

Andrés Burgo

En rejoignant les vestiaires, Diego s’arrête au micro d’une télé argentine. Il remercie Dieu, ses préparateurs physiques, sa famille, ses compatriotes. « Je me suis senti important sur le terrain », jubile-t-il, encore essoufflé. Derrière lui patiente une infirmière blonde, grosse croix verte imprimée sur un large T-shirt blanc. Le champion du monde 1986 a été tiré au sort pour le contrôle antidopage. Il prend la toubib par la main et file pisser dans un flacon. Il ne le sait pas encore, mais il vient de porter pour la 91e et dernière fois le maillot de la sélection. Il a 33 ans.

Le complot et les zombies 

Deux jours plus tard, le 27 juin, un séisme secoue la planète : le génie insaisissable a été testé positif à l’éphédrine, un produit stimulant interdit dans le soccer mais à l’époque autorisé dans les ligues nord-américaines (basket, foot US, baseball). « Ils m’ont coupé les jambes », clame le Pibe de Oro, une punchline devenue culte. Le visage gribouillé par les larmes, il jure sur « la tête de (ses) filles » qu’il ne s’est « pas drogué » et désigne « la FIFA » comme responsable de sa détresse. « J’aurais voulu me couper les veines », confesse-t-il plus tard, « l’âme détruite ». SOS sans effet : le 30 juin, juste avant le troisième et dernier match de la phase de groupes contre la Bulgarie (perdu 2-0), à Dallas, la fédération argentine (AFA) annonce officiellement l’exclusion de son charismatique leader.

« Trente ans après, beaucoup de gens continuent de penser qu’il a été victime d’un complot », observe Andrés Burgo, coauteur d’un livre qui reconstitue l’affaire (El Último Maradona, 2014, avec Alejandro Wall, non traduit). Des théories qui, en plus de la FIFA présidée par le Brésilien João Havelange, incriminent le gouvernement des États-Unis, la CIA ou l’AFA du sulfureux Julio Grondona. « Aux yeux des supporters, il était inconcevable que Diego soit le coupable, soupire le journaliste. Dans l’imaginaire populaire, cette infirmière ne vient pas le chercher par hasard. » Son ouvrage, fruit de huit mois d’enquête, démontre pourtant que si. Âgé de 20 piges au moment de cette « tragédie sportive », le reporter se souvient que les gens étaient « comme des zombies » sur les bords du Río de la Plata. KO debout, à l’image de leur héros déchu. Pourquoi ce traumatisme national ? Pourquoi tant de zones d’ombre ? Parce que Maradona, tout simplement.

Contrôlé positif à la cocaïne en 1991, suspendu quinze mois, l’Argentin quitte Naples par la petite porte. Entre les frasques et les polémiques, il retrouve de façon éphémère le terrain au Séville FC (1992-1993), puis à Newell’s Old Boys (cinq matchs, en 1993-1994), deux échecs qui suggèrent que la magie ne reviendra plus. Il assiste aussi à la destruction de l’Argentine par la Colombie (5-0), le 5 septembre 1993, à l’Estadio Monumental de Buenos Aires. Une gifle qui pousse le sélectionneur Alfio Basile à lui demander de revenir, à l’approche du barrage contre l’Australie, décisif dans la course à la World Cup. Superman enfile sa cape, l’Albiceleste passe ric-rac (1-1, 1-0). « Il n’y a eu aucun contrôle antidopage lors de cette double confrontation, on n’a jamais su pourquoi », interpelle Burgo tout en affirmant que « la FIFA avait intérêt à ce que Diego » soit de l’aventure aux States, où le football n’est pas grand-chose en ce temps-là. Mais El Diez bataille encore contre ses vieux démons : quatre mois avant le début de la compétition, il se retrouve sans club, hors de forme, déprimé, et tire à la carabine à air comprimé sur des journalistes trop intrusifs à son goût.

De l’Everest à la Pampa

Personne ne l’imagine alors capable de guider un collectif talentueux (Simeone, Caniggia, Redondo, Ruggeri, Batistuta…), double vainqueur sans lui de la Copa América (1991 et 1993). Son préparateur physique personnel historique, Fernando Signorini, décrit le basculement : « Un jour, il m’annonce qu’il veut tout faire pour disputer le Mondial. Je lui réponds : tu as déjà gravi l’Everest, tu veux quoi de plus ? En fait, il avait fait la promesse à Dalma et Gianinna (ses deux filles) qu’il allait revenir. Il m’a juré qu’il allait laisser la drogue et s’entraîner comme un fou. Il m’a convaincu. » Le 10 avril, Maradona entame sa mission commando dans un ranch paumé au milieu de la Pampa. Loin des médias, du confort et des tentations.

Il m’a juré qu’il allait laisser la drogue et s’entraîner comme un fou. Il m’a convaincu.

Fernando Signorini, préparateur physique

En surpoids, en sevrage, « Pelusa » galère. « Il partait de très loin », sourit Signorini, qui lui fait cavaler jusqu’à 16 bornes quotidiennes et pratiquer la boxe. « Au début, je le battais à la course, mais il a vite repris le dessus, car il possède une capacité de récupération impressionnante », note le mentor, ravi de retrouver « le Diego de Villa Fiorito, celui qui a la dalle ». Pour fondre, Maradona suit en parallèle un régime à base de pilules et vitamines concocté par le controversé Daniel Cerrini, un jeune culturiste argentin autodidacte rencontré en août 1993. « Je fais sa connaissance lors de ce stage », retrace Signorini, naturellement méfiant devant « ce gars qui ne connaît rien au football ». Le loup dans la bergerie ? Il y a de ça.

La guillotine et le Che

Lorsque Maradona débarque dans le Massachusetts délesté de 13 kilos, l’Argentine veut croire au miracle. « Le récit de l’époque, c’est en gros : notre Dieu revient une fois encore », rembobine Burgo. Dans le doute, Signorini, qui connaît l’addiction de son poulain, propose de tester tout l’effectif. « Mais Grondona (le boss de l’AFA) a refusé au motif qu’il ne fallait pas déranger les joueurs, s’étonne-t-il. Incompréhensible. J’ai pensé que si Diego était positif, il serait protégé. Au contraire. Le pouvoir voulait lui couper la tête. » Dans le clan argentin, le choc cède la place à la panique lorsque l’info s’ébruite.

Médecin numéro 2 de la sélection sud-américaine en 1994, Roberto Peidro a la mémoire intacte : « Le lendemain du match (contre le Nigeria), Grondona me dit : “Diego est positif, appelle Sepp Blatter (alors secrétaire général de la FIFA) et donne-lui une explication”, raconte le doc. Il était injoignable. Alors j’ai contacté un journaliste de Clarín pour dire que Maradona avait pris un médicament contre la grippe contenant de l’éphédrine. Un mensonge. Diego était propre, je n’avais aucun doute. S’il avait pris cette substance, c’était sans le savoir. » Le cardiologue essaye aussi de faire invalider la contre-analyse d’urine à Los Angeles pour des irrégularités dans le protocole. Peine perdue. « Grondona (mort en 2014) m’a avoué que la FIFA voulait le “tuer”, assure Peidro. Si c’était arrivé à un autre joueur, il aurait pris un seul match de suspension. Mais c’était Diego, qui avait un historique avec la drogue, un truc qui ne passe pas aux États-Unis. » Un type « ami avec Fidel Castro, qui idolâtre Che Guevara et n’a jamais ménagé la FIFA », prolonge Signorini pour appuyer la thèse d’une « instrumentalisation politique ».

Au milieu des tentatives de sauvetage désespérées, les soupçons visent Cerrini, l’amateur de gonflette qui suit partout Maradona sans faire officiellement partie de la délégation. « On a retrouvé dans sa chambre une boîte de Ripped Fuel (un brûleur de graisses en vente libre) qui, d’après l’étiquette, contenait de l’éphédrine, témoigne Peidro. Il n’était même pas au courant. Quand on lui a fait remarquer, il est devenu tout blanc. » Le coupable est trouvé. Il plaide la négligence. Fin des illusions. L’Argentine s’arrête en huitièmes après un revers contre la Roumanie (2-3). Maradona est suspendu quinze mois. « L’unique vérité est que Cerrini a fait une erreur, mais je l’assume », condense-t-il. Il l’assume tellement qu’il renoue plus tard avec son ami infréquentable pour préparer un énième come-back. Plus stupéfiant encore, il engage en 1997 le sprinteur canadien Ben Johnson, tombé pour dopage aux JO de Séoul. Incorrigible Diego.

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Par Thomas Broggini, à Buenos Aires

Tous propos recueillis par TB, sauf ceux de Diego Maradona, issus de plusieurs interviews (Fox Sports, Canal 13) et de l’autobiographie « Yo soy el Diego ».

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