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Le jour où l’OL mit l’OM fanny
Bien avant l’incroyable 5-5 de la saison 2009-2010, Gerland avait déjà été le théâtre d’un OL-OM généreux en but. L’épilogue de la saison 1996-1997 reste encore aujourd’hui comme le plus gros carnage des vingt dernières années en L1.
24 mai 1997, stade de Gerland. Nous sommes à la 35e minute de jeu du match entre l’OL et l’OM, comptant pour la 38e et dernière journée du championnat de D1. Il ne reste qu’une heure sur le pré aux joueurs des deux équipes avant de partir se la couler pépère en Martinique ou à Bali. Autant dire pas grand-chose ? Pas pour les Marseillais, pour qui ce laps de temps sera peut-être le plus douloureux à vivre de leurs carrières respectives. À ce moment précis de la partie, Alain Caveglia conclut un solo d’orfèvre pour marquer le septième but lyonnais. « Je saurai pas te le refaire, mais je me rappelle bien être passé entre deux ou trois défenseurs avant de finir devant Köpke. J’avais des jambes à cette époque-là » , rigole aujourd’hui Cavegoal. « What the fuck ? Sept à zéro à la 35e ? » , se disent alors en cœur les aficionados marseillais qui prennent la partie en cours sur RTL ou RMC. Le mauvais canular semble trop gros pour être faux, surtout en entendant le ton empathique des commentateurs dès que leurs protégés touchent le ballon. « Match truqué » , se rassure-t-on ça et là.
Aussi surnaturel que cela puisse paraître, cet OL-OM de 1997 a pourtant bien existé, sans qu’une quelconque malette ou un porte-serviette ne soit échangé à l’aube de ce match comptant (presque) pour du beurre. Il suffit d’ailleurs de s’imprégner du contexte de l’époque pour comprendre comment Andréas Köpke, pourtant pas le roi des manchots dans les bois, a pu répéter huit fois le cérémonial de gardien qui secoue la tête, désabusé, en allant chercher le ballon dans sa cage. Le contexte de ce match se suffit à lui-même pour expliquer la déroute des uns et la balade des autres. Au moment des faits, il ne reste donc plus qu’un match à jouer avant que le rideau de la saison ne retombe. Côté lyonnais, ce sera un match chargé en émotions. D’abord car l’OL est neuvième et peut encore troquer sa place en Intertoto contre une qualif’ immédiate pour l’UEFA. Mais pas que. « Quand tu vois partir tes deux meilleurs joueurs, sans parler de Florian Maurice qui était alors encore un peu dans la confidence, tu sais que tu dois leur offrir un joli cadeau de départ » , replace Cédric Bardon, qui fait référence à Marcelo et Gava, pour qui sonne alors la fin de l’aventure lyonnaise. « J’étais aussi au courant pour le départ de Florian Maurice au PSG, parce que c’était un ami. Donc on se devait de bien finir pour eux. Mais de là à en mettre huit » , renchérit de son côté Alain Caveglia.
Galtier-Malusci dans leurs œuvres
Vous l’aurez compris, les bonshommes de Bernard Lacombe, entraîneur d’alors, ont autant la dalle qu’un Cyril Rool à un mètre d’un mollet saillant. Dans le camp d’en face, les têtes sont plus préoccupées par le type de crème solaire ou de tongs à embarquer pour la coupure estivale. Éric Roy, pour qui ce match avait une saveur particulière, un an après son départ de Gerland, ne dit pas autre chose : « Nous arrivons sur ce dernier match sans rien avoir à jouer. Nous sommes déjà maintenu depuis plusieurs journées. On avait battu l’OL (3-1) à l’aller. Et en plus, on venait juste de l’emporter sur le PSG à domicile une semaine avant, ce qui était une façon pour nous de sauver notre saison, qui n’avait pas été à la hauteur. » Avec Letchkov, Gravelaine, Pedros ou Roy, il y avait pourtant matière à faire mieux. Mais tous n’ont qu’une envie : en terminer pour revenir plus forts en 1997-1998 avec le porte-monnaie du nouvel actionnaire, Robert-Louis Dreyfus. « Ils étaient démobilisés. C’était comme s’ils avaient envie de voir Gili éjecté de son poste après la saison difficile qu’ils venaient de vivre » , repense d’ailleurs Cédric Bardon, aujourd’hui entraîneur d’une équipe de ligue dans l’Ain et gérant d’une entreprise de travail temporaire.
Gérard Gili, lui-même, ne dit d’ailleurs pas autre chose : « J’avais pressenti que ce match, qui serait mon dernier quoi qu’il arrive, pouvait être celui de trop. C’est ce qui s’est passé. J’avais pensé un temps mettre les stagiaires ou les jeunes, mais je me suis ravisé. C’est mon seul regret tant l’équipe a laissé filer ce match. C’en était presque trop gros. » Par presque trop gros, le coach marseillais sous-entend la déconcentration maximale, un engagement plus que modéré et les grosses boulettes de l’arrière-garde marseillaise, à commencer par celles de la charnière centrale Malusci-Galthier. Si le premier but lyonnais, intervenu dès la première minute après un une-deux bien senti entre Caveglia et Linarès, n’est pas le plus mal construit, il suffit de se pencher sur le second pour voir la faiblesse de l’arrière-garde olympienne, jouant un hors-jeu impossible, comme pour laisser Florian Maurice aller abattre l’international teuton. Impression renforcée sur le troisième but où le Transalpin, pourtant en couverture de « Galette » , se jette comme un mort de faim sur l’action amenant le troisième but de Gava.
Gérard Gili : « C’était honteux… »
Il n’en faut pas plus pour que l’OL, tournée vers l’offensive avec ses cinq attaquants (Ndlr : Maurice-Cocard, Giuly, Gava et Caveglia), n’enfile les perles. « Ce dispositif, c’était un truc qu’on avait travaillé. Mais le foot d’hier n’était pas celui d’aujourd’hui. On jouait plus pour marquer des buts que pour un résultat. En 2013, on penserait que le coach serait fou d’aligner un tel schéma » , soutient Cédric Bardon, sur le banc pendant une heure avant de prendre la place de Florian Maurice. Et même si l’OL produit ce soir-là un bon match collectivement parlant, Gérard Gili n’en démord pas. Tout ceci est d’abord le fruit de l’errance de son onze : « Je ne peux pas parler de belle victoire lyonnaise. Contre des fantômes… » Éric Roy fait quant à lui la synthèse : « C’était fou car ils marquaient à chaque fois qu’ils lançaient l’offensive. Et de notre côté, on voyait tellement qui se croyait déjà en vacances… Quant tu perds quatre à zéro et qu’il reste vingt minutes, tu dis souvent que ce sont celles qui ont été les plus longues de ta carrière. Alors quand t’en as déjà sept dans la musette après 35 minutes… Imagine le calvaire ! » Caveglia, Maurice et Giuly par deux fois s’en iront en effet ajouter un peu de gros sel sur les plaies des visiteurs.
À la mi-temps, la messe est dite et redite. Mais comment cela se passe dans un vestiaire pro pour un tel match, avec un tel score ? Très simple. Côté lyonnais, c’est l’ode à la joie, une part d’incrédulité se rajoutant par-dessus. « On souriait tous, évidemment. Mais je me souviens aussi qu’on se demandait jusqu’où ça pouvait aller si on continuait ainsi. On se questionnait aussi sur l’OM, une crise interne possible… » , se remémore Jean-Christophe Devaux, latéral ensuite passé par Strasbourg et revenu aujourd’hui dans l’Ain coacher une équipe de DH. Alain Caveglia a lui carrément une pensée pour certains de ses adversaires : « J’allais pas les plaindre, hein. Mais bon, voir des mecs comme Echouafni ou Roy dans cette situation, ça te fait un peu mal. » De l’autre côté du couloir, les paroles de Gérard Gili ne seront pas nombreuses, mais on ne peut plus claires. Une fois la porte du vestiaire passée, il déballe son sac : « Quand je suis entré, je leur ai dit une chose et une seule. Que ce qu’ils étaient en train de faire était une honte. Je ne suis pas resté et je suis ressorti dans le couloir. De toute façon, à quoi ça aurait servi d’essayer de trouver des solutions ? Ce soir-là, j’ai rapidement arrêté d’être le dindon de la farce. »
Boîte de nuit pour les uns, regards interloqués pour les autres
Blasé, Gili regagne ensuite sa cabane pour les quarante-cinq dernières minutes de son aventure marseillaise, bien enfoncé dans son siège à attendre que ça se passe. De leurs côtés, les Lyonnais veulent encore empiler. Leurs remplaçants, comme Cédric Bardon, voulent eux aussi participer à la fête. Il y aura bien un dernier but par Giuly pour son premier triplé de sa carrière. À 20 ans. « Je me souviens qu’avec Ludo, nous étions surveillés avant d’aller disputer le championnat d’Europe espoirs, puis les Jeux méditerranéens. Je pense que le sélectionneur avait dû apprécier » , se marre Jean-Christophe Devaux au sujet de la prestation du lutin, énorme ce soir-là. Mais le carnage s’arrêtera là dans cette mi-temps, sans que les Marseillais ne se révoltent pour autant. « Une rébellion ? Non, mais en même temps, difficile de relever la tête dans ces conditions » , analyse Caveglia, qui filera fêter ça avec toute la bande de potes. « On est allés dans une boîte aux Brotteaux, tous ensemble » , se rappelle Devaux. Le moyen de marquer le coup une dernière fois, comme si les meilleurs amis du monde voulaient se quitter sur un bon souvenir après des années de lycée riches et intenses.
« Ce n’était pas de la tristesse, mais c’était un peu dur quand même. On formait un tel groupe, sans stars, même si certains le sont devenus plus tard » , songe, un brin nostalgique, Cédric Bardon. Pour les Marseillais, le retour en bus sera aussi long qu’un épisode de la magnifique trouvaille signée TF1, Splash. Tout le monde dans son coin, aucun dialogue, juste l’envie d’arriver à bon port, de prendre ses bagages et de se tirer loin, très loin. Une fois arrivé dans le parking à Marseille, Gérard Gili se souvient de la scène et de ces supporters venus voir à quoi ressemble une formation broyée : « Quand je suis sorti de ce bus, j’ai vu tous leurs regards. Ce n’était pas des regards pleins de déception comme on peut en voir après une défaite. C’était plus que ça, comme si eux aussi avaient compris la forme de trahison opérée par les joueurs. Quelque part, ça m’a soulagé de voir ça. Je n’étais pas tant dans le faux. »
Par Arnaud Clement