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Le jour où l’Italie s’est fait piquer par les moustiques nord-coréens

Par Matthieu Rostac
6 minutes
Le jour où l’Italie s’est fait piquer par les moustiques nord-coréens

Il y a quarante-neuf ans jour pour jour s'est déroulé un match que beaucoup considèrent comme le « plus grand choc de l'histoire de la Coupe de monde ». Une partie qui a vu l'Italie favorite de la Coupe du monde en Angleterre se faire taper par une bande d'inconnus nord-coréens bien trop contents d'être là. Story.

L’Italie le sait en arrivant en Angleterre à l’été 1966 : avec une URSS finaliste de l’Euro 64 et un Chili qui a terminé troisième du dernier Mondial, il va être difficile de se dépatouiller de ce groupe de la mort dans lequel elle est tombée. Mais pour les journalistes européens comme pour les bookies anglais, la Squadra Azzurra reste l’équipe favorite de cette huitième Coupe du monde. Après tout, l’idée sacro-sainte du catenaccio a bien pris racine dans le football des années 60, popularisé par la Grande Inter de Helenio Herrera qui marche sur l’Europe depuis plusieurs saisons (double victoire en Coupe des clubs champions en 1964 et 1965), et la sélection nationale jouit d’un duo d’attaquants imparable, Sandro Mazzola-Gianni Rivera, alimenté en ballons par Giacomo Bulgarelli. Au pire des cas, si tout ne se passe pas comme prévu pour l’Italie, cette dernière assurera sa qualification lors de son dernier match dans cette poule D face à la modeste équipe de Corée du Nord, dont personne n’a jamais entendu parler, au point qu’on se demande un peu ce qu’elle vient faire là.

Des « K-O-R-E-A ! » dans Ayresome Park

D’ailleurs, la qualification des Chollimas – du nom de ce cheval ailé issu de la mythologie sibérienne – relève un peu du miracle. À l’époque, la FIFA, sans doute encore un peu engoncée dans ses travers colonialistes malgré la retentissante Conférence de Bandung tenue en 1955, choisit de mettre les sélections africaines, asiatiques et océaniennes dans un seul et même groupe éliminatoire avec une unique place qualificative pour le Mondial anglais. En guise de protestation, les sélections d’Afrique se retirent de la compétition. Résultat : les « Moustiques » , autre surnom de l’équipe nord-coréenne, sont qualifiés pour leur première Coupe du monde, en ayant seulement collé une belle branlée à l’Australie (9-2 sur les deux matchs).

Mais ce résultat fleuve, une Italie peut-être un peu trop sûre d’elle semble l’avoir occulté lorsque se profile ce fatidique match face à la Corée du Nord. Si la Squadra Azzurra a bien engrangé deux points victorieux face au Chili, elle fut défaite par un petit but de l’URSS lors du second match de poule. L’Italie est dans l’obligation de faire un résultat et se voit très bien prendre des airs de tapette à moustiques rouges. L’affrontement a lieu au Ayresome Park de Middlesbrough devant plus de 18 000 personnes majoritairement acquises à la cause nord-coréenne qui scandent des « K-O-R-E-A ! » et qui connaissent par cœur le nom des attaquants vedettes Pak Doo-ik et Pak Seung-jin. Et pour cause : primo, les Chollimas sont vêtus du même vermillon que l’équipe locale ; deuzio, ce sont des travailleurs faits du même bois que la classe ouvrière présente en tribunes et terzio, les joueurs se sont pris un 3-0 par l’Union soviétique en match d’ouverture, renforçant l’idée ô combien romantique d’une remuntada quasi impossible.

Un Pak marque, un autre se jette dans les filets de bonheur

Au bout d’une demi-heure de jeu, premier couac pour l’équipe d’Italie : dans un monde du football qui n’autorise pas encore les remplacements en cours de match, le meneur de jeu Bulgarelli se blesse et doit sortir du terrain. La Squadra Azzurra doit alors se farcir une petite heure de football à 10 contre 11, face à des Moustiques qui prennent des allures d’avions supersoniques. À la 41e minute, Pak Doo-ik profite des largesses d’une défense transalpine incapable de se dégager dans ses trente mètres et trompe le portier Albertosi d’une frappe croisée. Pak Seung-jin s’en jettera de bonheur dans les filets adverses…

Les Italiens tentent bien de revenir dans la partie, mais se heurtent à l’impeccable Lee Chang-myung, tandis que les increvables joueurs nord-coréens multiplient les aller-retour à grande vitesse. Ce qui fera naître plus tard cette improbable rumeur : l’entraîneur Myung Rye-hyun aurait en réalité complètement changé son onze à la mi-temps. Comme disait un célèbre chauffeur de taxi : « Il n’y a rien qui ressemble plus à un Coréen qu’un autre Coréen. » Cf. les travers colonialistes, tout ça, tout ça… La réalité est beaucoup plus difficile à avaler : l’équipe d’Italie s’est fait battre par une équipe de petits gabarits (1,65m de moyenne) au jeu tout en vitesse et contre-attaque qui vient de passer dix-huit mois à préparer sa Coupe du monde en s’entraînant comme des Marines, dormant dans des dortoirs du côté de Pyongyang.

Trois mille fans de Boro à Liverpool et plusieurs années de goulag

Au pays, cette défaite inattendue, doublée d’une élimination prématurée dans une compétition qui lui était destinée sur le papier, est vécue comme un drame national. À leur arrivée à l’aéroport de Gênes, les joueurs sont accueillis à grands renforts de quolibets et de tomates bien mûres. Le Giorno, lui, assassine en Une : « C’est la plus grande honte de notre histoire, non seulement celle du football, mais aussi celle du sport transalpin tout entier. » De l’autre côté de l’Europe, les Chollimas continuent à souffler un vent de fraîcheur sur la Coupe du monde et s’apprêtent à affronter le Portugal en quart de finale à Liverpool. Souci pour les hommes de Myung Rye-hyun : ils sont loin de leur petit cocon working-class et laïcard de Middlesbrough. « De nuit, on pouvait voir une chapelle éclairée par un projecteur. À l’intérieur se trouvait une statue de Jésus sur la croix, d’effrayants clous plantés dans ses paumes de main. Nous n’avions jamais vu ce genre de choses auparavant. Ça nous a causé beaucoup d’inquiétude et de peur, au point d’avoir du mal à trouver le sommeil » , racontera plus tard Pak Doo-ik dans le documentaire Le match de leur vie (2002).

Si la Corée du Nord ne peut pas évoluer à Middlesbrough, alors Middlesbrough évoluera avec la Corée du Nord : le jour du match face au Portugal, trois mille supporters des Smoggies se farcissent les 230 bornes qui séparent les deux villes. Peut-être la raison pour laquelle les Moustiques mènent 3-0 au bout de vingt-cinq minutes. Mais la magie de l’Italie a disparu. Déjà, le match se joue à 11 contre 11 pendant 90 minutes. Ensuite, la Corée du Nord se prend quatre coups de griffe de la « panthère noire » Eusébio. 5-3, score final et un retour en Corée du Nord avec les honneurs. Pak Doo-ik, héros face à l’Italie et caporal dans l’armée avant son voyage en Angleterre, sera fait sergent, tandis que Shing Yung-kyoo et Oh Yung-kyun sont auréolés du titre d’ « athlètes du peuple » , soit la plus haute récompense sportive au pays du Juche. Selon certaines sources, une bonne partie de l’effectif chollima aurait fini en camp de travail par la suite en raison de guerres idéologiques au sein de l’administration nord-coréenne : Pak Seung-jin est accusé d’espionnage, tandis qu’il est reproché au reste de l’équipe d’avoir perdu un match qu’ils menaient 3-0. Une chose est sûre : la Corée du Nord aura à tout jamais une incidence sur l’Italie du football, voire plus. De cet événement tragique reste une expression, équivalent de notre Bérézina hexagonal : « C’est la Corée » .

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Au fait, c’est quoi cette Coupe intercontinentale ?
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