- Ligue 1
- J16
- Lille–Saint-Étienne
Le jour où Lille en a passé 8 à Saint-Étienne
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Lille et Saint-Étienne sont au coude-à-coude pour le titre de champion de France. En tête à Noël, Sainté voit le LOSC lui passer devant dans le sprint final. La faute à une belle claque reçue dans le Nord.
Il fut un temps où Lille n’avait besoin que d’un match pour marquer huit fois. 1er mai 1946, Lille – Saint-Étienne : 8-0. Près de 70 ans plus tard, le club nordiste va tenter ce soir de franchir la barre des huit à l’occasion de son 16e match de la saison, face à Sainté. Et si aujourd’hui, les Verts caracolent 11 points et 12 buts plus haut que les Dogues, ces derniers pourront toujours s’inspirer de leurs aïeux qui, par un bel après-midi de mai, ont proprement balayé l’ASSE. Reste que pour devenir les Marceau Somerlinck ou Jean Baratte des temps modernes, il va falloir à Junior Tallo et ses copains autrement plus de buts que ce qu’affiche leur bilan actuel.
De l’Amicale des clubs amateurs à l’OL
L’histoire trouve ses racines dans la création, le 27 octobre 1944, du « Groupement des clubs autorisés » à utiliser des joueurs professionnels. Descendant de l’inutile mais charmante « Amicale des clubs amateurs utilisant des joueurs professionnels » , ancêtre de la LFP, le GCA relance enfin un véritable championnat de France en août 1945, après six interminables saisons de championnat de guerre. Professionnelle depuis 11 ans, l’AS Saint-Étienne valide naturellement son inscription dans la compétition, de même que le nouvellement créé Stade lillois. Car, s’il est tout jeune, le Stade lillois est aussi issu de la fusion de deux clubs professionnels : l’Olympique lillois – à jamais premier champion de France en 1933 – et le Sporting Club de Fives. D’où l’acronyme LOSC dès novembre 1944 pour un club qui, déjà, n’avait pas vraiment de stade permanent.
Alternant d’abord entre le stade Henri-Jooris de l’ex-OL et le Jules-Lemaire du défunt SCF, le LOSC choisit le premier comme résidence, mais recevra Saint-Étienne dans le second. La faute à un effondrement du toit du stade lillois en février 1946 sous le poids de supporters massés pour assister au premier derby face à Lens – 56 blessés, mais aucune victime. C’est donc à Fives que se présente Saint-Étienne le 1er mai 1946, en roi décidé à consolider sa place sur le trône, trois points devant son adversaire du jour. Une journée particulière puisqu’il s’agit d’une mise à jour du calendrier, le match initial ayant été reporté pour cause de… sélections nationales pour le Stéphanois Cuissard et le Lillois Bihel. Deux héros d’une mise au point au sommet dont se souvient Philippe Gastal, directeur du musée des Verts, même lorsqu’il est interrogé à brûle-pourpoint : « On s’était pris une valise, non ? 8 à 0, quelque chose comme ça ? Ah ouais, putain, ouais. Un premier mai, de mémoire. On était en tête, et puis ils nous sont passés devant, on finit second. Un mauvais souvenir à vrai dire. » Mais sûrement moins que celui qui a dû longtemps hanter Antoine Cuissard, défenseur décédé en 1997.
Loïc Perrin vs Junior Tallo
Jean Viellard, archiviste et ancien de La Tribune – Le Progrès, a enregistré toutes les coupures de presse relatives à l’ASSE. Dans ses notes, des remarques sur l’horaire, 16 heures, les entrées payantes, 15 329, ou la recette record, 1 million et quelques anciens francs. Ensuite le match. Et le compte-rendu est durement éloquent pour le néo-international Cuissard : « Lutte aérienne Cuissard-Baratte-Bihel, ce dernier hérite du ballon et ouvre le score » ; « Raté de Cuissard, Bihel dévie le ballon sur Baratte qui dribble le demi-centre vert et marque le deuxième but » ; « Tempowski centre, Cuissard fait un loupé, Bihel est là et marque le 3-0 » ; « Cuissard se fait subtiliser le ballon par Bihel, débordement, puis centre pour Baratte qui inscrit le plus joli but du match » ; « Choc Tempowski-Cuissard, le ballon échoue à Bihel qui marque son 3e but personnel » ; « Duel Cuissard-Baratte, à l’issue duquel Vandooren hérite du ballon et va marquer le huitième but sans opposition. » Heureusement pour les Verts d’aujourd’hui, Loïc Perrin n’a toujours pas été honoré d’une première sélection en Bleu.
Quand bien même, les Dogues bénéficient alors d’une puissance offensive sans commune mesure. Pendant quatre ans, René Bihel, puis Jean Baratte inscrivent tour à tour plus de 25 buts par saison, pour trois titres de meilleur buteur glanés. La « machine de guerre » est rodée et les buts pleuvent. Cet après-midi de mai 1946 contre Saint-Étienne, elle s’empare de la tête du championnat avant d’embarquer la Coupe de France trois semaines plus tard, d’une victoire 4-2 contre le Red Star et devant 60 000 personnes à Colombes. Soit le premier et dernier doublé jusqu’à celui de 2011 et les 25 buts de Moussa Sow en championnat. Bihel, Baratte, Sow : les trois seuls attaquants lillois à avoir atteint la barre des 25 à ce jour. L’histoire est catégorique : Junior Tallo et les autres doivent marquer des buts pour gagner des titres. Ou ne serait-ce qu’un match.
Par Eric Carpentier