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Le jour où Lens a retourné le grand Celta Vigo
Le jeudi 23 mars 2000, dans un stade Bollaert incandescent, le Racing Club de Lens écrivait l'une des plus belles pages de son histoire en tapant le Celta de Vigo en quarts de finale retour de la Coupe de l'UEFA (2-1, 0-0 à l'aller). Un sacré exploit au vu de la saison poussive des Lensois en championnat et de l'effectif galicien de l'époque, où rayonnait entre autres un certain Claude Makélélé. Retour, vingt ans après, sur une victoire et une qualification à la valeur de sacre européen pour ce filou de Gervais Martel.
Olivier Dacourt, Jocelyn Blanchard, Charles-Édouard Coridon ou encore Joseph-Désiré Job. Des noms chargés de faire oublier à Lens ceux de Frédéric Déhu, Vladimir Šmicer, Stéphane Dalmat ou Tony Vairelles, respectivement partis au Barça, à Liverpool, à l’OM et à l’OL en cet été 1999. Et qui, couplés à ceux de Warmuz, Sikora, Ismaël, Nyarko, Rool, Moreira ou Nouma, donnent à Gervais Martel quelques ambitions à l’heure d’aborder le premier tour de la Coupe de l’UEFA 1999-2000 le 16 septembre sur la pelouse du Maccabi Tel-Aviv. Dans un cadre fleurant davantage la prépa d’avant-saison que le printemps européen, le président lensois ne s’en cache d’ailleurs pas. Mains derrière le dos, le dirigeant déballe sereinement ses attentes lorsque se pointent vers lui les micros : « On n’a jamais réussi à aller en quarts dans toutes les coupes d’Europe qu’on a disputées jusqu’à maintenant, j’espère que ça va être le bon coup cette saison. »
La qualif’ à l’intox
Démesuré ? Pas selon Martel, pour qui Lens est « à sa place » dans cette C3 après avoir remporté le championnat en 1998 et la Coupe de la Ligue quatre mois plus tôt. Sauf que le prés’ oublie une notion essentielle dans le football rappelée par Jocelyn Blanchard, arrivé de la Juventus : « Le temps. On était quand même en construction, l’équipe avait beaucoup été renouvelée et beaucoup découvraient la Coupe d’Europe. » Mais du temps, Gervais Martel n’en a pas. La construction de La Gaillette, futur centre de formation du club, est sur le point de débuter. Montant estimé de l’opération : quatorze millions d’euros. Alors quand ses hommes, déjà bêtement rejoints en fin de match à l’aller en Israël (2-2), se retrouvent menés à la pause à Bollaert au retour (0-1), le président artésien déboule dans les vestiaires pour leur foutre un bon coup de pression des familles. « Il s’est mis à hurler, rejoue Blanchard.Puis il a eu cette phrase très importante : « À cause de vous, la Gaillette ne se fera pas et il n’y aura pas de formation à Lens. » Il nous a dit qu’il avait pris des risques de son côté en pensant qu’on saurait passer un ou deux tours, et que la non-réalisation du centre serait de notre responsabilité. »
Une intox à l’effet immédiat : remontés comme des coucous à leur retour sur la pelouse, ses hommes égalisent à treize minutes du terme par Nouma. Avant de composter définitivement leur ticket pour le tour suivant sur une chiche sous la barre de Ludovic Delporte, 19 piges et un match pro au compteur à l’époque. Si cette qualif’ aux forceps ne retiendra pas Daniel Leclercq, démissionnaire dès le lendemain, elle aura le mérite de lancer l’une des plus belles épopées européennes de l’histoire du football français. Faciles tombeurs du Vitesse Arnhem de Pierre van Hooijdonk en 32es de finale (4-1, 1-1), les Sang et Or – pourtant dominés à l’aller à Bollaert (1-2) – retournent en seizièmes Youri Djorkaeff, Ciriaco Sforza et un Kaiserslautern trop sûr de son fait au Fritz-Walter-Stadion, grâce notamment à un triplé de Job (1-4). Puis s’offrent en huitièmes le scalp de l’Atlético de Madrid (2-2, 4-2), alors porté par Jimmy Floyd Hasselbaink (meilleur buteur sortant de Premier League, 18 buts avec Leeds, et deuxième meilleur buteur de Liga cette saison-là avec 24 pions). Voilà Gervais Martel exaucé : privé des quarts de finale de la Coupe de l’UEFA par le Slavia Prague de Šmicer et Poborský en décembre 1995 et des quarts de la Champions par le Dynamo Kiev de Shevchenko, Rebrov et Kaladze en décembre 1998, son RC Lens s’incruste enfin dans le top 8 européen.
« Le Celta, c’était du lourd »
La route du dernier carré passera par Vigo. Tout sauf un cadeau : ce Celta-là squatte le premier tiers de tableau de la Liga et vient d’en passer quatre à la Juve en huitièmes (4-0 au retour, en Espagne), après avoir dégommé Benfica (7-0, 1-1) au tour précédent. Des perf’ XXL à la mesure de l’effectif galicien de l’époque, composé notamment de plusieurs futurs éphémères internationaux espagnols derrière (Juanfran, Velasco, Sergio), des milieux offensifs russes Valeriy Karpine et Aleksandr Mostovoï aka « le Tsar » , de l’ailier gauche argentin Gustavo López (32 capes avec l’Albiceleste, entre 1994 et 2003), de l’attaquant sud-africain Benni McCarthy (meilleur buteur de l’histoire des Bafana Bafana, avec 32 buts en 79 sélections)… mais aussi d’Albert Celades et Claude Makélélé, alors tous deux aux portes du Real Madrid. « Le Celta, c’était du lourd, replace Philippe Brunel, titularisé sur le côté gauche à l’aller et au retour. Il y avait des joueurs de folie à tous les postes, des internationaux en puissance. »
Bref, le RC Lens, encore relégable en championnat mi-janvier, n’est pas favori face aux Galiciens. Ce que le match aller, le 16 mars à Balaídos, confirme. « On avait été largement dominés, se souvient Blanchard. On avait couru après le ballon pendant une heure et demie, ils avaient été très très bons et on n’aurait jamais dû faire 0-0. » « Le nul là-bas était un miracle, confirme Brunel. On a pris le bouillon, ça allait trop vite. On avait bien défendu, mais eux avaient été vraiment maladroits, on aurait pu en prendre trois. » Aussi heureux soit-il, ce score vierge place les Sang et Or en ballottage favorable avant le match retour à Lens une semaine plus tard. « Même à Bollaert, on se disait que ça n’allait pas être facile, nuance Blanchard. Au vu du score à l’aller, les supporters étaient très positifs. Mais nous, on était très prudent parce qu’on avait vécu le match sur le terrain. »
Tensions sur la pelouse, vibrations en tribunes
Reste qu’en dépit de ce rapport de force inégal sur le papier, le Racing, porté par un stade Bollaert plein comme un œuf (41 200 spectateurs), aborde le match « de la meilleure des manières. On a largement élevé notre niveau » . En face, le Celta se prend à douter. « C’était une première mi-temps compliquée, dure. Ils ne lâchaient pas, mais ils avaient un grand derrière qui commençait à dérailler et à sortir de son match » , illustre Brunel. À la pause, tout reste à faire. Mais dix minutes à peine après la reprise, l’Israëlien Revivo arme un de ces coups francs dont son pied gauche a le secret et glace l’ambiance. Pas pour longtemps. « À partir de ce but, on joue le tout pour le tout » , situe Blanchard. Six minutes seulement après l’ouverture du score espagnole, Lamine Sakho, à la lutte avec Sergio et Juanfran, pousse le second à la faute. Péno.
« Ismaël était comme un fou, se marre Brunel. Il va haranguer le public et derrière, c’est lui qui le transforme. » Non sans une certaine confusion, le défenseur central emportant tout sur son passage en allant chercher le ballon au fond des filets. « Il les branche un peu, oui. Les Espagnols, ils aiment bien. On est chez nous, on se fait respecter » , minimise le gaucher. « Sur le penalty, si on revoit les images, il doit se faire expulser, corrige Blanchard. Mais ça montre la détermination de l’équipe à ce moment-là, le penalty n’était qu’une étape. À partir de l’égalisation, le stade était survolté. Bollaert est de bonne construction, mais le public sentait le sol des tribunes vibrer. On les avait étouffés, asphyxiés… C’était énorme. » « On courait partout, on les a croqués. Ça jouait à 200 à l’heure, le stade était en furie et on n’entendait plus les consignes » , poursuit Brunel, passeur décisif à la 72e minute pour un Pascal Nouma servi sur un plateau devant le but de Pinto.
La revanche de Nouma, la victoire de Martel
Une sacrée revanche pour l’ancien avant-centre parisien et lillois souvent décisif (cinq buts) dans cette campagne européenne, mais pas forcément le bienvenu à son arrivée dans le Pas-de-Calais en 1998 et régulièrement pris en grippe par Bollaert durant ses deux saisons lensoises. Particulièrement précieux dans le dernier quart d’heure, « il avait un jeu de tête extraordinaire, l’un des meilleurs du championnat, souligne Blanchard. Il défendait aussi beaucoup et dès que le Celta avait un coup de pied arrêté, il revenait. » Ce qui donnera lieu à quelques échanges improbables dans la surface artésienne. « À chaque corner contre nous, il me demandait : « Il y a combien, là ? » « 2-1 pour nous. » « Et qu’est-ce qu’il se passe, s’ils égalisent ? » « On est éliminés. » « Ah bon ? Bah, il y a eu 0-0 à l’aller ! » « Écoute, on ne peut que gagner, je t’expliquerai ! » » Lunaire. « Au fond, il le savait, reprend Blanchard. Mais dans l’émotion, il n’était plus lucide du tout. Il a fini en larmes. »
L’aventure s’arrêtera en demi-finales face à Arsenal (1-0, 1-2) et un Thierry Henry « en feu » (doublé au retour), finalistes malheureux face à Galatasaray. De quoi filer quelques regrets à Philippe Brunel, quand bien même cette épopée aura regonflé le Racing et contribué au redressement en championnat d’Artésiens finalement cinquièmes de D1 : « On a fait une saison monstrueuse, mais au bout du compte, on n’a rien gagné. » Ce n’est pas forcément l’avis de tout le monde. « Si vous demandez à Gervais, il vous dira qu’il a remporté la Coupe d’Europe, soutient Blanchard. C’était la première saison où des équipes éliminées de la Ligue des champions étaient reversées en Coupe de l’UEFA. En demi-finales, on était la dernière équipe à ne pas être issue de la C1 (Leeds avait en fait commencé la compétition en même temps que Lens, N.D.L.R.). Donc dans son esprit, c’était une nouvelle compétition qui débutait et il a gagné la C3. » Ça valait le coup de pousser une gueulante.
Par Simon Butel
Propos de JB et PB recueillis par SB