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Le jour où le derby a blasé Séville

Par Robin Delorme
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Le jour où le derby a blasé Séville

Il y a de ça cinquante ans, la ville de Séville vivait le derby qu’elle aimerait oublier. Un choc que les Sevillistas remportent au gré des polémiques et qui envoie le Betis en Segunda Division. Flashback sur le seul derby synonyme de désamour du ballon rond dans la capitale andalouse.

Il se raconte qu’à Séville, le temps se suspend trois fois dans l’année. En plus de la Semana Santa, mondialement connue pour ses processions dans les dédales de la capitale andalouse, les manches aller et retour du derby entre Beticos et Sevillistas se veulent l’égal de la fiesta de la Macarena. Avec déjà 114 duels fratricides disputés depuis la création des deux entités, les anecdotes, polémiques et autres moments succulents racontent un pan de la vie en société à Séville. Ce qu’atteste Carlos Romero, historien du football sévillan et auteur du livre Brève histoire du FC Séville : « Dans cette ville, rien n’équivaut au derby. La ville ne se déchire pas, mais elle expose clairement deux camps opposés. Ces deux camps permettent aussi à Séville d’être reconnu dans le monde entier comme la ville espagnole qui a vu naître l’une des plus grandes rivalités sportives au monde. » Dans les cœurs des aficionados verdiblancos, habitués à la pénombre depuis une dizaine d’années, le succès face aux Palanganas assure une saison presque réussie. Ce qui n’est pas le cas cinquante ans plus tôt, lorsqu’un succès chargé en polémiques du FC Séville envoie le Betis en Segunda Division.

Mannequin pendu et descente cauchemardesque

Le 27 mars 1966, peu avant le début de la Feria de Abril, les festivités laissent place à la tension. Plus les supporters des deux clubs sévillans se rapprochent de l’ancien stade du Betis, l’estadio de Heliopolis, plus la pression se fait sentir. C’est qu’à deux journées de la fin du championnat, les deux fanions risquent de descendre à l’étage inférieur en cas de défaite et de plonger leur aficion respective en pleine dépression. L’enjeu est de taille, donc, et remplit « entièrement le stade, certains supporters devant même rester debout face au manque de sièges disponibles » , dixit le compte-rendu d’époque de Marca. Sitôt le jeu en action, les Beticos déchantent pourtant. Roman, pointe des Palanganas, défriche le tableau d’affichage sur une action clairement entachée d’une faute non signalée sur un adversaire. Une action polémique qui, après l’égalisation temporaire d’Ansola, déclenche une avalanche de controverses. Pêle-mêle, les visiteurs reprennent l’avantage sur un penalty inexistant, alors que le Verdiblanco Rogelio et le Sevillista Cabral s’échangent des uppercuts et rentrent précipitamment aux vestiaires.

« Cette défaite a marqué les esprits, car c’est l’un des rares derbys à avoir envoyé l’un des deux clubs à l’étage inférieur, renchérit l’historien Carlos Romero. Même si c’est bien la défaite à Málaga la semaine suivante qui a officialisé la descente du Betis, ce match reste un cauchemar pour les supporters des Vert et Blanc. » Un cauchemar qui va même jusqu’à plonger toute une partie de la ville dans un désamour profond pour le ballon rond et les instances fédératives espagnoles. Symbole de cette désaffection, l’arbitre international de ladite rencontre, le bien nommé Juan Gardeazabal, devient l’une des stars de la ville. Mais pas forcément pour les bonnes raisons, comme l’expose un reportage du Mundo Deportivo à Séville quelques semaines après ce derby et quelques jours avant un déplacement des Beticos à Barcelone pour la Copa del Generalisimo : « Dans une baraque de la fête foraine, un mannequin à taille réelle représente l’arbitre Gardeazabal. Séville rejette sur lui la responsabilité de la descente desVerdiblancos. Le mannequin, pendu à la porte, apparaît avec un carton : « Voici Gardeazabal. Voici le coupable des maux du Betis avec son gang, le Collège national des arbitres ». »

« À Séville, personne ne s’occupe du football »

Plus généralement, le mal-être de tout Séville s’explique par « le sentiment vivace chez les Andalous qu’ils faisaient partie d’une région laissée pour compte sous le joug de Franco » , dixit ce même historien. Même si les supporters de Nervion traversent cette période avec une certaine philosophie, maintien en poche oblige, ce n’est pas le cas de leurs homologues du quartier d’Heliopolis. « Ici, personne ne s’occupe du football, telle est la vérité, poursuit Juan Manuel de la Hera, alors correspondant du Mundo Deportivo. Dans cette capitale, ce sport s’est tellement discrédité que tout bon Sévillan ne regarde plus que ce monde avec indifférence. Cela est en partie dû aux mauvaises performances des deux équipes ces dernières saisons, mais également aux préjudices que les organismes nationaux leur ont infligé. » « Aujourd’hui encore, ce sentiment d’infériorité persiste chez une partie des supporters, analyse Carlos Romero. Mais pour le Betis, c’est quelque chose de presque habituel. » Pour sûr, défait sur le score de 22-0 en 1918 par le FC Séville, il n’est jamais resté plus de dix ans de suite en Liga.

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