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Le jour où l’Argentine a dansé sur la Jamaïque
21 juin 1998, l'Argentine en colle cinq dans le buste de la Jamaïque lors de la Coupe du monde 1998. Le match se joue dans un Parc des Princes transformé en salle de concert à ciel ouvert où le reggae et les gros seins se mélangeaient au génie d'Ariel Ortega.
Difficile d’oublier ce 21 juin 1998. Ce soir-là, c’était la fête de la musique en France. L’Argentine en a donc profité pour initier la Jamaïque au tango lors d’un match de poule du Mondial. Le concert a eu lieu au Parc des Princes, caisse de résonance oblige. Avant même les premières notes de ce qui sera un récital argentin – 5-0, doublé d’Ariel Ortega, triplé de Gabriel Batistuta – la Jamaïque était déjà dans la folie. Par exemple, Darryl Powell, le milieu de terrain des Reggae Boyz, était en adoration devant Ariel Ortega. Compliqué de jouer face à ses héros. Mais l’Argentine avait surtout l’obligation de gagner après son tout petit succès initial contre le Japon (1-0). « Après ce match, personne n’était content quand nous sommes rentrés au vestiaire. Nous savions que nous n’avions pas très bien joué » , martelaient les cadres argentins Nestor Sensini et Diego Simeone, après le match. Alors, face à la Jamaïque, le sélectionneur argentin, Daniel Passarella, annonce la couleur : « Contre la Jamaïque, nous allons prendre plus franchement le jeu à notre compte. Je suis très optimiste. Mes joueurs sont confiants, le groupe est uni. » Surtout, l’équipe d’Argentine a ce qu’on appelle de la gueule. Même en l’absence du génie de Fernando Redondo, non sélectionné pour une sombre histoire de cheveux*, l’Argentine a une allure de future championne du monde : Ayala, Claudio López, Veron, Simeone, Almeyda, Batistuta, Ortega, Gallardo, Zanetti, Crespo.
Mais attention, la Jamaïque n’est pas venue pour enjamber les flaques d’eau. À sa tête, le sélectionneur, René Simões, fait figure de mage un peu fou. La sélection loge au château d’Arc-en-Barrois (Haute-Marne) où Simões a fait fermer le bar de l’hôtel, interdit toutes les sorties, modifie les programmes d’entraînement à la dernière minute ou engueule un flic local car celui-ci avait eu le malheur de laisser un joueur se rendre à la pharmacie pour acheter des capotes aux coéquipiers. Autant dire que contrairement aux idées reçues, la Jamaïque n’était pas venue en France pour faire du tourisme. Sur la pelouse du Parc des princes, en revanche…
Le bijou d’Ortega
Ce match, c’est l’occasion pour Ariel Ortega de démontrer pourquoi le numéro 10 de l’Argentine lui a été attribué. Dégaine de jockey (1,70m, 64 kilos), l’ancien de River Plate va s’offrir un doublé dont un premier but tout en maîtrise technique. Lancé en profondeur par Juan Sebastián Verón à la demi-heure de jeu, Ariel délivre un amour de ballon piqué de l’extérieur du pied avec une élasticité de la cheville à rendre Ronaldinho jaloux. Une merveille. Ce but ouvre la porte à une déferlante et surtout à Batistuta, auteur d’un triplé en seconde mi-temps. Comme en 1994 face à la Grèce, Batigol frappe trois fois dans un match du Mondial. Une seconde période qui voit aussi la bonne entrée de Marcelo Gallardo, petit protégé de Passarella à l’époque. Bref, l’Argentine s’est rassurée. La Jamaïque a dégusté. Pas grave, l’équipe des Caraïbes a fait le boulot en tribunes.
Tout le monde se souvient de ses supportrices bien trop serrées dans leur haut en cuir. Même la sono du Parc des princes s’était mise à la page, elle qui crachait Could you be loved de Bob Marley pour assurer l’ambiance. Peu importe que la Jamaïque joue pendant une mi-temps à dix contre onze (expulsion de Powell). Peu importe que l’Argentine aille trop vite. Peu importe que Batistuta tire trop fort. Peu importe, au fond. La Jamaïque était là pour amener du soleil, des sourires, de la musique et de la joie de vivre. Les joueurs argentins ont soigné leur statistiques sur la pelouse, leurs supporters se sont rincé l’œil en tribunes avant de faire la fête avec les fans des Reggae Boyz. Alors oui, cette équipe n’avait peut-être pas sa place à cette Coupe du monde. Mais une chose est certaine, tout le monde se souvient de ce match du 21 juin 1998.
* Avant le Mondial, Passarella avait tenté de justifier le port des cheveux courts en sélection : « Des études démontrent qu’un joueur aux cheveux courts se les touche six à huit fois par match et qu’un joueur aux cheveux longs se les touche plus de cent fois. C’est une perte de concentration. » Dans la foulée, Batistuta fait une coupe plus courte, Redondo non. Passarella rend alors visite à Redondo à Madrid et, à son retour, annonce que le joueur refuse la sélection parce qu’il ne veut pas jouer à gauche. Redondo nie en bloc. Pour éteindre la rumeur des « cheveux longs » , Passarella convoque Claudio Canniggia en sélection.
Par Mathieu Faure