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Le jour où l’Allemagne de l’Ouest a perdu aux tirs au but
Frapper un tir au but ne leur fait pas peur. Mais avant de devenir maîtres en la matière, les Allemands sont tombés contre la Tchécoslovaquie, en finale de l’Euro 76. Et un certain Panenka allait écrire sa légende.
Mats Hummels peut surprendre : « On n’a pas tiré comme des Allemands » , prétendait le défenseur, interrogé par la BBC, au lendemain de la séance de tirs au but épique, remportée face à l’Italie, en quarts de finale de l’Euro. En 1976, Hummels n’était pas né. Ils n’étaient pas nés. Pas un joueur allemand sélectionné pour l’Euro 2016 n’a grandi avec ce souvenir. Bastian Schweinsteiger, le doyen et capitaine de la Nationalmannschaft, a vu le jour huit ans plus tard, en Bavière. Quand on est allemand, une séance de tirs de but, ça se gagne parce que justement, on ne rate pas son tir au but (sans faute contre le Mexique en 1986, contre l’Angleterre en 1990 et 1996, contre l’Argentine en 2006) ! Pourtant, six ans avant le premier succès teuton dans l’exercice (le 8 juillet 82 à Séville), les Allemands ont perdu.
Champions d’Europe et du monde vs invité surprise
Le dimanche 20 juin 1976, le Marakana de Belgrade accueille la finale de la cinquième édition du Championnat d’Europe des nations. D’une part, la République fédérale allemande emmenée par Franz Beckenbauer, mais sans sa grande gueule Paul Breitner, en conflit avec le sélectionneur Helmut Schön, ni Gerd Müller, fraîchement retraité international. Champions d’Europe en titre et sacrés champions du monde à la maison en 1974, les Allemands sont parvenus à éliminer en demi-finales la Yougoslavie, pays organisateur, dans les dernières minutes de la prolongation (4-2). De l’autre côté, un invité surprise : la Tchécoslovaquie. En demi-finales, les Tchécoslovaques viennent de faire gicler les favoris hollandais, en prolongation là encore (3-1). Alors qu’ils s’entraînaient auparavant en deux groupes distincts, Tchèques et Slovaques sont unifiés derrière le capitaine Anton Ondruš (slovaque) et l’entraîneur Václav Ježek (tchèque).
Les deux sélections ont chacune 120 minutes dans les pattes, et en cas de match nul, la finale pourrait être rejouée 48 heures plus tard. Pour éviter ce scénario étouffant, la Fédération allemande, Hermann Neuberger en tête, demande à l’UEFA d’instaurer une séance de tirs au but en cas d’éventuel match nul. Requête acceptée juste avant le match. Même les joueurs allemands sont informés en dernière minute. 2-2, score final, pour la première fois dans une compétition internationale majeure, a fortiori pour désigner le vainqueur, il y aura une séance de tirs au but. Si les Allemands traînent des pieds à l’heure de désigner les tireurs, en face, les Tchécoslovaques s’avancent sûrs d’eux. Et pour cause, Václav Ježek a déjà prévu le coup ! Rusé, le coach a déjà organisé une séance de tirs au but à l’issue d’un tournoi de préparation… devant 10 000 supporters. « Nous avons besoin de sifflets, de cris, de tout ce que vous voulez qui pourra sortir les joueurs de leur bulle. C’est comme ça que ça se passera pour nous pendant l’Euro en Yougoslavie » , lance ce jour-là Václav Ježek à la foule, muni d’un mégaphone, comme le rapporte Ben Lyttleton, dans son ouvrage Onze mètres – La solitude du tireur de penalty.
Marakana, chocolat et Panenka
À l’heure de frapper leur tir au but dans l’antre du Marakana, les Tchécoslovaques ne tremblent pas. Pas plus que les Allemands jusqu’à ce qu’Uli Hoeness tire sur la barre. Cinquième tireur, Antonin Panenka, meneur de jeu du Bohemians Prague, a la victoire au bout du pied. Dans sa tête, une idée folle – « un truc que personne n’attendait » – mais réfléchie : « Une nuit que je ne dormais pas, j’ai pensé à ceci : je savais que les gardiens choisissaient généralement un côté, mais si vous frappiez trop fort, ils pouvaient quand même l’arrêter du pied. En revanche, si le contact avec le ballon était plus léger, il leur serait impossible de faire demi-tour pour repousser le ballon. » Depuis deux ans, quand il s’agit de défier sur penalty son partenaire d’entraînement, le gardien Zdeněk Hruška, pour une bière ou une tablette de chocolat, l’homme s’entraîne à piquer le ballon.
Une feuille morte à la manière de Neeskens au Mondial 74, à la différence près que le Batave, lui, n’avait pas réalisé son geste volontairement. « Je me voyais comme un homme de spectacle et j’ai considéré que ce penalty serait un reflet de ma personnalité.(…)J’ai aussi couru très vite, car la vitesse empêche le gardien de lire votre langage corporel, précise Panenka. Vous devez le persuader avec le regard, avec la course d’élan, avec la position du corps, que vous visez l’un des deux coins. » Sepp Maier anticipe à gauche, le plan marche à la perfection. La Panenka est née. Et s’il l’avait ratée ? Sous le régime communiste de la seconde guerre froide, Antonin Panenka a une petite idée de ce qui lui serait arrivé : « Trente ans à la mine » .
Par Florian Lefèvre
Tous propos tirés de Onze mètres - La solitude du tireur de penalty, par Ben Lyttleton.