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Le jour où l’AJ Auxerre a disputé la demi-finale de la Coupe de l’UEFA 1992-1993
Quand il s'agit d'évoquer la saison européenne des clubs français en 1992-1993, on pense tout de suite à l'OM en Ligue des champions, puis au coup de casque de Kombouaré face au Real Madrid qui envoie le PSG en demi-finales de la Coupe de l'UEFA. Mais on oublie souvent l'AJ Auxerre, également demi-finaliste de C3.
Real, Juve, Manchester United, Benfica, Celtic, Ajax : à elles six, ces formations ont déjà soulevé quatorze fois la coupe aux grandes oreilles. Mais la C1 n’étant alors ouverte qu’aux champions nationaux, c’est dans la troisième des compétitions européennes, la Coupe de l’UEFA, qu’elles entrent en lice ce 14 septembre 1992. Au même titre qu’une palanquée de clubs ayant déjà mis la main sur au moins un trophée européen, si l’on inclut la Coupe des villes de foire, ancêtre de la Ligue Europa: Dortmund, Kiev, le Sporting Portugal, Anderlecht, Valence, Malines, Naples, Francfort, l’AS Rome et Saragosse. Autant de noms prestigieux au milieu desquels ferait presque tache l’AJ Auxerre, pourtant quart-de-finaliste en 1990 de l’épreuve où les hommes de Guy Roux s’alignent pour la sixième fois en neuf saisons.
Pour Auxerre, 38 000 habitants à l’époque, la marche semble d’autant plus haute que le club bourguignon a perdu durant l’été deux internationaux tricolores, Alain Roche et Jean-Marc Ferreri. Mais l’AJA peut encore s’appuyer sur quelques habitués du groupe France, du gardien Bruno Martini aux ailiers Christophe Cocard et Pascal Vahirua, et sur quelques Bleus en puissance, comme William Prunier derrière ou Daniel Dutuel (finalement jamais appelé avec les A) et Corentin Martins au milieu. Surtout, pour remplacer Roche, le club icaunais a dégotté Frank Verlaat, vainqueur cinq ans plus tôt de la C2 avec l’Ajax. Un tournant, selon Gérald Baticle, futur meilleur buteur de la compétition : « Il nous a apporté son vécu. Il nous disait de ne pas nous mettre de barrière, d’être très ambitieux. Pour lui, quand on jouait la coupe d’Europe, c’était pour la gagner. On n’était plus là pour en profiter, mais en compétiteurs. »
Le Standard et l’Ajax au tableau de chasse
Le 16 septembre, malgré Verlaat, l’AJA ne peut toutefois faire mieux qu’un nul 2-2 sur la pelouse du Loko Plovdiv. Un accroc sans conséquence pour les Auxerrois, qui cartonnent les Bulgares au retour (7-1), puis les Danois du FC Copenhague au tour suivant (5-0, 0-2). Déjà auteur de six pions, Baticle, lui, se régale des caviars de Cocard et Vahirua, ses compères d’attaque dans l’immuable 4-3-3 de Guy Roux, dont l’animation offensive repose principalement sur ces deux bouffeurs de lignes, véritables machines à déborder et à centrer. Les choses se gâtent en huitièmes, quand l’AJA défie le Standard de Liège. « C’était une grande équipe, replace le buteur. Pour moi, c’était le tour le plus difficile. » En atteste ce match aller, où Auxerre prend le bouillon et est mené de deux buts à la pause. Avant d’arracher un nul « tombé du ciel », grâce à un coup de casque de Verlaat (56e) et un nouveau caramel de l’inévitable Baticle (72e). Un « hold-up », de l’aveu du second buteur : « On mérite plus de prendre 4-0. On n’a quasiment fait que souffrir. »
Au retour, les Icaunais tiendront plus de 70 minutes, plantant ensuite deux banderilles par Dutuel et Baticle, encore lui (2-1). Voilà l’AJA en quarts, où se dresse face à elle un monument : le tenant du titre, l’Ajax Amsterdam de Blind, Davids, Bergkamp, Litmanen et Overmars. Menés d’emblée (3e) à l’Abbé-Deschamps, les Auxerrois recollent sur corner grâce à… Verlaat (17e). Puis ils prennent les devants sur un coup franc de Martins (43e), mais sont rejoints dans la foulée. En deuxième période, le rythme retombe, les Lanciers se relâchent, et Vahirua (82e) et Dutuel (90e) se chargent de punir l’excès de confiance hollandais (4-2). « Ils nous ont sous-estimés », juge Baticle. Au retour, tandis que Paris terrasse le Real Madrid, Auxerre tient bon aux Pays-Bas (1-0) et signe, ce 16 mars 1993, le plus bel exploit de son histoire : « À l’époque, sortir l’Ajax, c’était comme éliminer le Barça ou le Real aujourd’hui. » Avec Marseille en C1, la France compte trois clubs en demi-finales de coupe d’Europe.
Le doigt levé de Prunier, la main ferme de Klos
Une première pour l’AJA, soutenue par « toute la France » et opposée dans le dernier carré au Borussia Dortmund, pour une double confrontation mythique. Secoué (2-0) en Allemagne, Auxerre prend rapidement les devants au retour grâce à Martins (8e). L’histoire est en route. Elle prend encore plus forme quand, sur un coup franc de Vahirua, Verlaat remet les deux équipes à égalité de la tête (71e). Dominateur, Auxerre aura une balle de 3-0. « Je suis en angle fermé, je peux frapper, mais je la donne à Coc’, rejoue Baticle. Je lui mets un peu trop devant lui, il se jette, et un Allemand sauve sur sa ligne avec une détermination incroyable. C’est le tournant du match. » Car plus rien ne sera marqué… « Quand on arrive aux penaltys, Dortmund est content: ils pensaient perdre dans le match, se souvient le numéro 9 auxerrois. Ils ont alors une espèce de supériorité mentale incroyable qui s’est malheureusement vérifiée. »
La séance se résume pourtant longtemps à une course-poursuite, les cinq premiers tireurs ajaïstes répondant à leurs homologues allemands, Prunier gratifiant au passage le portier Stefan Klos d’un doigt d’honneur. Au micro de TF1, Thierry Rolland en perd son latin : « À présent, c’est la mort violente. » « Immédiate », corrige son acolyte Jean-Michel Larqué. « Oui, enfin, immédiate et violente. » Pas faux : sixième Bourguignon à s’élancer, Stéphane Mahé voit sa tentative écartée par Klos. L’aventure s’achève sur les larmes du défenseur, inconsolable. « On ne lui en veut pas », assure Baticle, qui verra plus tard son record du nombre de buts inscrits (huit) par un Français sur une édition de la C3 effacé des tablettes par Olivier Giroud. La frustration, elle, ne s’efface pas : « On a un sentiment d’inachevé. On ne sait pas ce qui se serait passé contre la Juve (en finale, les Italiens se sont imposés 3-1 en Allemagne, puis 3-0 chez eux), mais il y avait la place pour passer. » Reste cette consolation, non des moindres : « On n’a pas marqué l’histoire, mais on a marqué une génération. »
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Par Simon Butel / Article paru initialement dans SO FOOT CLUB