- Italie
- AS Roma
- Le jour où... 20 avril 1986
Le jour où la Roma a bazardé un scudetto face à un relégué
Un des plus grands fails de l’histoire du calcio. C’était il y a 30 ans jour pour jour, lors de l’avant-dernière journée du championnat, la Roma, co-leader du championnat avec la Juve, reçoit Lecce déjà mathématiquement en Serie B.
« Il y avait un climat de fête, l’Olimpico était plein, toute la ville était enthousiaste, leur président Dino Viola avait même fait un tour de terrain pour saluer le public. Le scudetto ne pouvait leur échapper selon eux. Avec mes coéquipiers, on se regardait et on se demandait vraiment ce qu’on foutait-là. » Ancien pensionnaire de Lecce et aujourd’hui agent de joueurs, Giuseppe Colombo ouvre volontiers la boîte à souvenirs : « C’était la toute première saison du club en Serie A, on était jeunes et inexpérimentés et on a vite sombré à la dernière place » Le verdict tombe à cinq journées du terme du championnat, Lecce fait un retour fissa en Serie B, cependant, il reste plusieurs rencontres à honorer dont ce déplacement à l’Olimpico.
Le retour du diable vauvert
« Ce fut une longue mais belle course poursuite. » Antonio Di Carlo était l’ailier gauche de cette Roma coachée par Eriksson et menée par des grands noms tels Boniek, Giannini, Ancelotti, Conti ou encore Pruzzo. Une armada qui patine et accumule jusqu’à 8 unités de retard sur la Juventus à la mi-championnat (la victoire était encore à deux points, ndlr). Lors de la phase de retour, les courbes s’inversent, la Vieille Dame accumule les scores de parité tandis que la Roma enchaîne les succès et ne s’incline que sur le terrain du Hellas. Arrive la 25e journée, confrontation directe à l’Olimpico, bim, 3-0 pour les Romains. Un mois plus tard, les Bianconeri font 0-0 chez la Sampdoria, dans le même temps, les Giallorossi s’imposent 4-2 à Pise « Après avoir été menés 2-1 à la mi-temps, ça nous a mis une pêche pas possible, on les avait rejoint au classement, on était en forme, eux sur les rotules, tout laissait à croire que c’était pour nous » , continue l’ancien Romain, et ce, même si un barrage aurait été nécessaire pour départager les deux adversaires en cas d’arrivée à égalité : « Mais la Juve recevait le Milan et nous Lecce déjà relégué, ça sentait bon le dépassement. » On a retrouvé le sosie de Cyril Hanouna à Rome
De 1-0 à 1-3
Les autres Jaune et Rouge d’Italie sont conscients de leur statut de sparring-partner : « Sauf qu’une fois relégués, nous étions libérés, on jouait avec beaucoup plus de légèreté. Cela dit, on voyait bien qu’on allait disputer une rencontre plus grande que nous. D’ailleurs Graziani, que j’avais au marquage, ouvre le score dès la 7e minute de jeu » , se souvient Colombo. C’est bien parti pour une valise, mais un coup du sort change le destin de la rencontre : « Je marque un second but que l’arbitre annule pour une charge précédente de Pruzzo sur leur gardien. Il se fait remplacer, Negretti entre et sort le match de sa vie » , relate Di Carlo. Lecce résiste grâce aux parades du néo-entrant et se contente d’exploiter les contres. « On a été chanceux, il y a même eu un sauvetage sur la ligne, mais aussi de la suffisance de leur part tandis qu’on s’est contenté de faire notre boulot » poursuit Giuseppe. Di Chiara égalise de la tête, puis, Barbas donne l’avantage sur penalty à la mi-temps. « On perdait 2-1, mais on restait très confiants, c’est le 3-1 dès la reprise qui nous a mis un coup de massue. On a tenté de réagir, Pruzzo réduit le score en fin de match mais c’était bien trop tard… » Torricelli : « On se parlait en patois milanais avec Trapattoni »
« Vous ne vous rendez pas compte de ce que vous avez fait »
L’Olimpico est sous le choc, Monsieur Lo Bello siffle trois fois, dans le même temps, la Juve s’est imposée 1-0 face au Milan grâce à un but de Laudrup : « Sincèrement, on était presque désolé, ils s’arrachaient les cheveux, certains pleuraient, ils avaient compris que c’était terminé. Les tifosi étaient sonnés, j’ai des cousins à Rome, je n’ai plus eu de leurs nouvelles pendant des semaines. Je conserve l’image de cette petite fille désespérée qui jette sa glace contre la vitre de notre bus » , confie Colombo alors que l’accueil à l’aéroport de Fiumicino est en revanche des plus chaleureux : « On a mangé dans un restaurant tenu par un laziale, on a été reçu comme des rois. Le coach Fascetti et le directeur sportif Cataldo ne cessaient de nous répéter : « Vous ne vous rendez pas compte de ce que vous avez fait ! » » Et qu’auraient-ils dû faire ? « Nous laisser marquer ? Voyons, c’est un revers inexcusable de notre part, notre adversaire n’a rien fait de particulier pour gagner ce match. » Pas de combine même si les rumeurs les plus folles circulent autour de cette rencontre, d’autant qu’un nouvel épisode du Totonero explose quelques semaines plus tard, on parle aussi de primes des dirigeants bianconeri pour motiver les joueurs de Lecce. Les deux témoins réfutent : « Que des conneries ! Combien il faudrait pour corrompre une équipe comme la Roma ? » s’insurge Di Carlo. « Comme si la Juve pensait qu’on allait être capables de les battre, même en nous payant » , rétorque Colombo.
Après Roma-Lecce…Lecce-Juve
Hasard du calendrier, Lecce reçoit justement le club turinois lors de la 30e et dernière journée tandis qu’une Roma abattue se déplace à Côme : « Il s’est passé la même chose, on a joué libéré et on a tenu tête. » Un nul suffit aux Juventini : « Mais leur attitude était totalement différente de ceux de la Roma, ils étaient extrêmement concentrés. Je me souviens du visage crispé de Trapattoni sans jamais lâcher un sourire. Ils savaient que ce n’était pas gagné, c’est là qu’on voit la différence de mentalité historique entre les deux équipes » , analyse Colombo. Tout se passe dans les 20 dernières minutes, Mauro ouvre le score, Miceli égalise pour Lecce puis Cabrini et Serena prennent le large avant que Di Chiara ne réduise le score. La Juve remporte son 22e titre, et la Roma ? Elle s’incline encore. « On se rattrape en remportant la Coupe d’Italie en juin. Les plus marqués étaient les anciens qui étaient au Mondial mexicain. Nous les jeunes on a eu la force de tourner la page. » Insuffisant toutefois pour faire passer la pilule : « Un cauchemar, pire que la défaite aux penaltys lors de la finale de Coupe d’Europe des clubs champions contre Liverpool à l’Olimpico deux ans plus tôt » , juge Di Carlo. Reste la morale de son bourreau : « Ce match reste un exemple d’implication, car on a joué le jeu. » Depuis, en 14 autres occasions, Lecce n’a plus jamais battu la Roma à l’Olimpico.
Par Eric MAGGIORI